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7. LE RÔLE ET L’IMPACT DE L’ÉPARGNE

7.4 L E LIEN ENTRE ÉPARGNE ET PAUVRETÉ

Officiellement tout le monde, gouvernement, représentants de la société civile, bailleurs de fonds,... est d’accord pour lutter contre la pauvreté. Et la microfinance apparaît comme un des leviers essentiels de cette lutte. La seule interrogation, souvent formulée, est de savoir si la microfinance, qui atteint déjà les pauvres est capable d’apporter une réponse aux

“ plus pauvres des pauvres ”.

Cependant, si on veut aller au delà des discours, la réalité et les choix stratégiques deviennent beaucoup plus complexes 31. Le lien entre épargne et pauvreté ne peut être traité sans l’analyse de nombreuses questions préalables.

Comment définir la pauvreté ?

Elle peut être appréhendée par ses manifestations les plus visibles : l’inaccessibilité aux services sociaux de base (soins de santé primaires, eau potable, éducation, hygiène, nutrition,...), aux facteurs de production (terre, capital, crédit, accès au marché,...) ou à la représentation politique. Elle est le plus souvent caractérisée par un niveau (ratio calorique, revenu monétaire) permettant de définir une ligne de partage, ou des pourcentages et des sous catégories (“ les plus pauvres des plus pauvres ”). En dehors des problèmes de mesure et de fiabilité des statistiques, ceci apparaît comme une vision très réductrice de la réalité.

Il existe bien sûr une différentiation sociale à l’intérieur des villages et des quartiers mais celle-ci repose sur des nombreux critères (sexe, âge, “ ethnie ”, profession principale ou caste, ancienneté d’installation, parfois religion, niveau de richesse,...). Pour ce denier critère, il y a davantage un continuum qu’une coupure nette. Tout le monde a plus ou moins de la terre ou des troupeaux, même si la quantité ou la qualité diffère fortement.

Cette différenciation s’accompagne généralement de mécanismes de redistribution et de clientélisme, à l’intérieur de la famille plus ou moins élargie, du village ou du quartier.

En définitive, la pauvreté doit-elle s’analyser au niveau de l’individu ou de la “ famille ” ? Peut-on comprendre la situation des “ pauvres ” sans la mettre en relation avec celle des riches ? (qui souvent leur fournissent du travail et des “ dons ”). La pauvreté n’est-elle pas davantage un processus socio-économique dont il faut comprendre les causes et les effets (notamment d’exclusion des mécanismes de redistribution) plutôt qu’un niveau de revenu ?

A ces définitions relativement objectives de la différenciation sociale, il est nécessaire de s’interroger sur la perception de la pauvreté mais aussi de la richesse par les intéressés. Etre riche, c’est souvent avoir eu de la chance32 mais aussi faire circuler l’argent ou le redistribuer. Et être pauvre, cela signifie ne pas avoir de chance (comme les balok33 en pays Bamiléké) mais aussi ne pas être sérieux. Par ailleurs, le public “ pauvre ” visé par l’intervention de microfinance peut considérer que cette qualification est une atteinte à son honneur et à sa réputation.

Comprendre les rapports entre microfinance et pauvreté et entre épargne et pauvreté nécessiterait donc une approche économique et anthropologique approfondie, avec la caractérisation, par type de réseaux et par pays, des sociétaires/clients, de l’accès au crédit et des pratiques et motivations d’épargne, selon les diverses catégories sociales. Il faudrait également observer les effets induits de l’épargne/crédit sur les revenus, leurs utilisations, les rapports de pouvoir,...

Malheureusement ces différentes études comparatives font défaut et on ne dispose actuellement que d’indications fragmentaires34 .

Quelques réflexions sur les liens entre épargne et pauvreté peuvent cependant être avancées.

La pauvreté constitue-t-elle un frein au développement de l’épargne ?

Une idée reçue est que les pauvres sont par nature des personnes démunies et, partant, incapables d’épargner. Cette assertion est contredite par les faits qui montrent que les pauvres ont un comportement d’épargne (l’épargne est ici une privation pour un but précis : soit pour faire face à des périodes plus dures dans le futur, soit en vue d’acquérir

32 En haoussa par exemple le même mot “ arziki ” désigne la richesse et la chance.

33 Terme Pidgin venant de bad luck.

34 IRAM, Impact des SFD - Etude comparée dans trois pays d’Afrique de l’Ouest Bénin, Burkina Faso, Guinée, 1997.

un bien quelconque tel que bétail à élever, etc.). Ce comportement est cependant plus ou moins marqué selon le niveau de pauvreté ; certaines personnes très démunies ne peuvent pas épargner et dans ce cas, cet état d’extrême pauvreté peut constituer un facteur bloquant pour le développement de l’épargne. Par exemple, dans certaines régions pauvres, les populations sont confrontées à l’impossibilité de se conformer aux exigences d’épargne préalable imposées par les réseaux du fait de leur niveau de pauvreté élevé.

