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2.6.1 Marqueurs de l’écrit

Les métaphores de l‘écrit sont peu marquées et donc difficilement identifiables systématiquement. Le seul marquage correspond à une violation sémantique, et l‘étiquetage des corpus écrits par coefficient LSA semble être également une technique applicable aux corpus écrits. L‘ouvrage de Stefanowitsch (Stefanowitsch et Gries 2006) donne les recettes possibles pour la recherche de métaphores au sein d‘un corpus d‘écrit. On procède par utilisation des termes prototypiques du domaine cible de façon à isoler tous ceux des domaines sources. Cette méthode utilise les concordanciers, qui permettent de trouver les cooccurrences de tous les termes clefs du domaine cible.

Cette méthode apparaît inefficace dans la mesure où il n‘y a pas d‘études préalables complètes qui ait répertorié tous les termes possibles du domaine cible, et de plus il semble inenvisageable de répertorier tous les termes d‘un domaine sémantique aussi vaste. Le tri des cooccurrences en éléments métaphoriques et non-métaphoriques apparaît arbitraire, là encore notamment dans le domaine de la musique (grave, monter, descendre, une marche, couleur, phrase, mot, syntaxe, touché).

A cette méthode peut se substituer la méthode qui a été mise en place ici, et qui consiste à numériser le corpus et l‘étiqueter à l‘aide balise LSA. On peut de cette façon traiter d‘énormes corpus en changeant les requêtes à l‘aide du réglage du coefficient LSA (plus on recherchera

des termes adjacents avec un écart sémantique haut et plus la violation sémantique sera grande) et de la distance en mots en amont et en aval sur laquelle on s‘autorise la recherche. Un exemple sera donné dans le chapitre traitant de la critérisation des métaphores. On peut déjà constater que la majeure partie des métaphores repérées dans le tableau 2-2 aurait été détectée dans un corpus étiqueté LSA, le seuil de coefficient de distance sémantique ayant été fixé à 0.15. Les termes ayant une distance sémantique inférieure à une valeur de 0.15 avec la topique correspondent assez bien à des termes potentiellement métaphoriques. Ces coefficients seront expliqués dans le prochain chapitre, il suffit ici d‘en constater l‘efficacité:

Énoncé terme Coef lsa

5 banger/the party banger garnered heavy rotation banger N/A

6 barb/ throws a barb at Jay-Z barb -0.01

7 bare-knuckled set knuckle -0.02

8 barnstorm/ it will barnstorm its way to the next week storm 0.05 9 battle of the bands, U2 will duke it out with an evil version battle 0.04 10 blow up/ Every song has the potential to blow up blow up 0.17

11 blows through the roof through 0.12

12 body of my album body 0.03

13 bounce in the club bounce 0.06

14 brain-bashing manner bashing N/A

Tableau 3 Métaphores du corpus écrit et coefficient lsa (extrait)

Mis à part le terme blow, qui signifie souffler outre le sens d‘exploser (et est donc lié aux instruments de musique à vent), tous les termes reconnus auraient été dépistés comme potentiellement métaphoriques par la méthode qui sera définie infra lors de la critérisation des métaphores.

2.6.2 Oralité : langue en mouvement en instance de fabrication

Autant l‘écrit cache ses métaphores au niveau structurel, les insère dans la prédication en omettant le motif comparatif, autant elles sont facilement repérables au niveau de l‘oral par les marqueurs qui lui sont propres (hésitations, répétitions, pauses). L‘avantage de l‘oral ne s‘arrête pas à la visibilité de ses métaphores, l‘oral établit aussi une distinction entre métaphore lexicalisée et métaphore vive. Les métaphores lexicalisées sont insérées dans le flot discursif au même titre que les usages littéraux alors que les métaphores vives sont concomitantes avec toute une série d‘événements discursifs que Lynne Cameron (Cameron Deignan 2006) nomme metaphoreme, et qui sera repris ici par le terme métaphorème.

