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B. Traumatisme identitaire de l’AVC P

II. Langage et identité : relation et impact chez les personnes aphasiques P

Ayant choisi, sur mon lieu de stage, deux patients présentant une aphasie, j’ai trouvé important d’évoquer le rôle spécifique du langage et d’exposer ses répercussions identitaires lorsqu’il est alors touché.

A. Le langage, ciment de l’identité du sujet

La singularité et l’identité d’une personne est déterminée de par ses caractères génétiques, physiologiques, de par son histoire, ses relations, ses pensées et ou encore son discours. C’est en exerçant sa faculté innée de langage, en prenant la parole, que l’humain devient sujet,

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capable d’agir sur son environnement plutôt que de le subir, capable de créer un monde. Les personnes aphasiques, privées de langage ou possédant un langage inadapté, se retrouvent alors fortement entravées dans leurs moyens d’action sur l’environnement et leurs capacités à s’inscrire en tant que sujet dans la société, ce qui ne leur permet pas d’investir et de forger leur identité.

Quand on rencontre à un moment de sa vie des difficultés pour parler, comprendre, lire, écrire, on est ainsi ébranlé dans son sentiment d’identité personnelle. Cela crée une atteinte narcissique et une perte de l’estime de soi, souvent rencontrées auprès des patients aphasiques qui ne trouvent alors plus la force de s’investir corporellement et psychiquement dans leur rééducation.

Le développement du langage est un processus lent s’établissant progressivement chez l’enfant. C’est entre 11 et 15 mois que l’enfant va commencer à utiliser un langage global significatif. Il s’agit alors de « mots-phrases ». Entre 15 et 24 mois, il perfectionne ce langage global et dispose d’un vocabulaire de quatre à six mots. Le jargon devient alors mature en moyenne vers l’âge de 18 mois. Le passage aux 2 ans marque ensuite l’explosion du langage qui continuera d’évoluer et de s’enrichir dans les années suivantes.

C’est d’abord grâce à la verbalisation des parents, lors des interactions précoces, que le jeune enfant va alors pouvoir trouver un sens à chaque action et situation du quotidien. Cette mise en mots va l’aider à expérimenter et comprendre peu à peu ce qu’il se passe en lui. La verbalisation va ainsi être reprise par le thérapeute dans la rééducation psychomotrice des personnes aphasiques, de façon à les aider à recréer du lien et des représentations.

Lors de son développement, l’enfant va ensuite acquérir la faculté de parler et la liberté de donner lui-même le sens qu’il souhaite aux choses, mais également de commencer à exprimer ses idées, ses désaccords ou plus tard ses opinions. Tout ceci va lui permettre de se forger une identité propre et le place en tant qu’individu doué de pensée et de parole dans la société. Le patient aphasique n’a, quant à lui, plus cette faculté verbale d’expression et d’affirmation de soi nécessaire à son investissement personnel. Il est souvent en retrait et s’efface au regard d’autres personnes douées de langage, « réduisant alors au silence » sa véritable personnalité. Le langage transforme donc considérablement le rapport à soi, au monde et aux autres. Il est au cœur de la construction aussi bien individuelle que collective du sujet, et ce dans trois domaines d’activité de l’humain :

- le domaine de la socialisation des individus, dans la mesure où c’est à travers le langage que s’instaure la relation de soi à l’autre, c’est lui qui crée le lien social à travers la communication verbale ;

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- le domaine de la pensée, dans la mesure où c’est par et à travers les actes de langage que nous conceptualisons, c’est-à-dire que nous organisons la réalité du monde sous forme de pensées concrètes ou abstraites (concepts) ;

- le domaine des valeurs, dans la mesure où les valeurs ont besoin d’être parlées et argumentées à l’oral pour exister. Les actes de langage qui en sont les porteurs donnent sens à nos actes. L’activité de langage est donc un « acte de liberté » de l’individu comme possibilité d’interrogation et d’analyse sur l’autre, sur soi et sur le monde en général. Il peut aussi permettre de donner du sens à nos affects de manière à mieux les gérer.

Le langage a ainsi une triple dimension, laquelle est perturbée dans l’aphasie :

- Sociale : l’individu est immédiatement considéré comme un être de compréhension, partenaire d’un réseau de communication.

- Psychologique : le langage assure le développement de la personne, il l’aide à se construire comme un sujet à la fois semblable et différent.

- Cognitive : le langage construit et donne accès aux connaissances et à la représentation. Il organise ces dernières, les hiérarchise, les construit en multiples réseaux mobilisables selon les situations.

Ces trois dimensions, indispensables à la construction du développement identitaire du sujet, rendent alors particulièrement compte de la problématique majeure d’identité rencontrée chez les patients aphasiques.

En raison de son aphasie, le langage de Mr L. est particulièrement touché dans les trois dimensions précédemment citées. D’un point de vue social, il apparaît difficile pour lui d’entrer en relation avec les autres. Se sentant incapable de communication il a alors tendance à couper tout échange. Un tel comportement peut amener les autres individus à le considérer comme incapable de compréhension et de socialisation. D’un point de vue psychologique, le fait qu’il ne puisse exprimer verbalement ses ressentis, sensations, pensées ou ses idées représente un frein à sa reconstruction identitaire personnelle.

Il ne peut mettre des mots et donc du lien sur ses émotions internes. Le psychomotricien utilise alors préférentiellement le corps comme outil de travail pour amener le patient à s’exprimer d’une autre manière que par la parole. Enfin, l’atteinte du langage au niveau cognitif gêne Mr L. dans ses facultés de représentation mentale et de réutilisation des connaissances emmagasinées. Il est donc important de travailler autour de ces trois dimensions du langage en pratique psychomotrice.

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