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Le discours d’Alexandre Berenstein manifeste une volonté de rapprocher les deux principales traditions auxquelles il appartient, à savoir le développement transnational du droit social et le socialisme démocratique. Pour lui, la politique sociale et le socialisme entretiennent certains liens consubstantiels. La création de l’OIT, à la fois concrétisation de la réforme sociale d’inspiration libérale et revendication du mouvement réformiste socialiste et ouvrier, incarne au mieux pour lui l’interpénétration des deux traditions dont il se réclame. Il rappelle ainsi que l’OIT est le résultat des revendications socialistes et ouvrières215 et la présente comme une construction caractéristique du socialisme réformiste internationaliste et antibolchévique. Non seulement il relève que le

211 BGE, 2001/25, 11. Alexandre Berenstein, « A travail égal, salaire égal », projet d’article, 1987.

212 BGE, 2001/25, 11.

213 BGE, 2001/25, 2C. Initiative populaire fédérale pour l’égalité des droits entre hommes et femmes. L’initiative sera retirée par ses initiantes suite à un contre-projet satisfaisant qui sera accepté par le peuple et les cantons le 14 juin 1981.

214 Cette tradition de pensée socialiste remonte à l’ouvrage d’August Bebel Die Frau und der Sozialismus paru en 1879 qui prône l’égalité entre les hommes et les femmes en commençant par le travail et la rémunération.

215 BGE, 2001/25, 20. Texte de la conférence d’Alexandre Berenstein sur « L’activité de l’Organisation internationale du travail et ses résultats » donnée à Trieste le 21 mars 1956 suite à l’invitation du Professeur Balzarini.

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fonctionnement de l’OIT correspond à une démocratisation du droit international qui permet l’inclusion et la défense des travailleurs216, mais surtout il invoque la figure d’Emile Vandervelde pour parler de la création de l’institution. Président de la Deuxième Internationale puis membre de la Commission du Travail qui définit les principes de l’OIT, le socialiste belge Vandervelde incarne au mieux la continuité qu’Alexandre Berenstein souhaite construire entre le socialisme internationaliste et la création de l’OIT.217 Le citant au cours de la séance du 11 avril 1919 de la Conférence des préliminaires de paix, il définit la création de l’OIT comme « une œuvre de transition entre l’absolutisme du patronat qui a été le régime d’hier et la souveraineté du travail. »218 Pour atteindre cet objectif, Emile Vandervelde constate qu’il y a « bien des voies » :

Les unes sont semées de violences et d’insurrections ; les autres, au contraire, permettent d’y arriver aussi vite, mais sans heurts et sans secousses. Si j’osais formuler ma pensée d’une manière plus concrète, je dirais que pour faire la révolution que nous voyons s’opérer dans le monde entier, il y a la méthode russe et la méthode anglaise : c’est la méthode anglaise qui a triomphé à la commission du travail. 219

Alexandre Berenstein met en avant que, tout comme le socialisme auquel il appartient, la création de l’OIT représente une opposition au bolchevisme et une affirmation des principes démocratiques et pacifistes.

Plus encore, Alexandre Berenstein envisage la « politique sociale » comme « l’objectif fondamental du socialisme. »220 Il développe en particulier cette vision de la politique sociale comme essence du socialisme dans un article intitulé « Politique sociale socialiste » de la revue dirigée par son père Le socialiste démocratique en 1959 dans le cadre des discussions sur le nouveau programme du Parti socialiste suisse. Selon lui, « les buts de politique sociale que poursuit le Parti socialiste sont intimement liés aux principes fondamentaux du socialisme. »221 L’OIT et ses principes constitutionnels sont pensés comme une victoire propre à la tradition socialiste. La sécurité sociale est un objectif naturel du socialisme, inscrit « depuis toujours »222 dans le programme socialiste, et la définition de la

216 BGE, 2001/25, 20. Alexandre Berenstein, «L’Organisation internationale du travail et le droit des gens », 1938.

217 Jasmien Van Daele, « Engineering Social Peace: Networks, Ideas, and the Founding of the International Labour Organization », International Review of Social History, 50.3, 2005, p. 451.

218 BGE, 2001/25, 20. Texte de la conférence d’Alexandre Berenstein sur « L’activité de l’Organisation internationale du travail et ses résultats » donnée à Trieste le 21 mars 1956 suite à l’invitation du Professeur Balzarini.

219 Ibid.

220 BGE, 2001/25, 4. Alexandre Berenstein, « Politique sociale socialiste », Le Socialisme démocratique, avril-juin 1959.

221 Ibid.

222 BGE, 2001/25, 4. « AVS… Souvenez-vous ! », Editorial d’Alexandre Berenstein, Le Peuple, 2 novembre 1948.

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justice sociale223 de la Déclaration de Philadelphie équivaut à « un postulat socialiste. » Par conséquent, « en acceptant le Déclaration de Philadelphie, la Suisse a reconnu le bien-fondé de toute une série de revendications, qui jusqu’alors étaient considérées comme des revendications purement socialistes. »224 Dès lors que l’échelle internationale est celle de la reconnaissance des revendications socialistes, Alexandre Berenstein propose une stratégie nationale qui s’appuie sur la référence internationale : « les documents internationaux […] peuvent constituer une aide précieuse [à] utiliser dans la campagne qui sera entreprise pour la mise en œuvre du programme du Parti. »225

Cet effort de rapprochement des traditions du développement transnational du droit social et du socialisme démocratique fait apparaitre les convergences entre ces deux appartenances chez Alexandre Berenstein. D’une part, son inscription dans les deux traditions est d’ordre fondamentalement internationaliste. D’autre part, tant son appréhension du droit social que ses idéaux politiques socialistes supposent une approche résolument réformiste des questions sociales. Si l’adhésion à des projets politiques socialistes, réformistes et internationalistes est première et le mène à la réforme sociale et à l’OIT, la représentation et l’usage que fait Alexandre Berenstein du concept de progrès social manifestent la complémentarité et l’interdépendance des traditions politique et juridique. Alexandre Berenstein a une conception internationaliste, réformiste et juridique du progrès social qui vise, par le biais d’une politique d’intervention de l’Etat dans le domaine social, à améliorer les conditions de la vie sociale et à répartir les richesses produites. Il ne s’agit pas de remettre en cause le système de production à l’origine du progrès économique mais d’atténuer ses effets jugés néfastes sur l’existence et le travail individuel ainsi que sur l’accroissement des inégalités sociétales.

223 Pour Alexandre Berenstein, le passage de la Déclaration de Philadelphie qui définit la justice sociale est le suivant : « Tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales. »

224 BGE, 2001/25, 4. Alexandre Berenstein, « Politique sociale socialiste », Le Socialisme démocratique, avril-juin 1959.

225 Ibid.

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