Les énoncés métaphoriques à l‘oral sont, de façon prépondérante, argumentatifs, en contraste avec ceux de l‘écrit qui sont davantage tournés vers un pôle poétique. Le discours oral est le domaine de l‘argumentation par excellence et produit donc naturellement des métaphores. Comme le souligne Claire Blanche-Benveniste :

Il est important de savoir que les locuteurs utilisent une grande partie du temps de la production à commenter ce qu‘ils sont en train de dire : remarques sur la façon de dire, recherches sur de meilleures façons de dire, etc. Le dire et le dit sont étroitement imbriqués…(Blanche-Benveniste 1990 :17)

Cette facette du discours oral est le cadre même des EMs, qui sont en majorité des

« recherches de meilleures façons de dire » : « ouais ben c' est oui c' est comme de l' eau c' est c' est vrai que c' est très très fluide et t' as l' impression de ce que que c' est que ça swing » (323, F9).

Reformulations, comparaisons qui elles-mêmes deviennent des métaphores par contact avec les métaphores (cf Benjelloun 2002), répétitions, changements de points de vue, toutes ces formes de commentaires du ‗dit‘ génèrent des EMs, et par définition, ces métaphores ont une certaine vivacité, ne sont pas mortes. Les métaphores vives de l‘oral, et c‘est là leur spécificité et donc l‘intérêt de les étudier à partir d‘un corpus d‘oral spontané, sont à la fois « dit » et remarque sur la façon de « dire ». L‘hypothèse est que cette fonction de la métaphore est repérable à la fois au niveau de la construction des EMs, de leur environnement discursif et de la prosodie, ces deux derniers niveaux étant imbriqués.

Ce fonctionnement en parallèle de la structure et de la prosodie sera appréhendé par une analyse du discours métaphorique oral basée sur la théorie de l‘information. Cela consiste dans l‘optique de l‘étude en un dépassement de la visée syntaxique et discursive et de la traditionnelle grammaire de l‘écrit.

Le mode de l‘oral instaure un système qui permet de produire des métaphores, et plus particulièrement des métaphores vives. Il est important dans la création d‘outils d‘analyse des métaphores de repérer sur quels objets, quelles parties du discours, quelles collocations les métaphores prennent corps. Le corpus permettra de repérer certains des paramètres de la matrice métaphorique (le metaphorème, cf Cameron et Deignan 2006 :1), et ceux-ci semblent correspondre à ceux définis lors d‘études similaires. Ce repérage mène ensuite à l‘établissement de schémas de production de métaphores par l‘examen des points suivants :

 Où elles apparaissent

 Sur quels objets (sémantique)

 Dans quel contexte énonciatif (collocations, marqueurs etc.)

 Dans quel contexte rhétorique (explication, réponse directe à une question).

2.6.3 Motifs de discours produisant des métaphores : la métaphore comme mutation

Le corpus est donc considéré comme un milieu naturel qui va révéler la présence de mutations dans l‘encodage de sens. Ces mutations devront être délimitées sur les deux axes

paradigmatiques et syntagmatiques. Le chapitre suivant tente de mettre en place les critères utiles à ces délimitations. Mais ces mutations ont aussi lieu par rapport à une topique, sans laquelle aucune mutation métaphorique n‘a de sens puisqu‘elle n‘est qu‘écart.

Théorie inférentielle et pragmatique (blends) : vers un conscensus

Parcours, pénétration de la barrière corporelle : les espaces mentaux qui correspondent aux métaphores vives (et mortes) produites lors du discours sur la musique et ses effets sont-ils davantage cohérents avec une théorie inférentielle de la métaphore, ou avec une théorie de modèles cognitifs intégrés (ICM)?

