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3.3 L E DISCOURS GÉNÉALOGIQUE ENTRE ABSOLUTISME DE LA VIE ET LECTURE NATURALISANTE DE L ’ UNIVERS

3.3.2 La métaphore absolue de l’univers agricole

Mais l’intégration textuelle du schème généalogique passe aussi – et notamment – par la sélection (loin d’être aléatoire, comme on le verra dans ce qui suit) des champs lexicaux appelés à donner naissance aux analogies structurantes sur lesquelles s’appuie le récit cosmologique. En affichant une propension particulière à se draper sous les atours d’un langage figuré et associatif, la logique généalogique nous fournit un indice substantiel sur la nature fondamentale du principe cognitif dont elle procède : en tant qu’instrument de projection rétrospective du sens, l’action à laquelle elle invite s’apparente en fait à une véritable relecture du monde, à une réinterprétation originale et performative de l’expérience de la filiation sous un prisme nouveau susceptible d’en faire se cristalliser symboliquement l’essence supposée. Dans les faits, l’évocation de l’enchaînement diachronique des générations successives d’une lignée divine, semi-divine ou humaine dans un récit cosmogonique n’est que très rarement donnée « pour elle-même » uniquement et décrite dans la simple autonomie de sa propre réalité phénotypique. Le plus souvent au contraire, elle est presque instantanément ancrée par le texte dans le cadre plus large de considérations parallèles suggérant l’existence d’une corrélation plus ou moins insoupçonnée entre, d’une part, l’accomplissement biologiquement « viable »

107 Ibid., s.v. ‘2. isotopie’ (nous soulignons).

108 Cf. là-dessus (notamment) Couloubaritsis 2006b.

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du potentiel procréateur des individus nécessaire à la garantie de la survie de l’espèce, et, d’autre part, l’épanouissement harmonieux de l’existence collective.

Plus concrètement, c’est en particulier une coloration bien spécifique que les liens tissés par le discours mythique entre stabilité généalogique et pérennité existentielle globale ont tendance à prendre : celle du parallélisme avec l’activité agricole. À telle enseigne que l’observation d’une concomitance entre prolifération démographique de la progéniture d’une communauté et profusion botanique de ses cultures – souvent présentée comme découlant directement de l’exemplarité morale affichée par ses membres – peut même être qualifiée, toutes sphères culturelles confondues, de lieu commun de la littérature cosmologique générale.109

La lecture du corpus hésiodique – et singulièrement de ce vaste éloge de la vie agraire que constituent les Travaux et les jours – est particulièrement représentative à cet égard, puisque ce genre de passages à portée hautement symbolique où est exaltée une vision transversale et « interspéciste » de la fertilité comme signe d’une adéquation idéale du sujet avec l’ordre cosmique, justement, y abonde.110 Mais le motif n’apparaît peut-être nulle part de façon aussi proéminente dans l’œuvre qu’à l’occasion de la parabole des deux cités adressée à Persès par la voix poétique à titre d’exhortation parénétique et succédant directement (Op. 213-247) au récit de la fable de l’épervier et du rossignol destiné aux oreilles des βασιλεῖς (202-212). Le texte commence par y brosser le portrait d’une cité où règne la δίκη, et dépeint son quotidien en ces termes :

οἳ δὲ δίκας ξείνοισι καὶ ἐνδήμοισι διδοῦσιν ἰθείας καὶ μή τι παρεκβαίνουσι δικαίου, τοῖσι τέθηλε πόλις, λαοὶ δ᾽ ἀνθέουσιν ἐν αὐτῇ·

Εἰρήνη δ᾽ ἀνὰ γῆν κουροτρόφος, οὐδέ ποτ᾽ αὐτοῖς ἀργαλέον πόλεμον τεκμαίρεται εὐρύοπα Ζεύς·

οὐδέ ποτ᾽ ἰθυδίκῃσι μετ᾽ ἀνδράσι Λιμὸς ὀπηδεῖ οὐδ᾽ Ἄτη, θαλίῃς δὲ μεμηλότα ἔργα νέμονται.