La thématique choisie pour les interviews semble avoir son importance. Que ce soit dans les associations de la musique à un parcours dans un espace spatio-temporel ou à un passage hors et à l‘intérieur de la barrière corporelle, il s‘agit de métaphores fortement ancrées ontologiquement et dans les expériences physiques du sujet. En effet la musique est une onde qui se propage et que l‘on intercepte comme tout signal sonore. Ce signal n‘est pas à ce stade de la musique à proprement parler et la métaphoricité de ces métaphores réside dans cette distinction. Il n‘est qu‘onde physique, et c‘est son décodage émotionnel et mental qui en fait de la musique. La musique est aussi, et ce de façon littérale, un processus où le facteur temps est un paramètre objectif, non métaphorique, qui est lié au rythme et à la composition… La question serait de savoir si lorsque le locuteur F9 file sa métaphore : ‗tu sais que t' as des t'

as des stops à certains endroits t' as des entrées des sorties‘(381, F9), il emprunte seulement

des qualités qu‘il infère des éléments stops, endroits, entrées, sorties, ou si il veut signifier qu‘il y a une équivalence, ou un phénomène commun dans la conduite d‘un morceau de jazz et celle d‘un véhicule le long d‘un parcours physique. En d‘autres termes, tente-t-il de communiquer les deux concepts, ou seulement un seul (le concept cible) enrichi de caractéristiques qu‘il partage avec un autre concept.

IL semble que sans avoir la moindre prétention de résoudre cette querelle d‘écoles, il s‘agit dans le cas de ces métaphores vives, ou plutôt des métaphores les plus vives, d‘un réel effort de la part des locuteurs de s‘emparer et de communiquer des deux concepts présents dans la métaphore (le thème et le phore). Et dans ces métaphores estimées les plus vives par les critères définis par l‘étude même, sitôt amorcée la métaphore est prolongée comme si une fois que le locuteur établit un contact semantico-syntaxique avec le concept, celui-ci paraît correspondre si bien à résoudre le vide lexical qui sévissait qu‘il ne le quitte plus. Les marqueurs à gauche et à droite fournissent un éclairage immédiat à cette question.

ouais c'est un peu comme une carte routière tu sais que t'as des t'as des stops à certains

endroits t'as des entrées des sorties euh mais entre mais entre tu fais ce que tu veux (381,

F3)

Les métaphores vives à l‘oral dans leur balbutiement créatif, sont déclinées, reformulées, filées en proportion avec la justesse que lui confère le locuteur et sa volonté de provoquer chez l‘allocutaire la représentation du véhicule métaphorique: « Une carte routière, entre ». Est-ce qu‘ici ces métaphores prennent naissance à partir d‘un « blend » de deux espaces mentaux qui générerait toutes ces métaphores développant [LA MUSIQUE EST UN CHEMINEMENT], blend qui, au vu des résultats de l‘écrit, semble effectivement être un des modèles cognitifs les plus utilisés dans la production de métaphores dans le cadre du discours sur la musique et blend qui serait présent à l‘esprit du locuteur ? Ou est-ce que la métaphore ici est une association cohérente avec les « possibles métaphorique » dans le cadre de la musique, et qui ne fait que puiser dans les inférences possibles du concept de CHEMINEMENT, auquel semble être associé la production d‘un air de jazz ici.

C‘est, semble-t-il, sur le sens du verbe être dans [LA MUSIQUE EST UN CHEMINEMENT] que repose la solution. Est-ce que la copule est signifie l‘identification, l‘assimilation, la

comparaison ? Et même dans le cas d‘une copule identifiante, identifier ne signifie pas mise en équivalence parfaite. Cette analyse est donc, au travers des emplois métaphoriques sur la musique à l‘oral, aussi une exploration de cette identification.

L‘analyse va redéfinir le concept de vivacité métaphorique à l‘oral et donner un éclairage sur son fonctionnement. Le concept de MUSIQUE est en cela intéressant puisqu‘il est majoritairement développé à l‘oral de façon métaphorique. Comme il existe une tradition métaphorique dans le cadre de ce thème, il existe également des métaphores lexicalisées attestées. Le contraste entre métaphore lexicalisée (morte) et vive est donc d‘autant plus appréciable.

La musique est d‘autant plus intéressante dans le cadre de l‘analyse métaphorique, qu‘elle est un langage compris par tous (même la musique comprise dans la prosodie !) mais par rapport à laquelle on s‘exprime tous avec des représentations à la fois personnelles (choix des métaphores) et communes (il y a un nombre réduit de mappings conceptuels en jeu dans les représentations métaphoriques).

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