τοῖσι φέρει μὲν γαῖα πολὺν βίον, οὔρεσι δὲ δρῦς ἄκρη μέν τε φέρει βαλάνους, μέσση δὲ μελίσσας·

εἰροπόκοι δ᾽ ὄιες μαλλοῖς καταβεβρίθασιν·

τίκτουσιν δὲ γυναῖκες ἐοικότα τέκνα γονεῦσιν·

109 Cf. West 1978 : 213 (ad vv. 225-47), qui donne une liste de parallèles allant du Pentateuque aux anciennes chroniques irlandaises en passant par Homère, Hérodote et les tragiques.

110 Cf., p. ex., Op. 117-120 ; 172-173 ; 302-310.

- 39 - θάλλουσιν δ᾽ ἀγαθοῖσι διαμπερές· οὐδ᾽ ἐπὶ νηῶν νίσσονται, καρπὸν δὲ φέρει ζείδωρος ἄρουρα.111

Mais ceux qui rendent sentences droites aux étrangers comme à leurs concitoyens Et qui ne s’écartent jamais de ce qui est juste,

Ceux-là, leur cité est prospère, et les peuples y florissent ; La paix [réside] sur leur terre, nourrice des bambins, et jamais Zeus à la vue large ne leur assigne la terrible guerre ;

Jamais ne s’attache aux pas d’hommes qui rendent de droites sentences ni famine Ni ruine, mais ils consomment en festins le produit de leurs cultures.

Car à eux, la terre leur offre abondante subsistance, et dans les montagnes le chêne Offre des glands à sa cime et des abeilles en son centre ;

Leurs brebis à toison épaisse sont accablées sous des touffes de laine ; Leurs femmes enfantent des enfants semblables à leurs géniteurs ; Ils prospèrent continuellement parmi les biens ; et ils ne s’en vont pas

En bateau, mais c’est la charrue procureuse d’épeautre qui leur offre ses fruits.

Puis le tableau se poursuit par l’évocation du sort peu enviable d’une cité dont les habitants se sont rendus coupables de transgressions à l’ordre édicté par Zeus. Dès le premier coup d’œil, cette seconde description frappe par la (presque) parfaite symétrie qu’il l’unit à la précédente, puisque pratiquement tous les aspects qui caractérisaient l’ataraxie de la cité juste y sont repris explicitement sous la forme négative :

οἷς δ᾽ ὕβρις τε μέμηλε κακὴ καὶ σχέτλια ἔργα, τοῖς δὲ δίκην Κρονίδης τεκμαίρεται εὐρύοπα Ζεύς.

πολλάκι καὶ ξύμπασα πόλις κακοῦ ἀνδρὸς ἀπηύρα, ὅστις ἀλιτραίνει καὶ ἀτάσθαλα μηχανάαται.

τοῖσιν δ᾽ οὐρανόθεν μέγ᾽ ἐπήγαγε πῆμα Κρονίων, λιμὸν ὁμοῦ καὶ λοιμόν· ἀποφθινύθουσι δὲ λαοί.

οὐδὲ γυναῖκες τίκτουσιν, μινύθουσι δὲ οἶκοι Ζηνὸς φραδμοσύνῃσιν Ὀλυμπίου· ἄλλοτε δ᾽ αὖτε ἢ τῶν γε στρατὸν εὐρὺν ἀπώλεσεν ἢ ὅ γε τεῖχος ἢ νέας ἐν πόντῳ Κρονίδης ἀποαίνυται αὐτῶν.112

Mais pour ceux qui sont possédés par la démesure mauvaise et les œuvres méprisables, Ceux-là, le Cronide, Zeus à la vue large, leur assigne sa sentence.

Souvent même, c’est toute une cité qui souffre pour prix d’un homme mauvais, Quel qu’il soit, qui faute et ourdit des projets téméraires.

111 Op. 225-237 (nous soulignons).

112 Op. 238-247 (nous soulignons).

- 40 - Ceux-là, il leur envoie du ciel un grand fléau, le Cronide, Famine et pestilence à la fois : alors les peuples dépérissent, Leurs femmes n’enfantent plus, et leurs maisons décroissent Du fait de l’adresse de Zeus olympien ; ou encore, d’autres fois, Il anéantira leur large armée ou bien leur muraille,

Le Cronide, ou il frappera sur la mer leurs bateaux de son châtiment.

Bien que l’aspect bigarré des divers avantages énumérés dans le premier passage (vv.

225-237) – qui touchent à une large palette de domaines de la vie en société allant de la stabilité politique aux labours en passant par la cueillette et l’apiculture – semble au premier abord s’apparenter à une diversité hétéroclite, un examen plus approfondi révèle que l’ensemble des bienfaits accordés aux humains favorisés par Zeus s’inscrivent tous sans exception – au-delà du « chêne » (δρῦς, v. 232), des « glands » (βαλάνους, v.

233) et du « fruit » (καρπόν, v. 237), dont l’attribution thématique est transparente – sous le signe plus ou moins figuré de la fertilité végétale : les verbes θάλλω et ἀνθέω du v. 227 appartiennent tous deux primairement au registre arboricole113 ou, respectivement, floral ;114 les ἔργα μεμηλότα du v. 231 – un vocable dont l’acception agricole de

« labours » est bien attestée par ailleurs –115 font en l’occurrence clairement référence aux travaux des champs ;116 φέρω, dont le sens « engendrer, produire (du fruit) » s’associe aussi bien à des référents végétaux qu’humains,117 est ici représenté dans trois contextes distincts (germination de la terre, v. 232 – bourgeonnement du chêne, v. 233 – ouvrage « fécondant » de la charrue, v. 237) ; la seule autre occurrence donnée par LSJ pour καταβρίθω – qui est ici (v. 234) dit de moutons laineux – dans son sens premier implique les branches d’un prunellier ployant sous le poids de ses fruits (Theoc.

7.146)118… et il n’est pas jusqu’à la Paix qui, par le détour d’une personnification de circonstance, ne se voie conférer le statut étroitement lié au processus de procréation de κουροτρόφος (v. 228) !119 Encerclée par autant d’images procédant d’une mise en scène agricole, la mention de la fécondité féminine du v. 235, qui occupe une place centrale dans le catalogue de bienfaits que nous venons d’investiguer, ne peut qu’être contaminée par

113 Cf. Liddell / Scott / Jones 1940 : 783.

114 Cf. ibid. : 138.

115 Cf. ibid : 683.

116 Cf. West 1978 : 214 (ad loc.).

117 Cf. Liddell / Scott / Jones 1940 : 1923.

118 Cf. ibid : 884.

119 Sur les connotations généalogiques particulières prises par ce mot dans le contexte des prérogatives accordées par Zeus à Hécate en Th. 423-452, voir supra, section 3.2.1.

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le prisme « végétalisant » qui s’en dégage, ouvrant ainsi la voie à un procédé d’analogie par le biais duquel la procréation humaine se trouve implicitement réinterprétée comme une figuration parmi d’autres d’un processus omniprésent et universalisant de croissance naturelle dont la répétition spontanée implique pour la communauté, dans les conditions non affectées par une perturbation extrinsèque qui sont celles des habitants de la cité juste, la reproduction continue à l’identique (ἐοικότα τέκνα γονεῦσιν, v. 235) de ressources essentielles présentes en quantités stables et prédictibles.

À l’inverse, ce qui ressort avant tout de la situation des habitants de la cité ignorant la justice que livre le second passage (vv. 238-247), c’est le caractère foncièrement contre-nature de l’état dans lequel les arrêts divins les ont placés. Contrairement à ce qu’une lecture superficielle qui courrait le danger d’être anachronique pourrait nous laisser accroître, les conséquences de l’ὕβρις dont ont fait preuve les humains dont il est question dans ces vers ne sont pas décrites ici dans des termes qui s’apparenteraient à la survenance d’une déchéance complète des mœurs ou de l’animalisation abrutissante d’une humanité que son immoralité aurait fait redevenir sauvage ; ce qui cause la décrépitude inéluctable des humains « démesurés », c’est plutôt leur aliénation irrévocable d’avec leur environnement naturel : confrontés à la sentence de mort à laquelle les condamne, philogénétiquement parlant, leur stérilité congénitale (v. 244), les humains de la cité qui ignore la justice n’ont d’autre destin que de « dépérir » – un choix de traduction dont l’original grec (ἀποφθινύθουσι, v. 243) est issu d’un registre voisin de celui du pourrissement.120 De ce point de vue, il ne faudrait pas tant voir dans le fait que Zeus ait résolu leur annihilation le signe d’un châtiment censé venger leurs méfaits (une vision moralisatrice bien plus proche d’une théologie judéo-chrétienne qu’elle ne l’est du panthéon antique) qu’une mesure d’« épuration » visant à restaurer par amputation l’harmonie cosmique qu’un certain nombre de rejetons défaillants menaçaient de mettre en péril.121 Au fil des déterminations lexicales et des enchevêtrements figuratifs, c’est donc bien une imagerie biologisante de la correspondance organique entre homme et nature qui se construit, jusqu’à devenir le prédicteur ultime de l’identité anthropologique.

Homme dans la nature, homme-nature, homme-plante… Comment rendre compte de la logique linguistique à l’œuvre derrière cette assimilation pré-conceptuelle ? On

120 Cf. Liddell / Scott / Jones 1940 : 226.

121 Pour une lecture similairement inspirée du rôle de Zeus dans le mythe hésiodique des races, cf. Nelson 1998 : 68-76.

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pourrait se dire, finalement, qu’elle ne consiste après tout qu’en un cas tout à fait banal de tournure métaphorique résultant de l’association souveraine par le poète d’un certain nombre d’éléments sémantiques propres à un référent avec ceux propres à un second et aboutissant à la projection d’un champ lexical sur un autre. Mais on aurait du mal à accréditer cette thèse. Où que l’on regarde, et quel que soit le passage que l’on considère, tout se passe en effet comme si la sélection métaphorique opérée par le texte, le choix fait de mobiliser ce ressort allégorique plutôt qu’un autre, n’avait en réalité, dans l’exemple qui nous occupe, rien d’arbitraire – comme si l’on avait pas affaire, comme c’est le cas d’ordinaire, à une configuration où ce sont des critères d’ordre purement immanent à l’économie du texte en présence (compositionnels, motiviques, stylistiques, euphoniques, etc.) qui président au cisèlement des figures d’assimilation retenues par le poète, mais bien plutôt à la présence d’une sorte de prédétermination discursive du langage par la force de laquelle la parole poétique se verrait engoncée dans des fers qui lui interdiraient de se mouvoir au sein du texte avec l’autonomie altière qui est habituellement la sienne.

Or, ce phénomène de fossilisation de la langue dans des schémas préformatés et largement tributaires de modélisations cognitives plus ou moins universelles que nous venons de tenter de décrire, il nous semble qu’il se confond avec l’un des héritages de la

« pensée mythique » les mieux théorisés par la recherche en mythologie comparée : nous voulons parler de la métaphore absolue. Pour Hans Blumenberg, à qui l’on doit d’avoir forgé le premier ce concept, une métaphore absolue donne accès à ce qu’il nomme la

« Substruktur des Denkens », à son « Untergrund », sa « Nährlösung ».122 Pourquoi ? Parce qu’il ne s’agit pas, contrairement à la majorité des métaphores « simples » restées à l’état de figures de style, d’un simple ornement rhétorique servant à agrémenter une formule, mais d’un véritable instrument d’orientation pragmatique susceptible de faire se condenser un certain nombre de jugements, de convictions et d’hypothèses portées par une époque donnée de la pensée humaine et destiné à structurer le monde dans lequel elle évolue.123 Contrairement à une métaphore ordinaire, une métaphore absolue – comparable sur ce plan à la « catachrèse » de la terminologie quintilienne (cf. Quint. Inst.

8.2.4) – est tellement profondément (et depuis si longtemps) ancrée dans l’usage banalisé du langage courant qu’elle ne saurait être rendue complètement par une périphrase non

122 Blumenberg 1960 : 11.

123 Cf. ibid. : 20.

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figurée. C’est là justement la différentiation principale que Blumenberg introduit, et sur laquelle il fonde toutes ses investigations épistémologiques ultérieures :

Zunächst können Metaphern Restbestände sein, Rudimente auf dem Wege „vom Mythos zum Logos“;

als solche indizieren sie die cartesische Vorläufigkeit der jeweiligen geschichtlichen Situation der Philosophie, die sich an der regulativen Idealität des puren Logos zu messen hat. […] Dann aber können Metaphern, zunächst rein hypothetisch, auch Grundbestände der philosophischen Sprache sein, „Übertragungen", die sich nicht ins Eigentliche, in die Logizität zurückholen lassen.124

Un « Grundbestand », une sorte d’axiome fondamental, un nécessaire échappement hors de la logicité (ou dans une autre forme de logicité) – voici précisément ce en quoi consiste, pour la pensée généalogique, l’assimilation de l’engendrement humain à une manifestation de la croissance végétale ainsi que le mouvement de naturalisation radicale de l’univers qui en découle. Et cette condition de possibilité est si inextricablement consubstantielle à la viabilité du projet généalogique qu’elle est allée jusqu’à s’incarner, au gré de l’histoire de ses représentations iconographiques, dans la forme même de son schéma de prédilection, à savoir l’arbre généalogique. Symbole indépassable de la continuité génétique et de la persistance héréditaire, l’arbre généalogique, par-delà tous les avatars qui – du stemma codicum de la philologie classique au Stammbaum de l’ethnologie comparée – ont désespérément tenté d’en neutraliser la destination première dans le but de le faire « entrer en discipline », continue de signifier irréductiblement, envers et contre tout, le primat de la racine sur le planton, et la transcendance de la sève par rapport au bourgeon. En digne représentant du règne végétal dont la croissance n’est jamais une création et la métamorphose jamais une transformation,125 il est et restera l’illustration la plus immédiate – la métaphore absolue ultime de l’épopée généalogique.126

Là où il y a naturalisation de la filiation et affirmation unilatérale de la préséance de l’origine vis-à-vis des générations postérieures, il y a nécessairement aussi essentialisation de l’identité individuelle, dans la mesure où son surgissement est

124 Ibid. : 9 (nous soulignons). Récupérées par l’école de Francfort et emmenées avec elle outre-Atlantique, bon nombre des intuitions de Blumenberg trouvèrent une deuxième naissance, dans le domaine de la sociologie des savoirs, chez Berger / Luckmann 1966, puis, dans celui de la psychologie cognitive, chez Lakoff / Johnson 1980 deux ouvrages dont l’intensité de la réception et le succès en termes de fondation de nouvelles traditions scientifiques n’est plus à démontrer.

125 Cf. là-dessus Heidegger 1939.

126 Pour un aperçu comparatiste et diachronique de la « génèse » intellectuelle et des destinées disciplinaires multiples de l’arbre généalogique comme schéma héréditaire privilégié, cf. Weigel 2006 : 21-57.

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envisagé comme le résultat automatique d’assignations héréditaires prédéterminées et statiques. Dans le chapitre qui suit, nous nous mettrons en tâche d’explorer plus avant la dimension organiciste dont le recours au lexique de la croissance naturelle enrichit, dans les textes hésiodiques où il s’observe, cette dynamique essentialisante.

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4 L E CHAMP LEXICAL DE LA ΦΥΣΙΣ ET SA PORTÉE ORGANICISTE DANS L ŒUVRE D ’H ÉSIODE LECTURE COMMENTÉE ET INTERPRÉTATION D EXTRAITS CHOISIS

Le présent chapitre a pour vocation de faire de diverses occurrences particulièrement saillantes et contextuellement déterminantes de vocables issus du groupe lexical de la φύσις au sein du corpus hésiodique son fil rouge thématique afin de présenter de façon philologiquement structurée les résultats auxquels notre lecture des textes en présence nous a fait arriver. L’espoir de l’auteur est qu’il se dégagera de son propre texte une impression semblable à celle qui a été la sienne lors de sa conception, savoir que la présence textuelle du champ lexical de la croissance végétale forme effectivement, au cœur même du récit cosmologique, un réseau symbolique aux mailles suffisamment serrées pour faire office d’élément unificateur plutôt que d’ensemble épars d’associations arbitraires.

Comme on le verra, la φύσις et les vocables qui lui sont apparentés font leur apparition au détour de pratiquement chacune des articulations majeures des schémas théo-, anthropo- et politogonique exposés par les œuvres d’Hésiode ; notre conviction profonde est que cette omniprésence stratégique n’est pas le fruit d’un simple hasard combinatoire, mais d’un agencement délibéré de la part de l’instance narratrice, destiné à faire naître dans l’imaginaire du·de l’auditeur·rice du poème un horizon d’attente susceptible d’être réceptif aux implications discursives organicistes et unitaristes propres aux figurations de la φύσις. Il reviendra à l’acuité des analyses spécifiques qui vont suivre d’apporter l’étayage argumentatif nécessaire à cette hypothèse de travail pour lui permettre de récolter le crédit dont sa survie dépend.

4.1

ΠΕΦΥΚΑ

/

ΦΥΤΕΥΩ OU LA DANSE DE L

ÊTRE ET DU DEVENIR

LA ΦΥΣΙΣ COMME