C’est le cas au Burkina où le RCPB a été contraint d’imaginer de nouveaux produits (les CVEC) pour tenir compte de cette situation et ne pas laisser ces populations démunies en dehors de sa cible, l’idée étant de permettre à ces populations, à travers l’accès au crédit, d’entreprendre des activités génératrices de revenus et de pouvoir ainsi constituer progressivement une épargne.

L’analyse des différents réseaux réalisée au cours de cette étude montre que la plupart des grands systèmes Coopec, reposant sur l’épargne préalable et donc favorisant plutôt les classes moyennes, sont en train de créer des nouveaux produits ou de nouvelles formes d’organisation, permettant notamment aux femmes d’accéder aux crédits. Les autres réseaux, avec une épargne concomitante au crédit, souvent obligatoire, arrivent aussi à mobiliser de l’épargne, sans écarter au départ les populations pauvres.

L’épargne comme moyen de lutter contre la pauvreté

Avec des stratégies d’intervention diverses, les systèmes financiers intermédiaires et certains systèmes informels parviennent à collecter l’épargne des communautés rurales et urbaines défavorisées qu’ils recyclent sous forme de prêts à ces mêmes populations. Par ce phénomène de transformation (et grâce à un effet de levier qui permet, avec une petite épargne, d’accéder à un prêt pouvant être 5 à 10 fois plus important), l’épargne permet aux pauvres d’accéder à une masse d’argent critique permettant d’entreprendre des activités génératrices de revenus ; ils peuvent ainsi rembourser leur prêt, dégager un surplus pour améliorer leurs conditions de vie (accès aux soins de santé, à l’éducation, à une alimentation saine, etc.) et réduire leur niveau de pauvreté.

Lorsque l’épargne collectée est insuffisante (zone sahélienne à faible activité économique ou catégories sociales urbaines à faible revenu), les mécanismes de refinancement bancaire ou de lignes de crédit externes, viennent multiplier les efforts consentis par les populations.

Faute de statistiques, il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que l’existence de systèmes intermédiaires et autonomes dans une localité donnée a permis de réduire la pauvreté, mais force est de constater que partout où s’est développée la collecte de l’épargne, les systèmes mutualistes ont pu y accroître leur capacité à octroyer des prêts, avec comme effet d’élever le niveau de vie des populations.

L’épargne pour réduire les risques

Dans un univers à risques élevés, où une maladie, un décès, un incendie,... peuvent déstabiliser l‘équilibre précaire d’une exploitation agricole ou le budget d’une famille urbaine, disposer d’une épargne ou participer à un système d’assurance permet souvent d’éviter de tomber dans les cycles de décapitalisation (vente d’animaux, de céréales, d’équipement,...) et de dépendance vis à vis des usuriers, fournisseurs ou commerçants.

D’une manière plus précise, d’autres enquêtes menées au Bénin montrent que dans le cadre des Coopec, l’obstacle de l’épargne préalable est bien levé dans le cas des femmes par le “ Tout Petit Crédit aux Femmes ” (1994) mais que le problème reste entier pour les

agricole et restent très dépendants des crédits “ usuraires ” des commerçants, d’ailleurs souvent des femmes, pour leurs semences, engrais, et autres intrants.

Dans les systèmes à épargne concomitante (comme en Guinée), avec officiellement des garanties morales venant de groupes de caution solidaire, certains paysans pauvres sont écartés des groupes, et donc du crédit, par les autres membres de la caisse parce qu’ils présentent à leurs yeux des risques plus élevés et n’ont pas de garanties matérielles (bétail, stock de céréales, vélos,...). Le problème de l’épargne préalable n’est donc pas le seul obstacle à l’accès au crédit et aux institutions financières pour les catégories sociales à faible revenu.

Les limites

L’état d’extrême pauvreté n’est pas à priori un facteur qui facilite le développement de l’épargne. Dans la plupart des cas par contre, l’épargne permet de lutter contre la pauvreté dans la mesure où les réseaux la réutilisent pour octroyer des prêts aux populations pauvres. Le risque existe cependant que les réseaux collectent l’épargne auprès des membres dans les zones pauvres notamment dans certains villages situés dans des zones ayant d’importantes ressources agricoles (zones cotonnières par exemple) et l’utilisent en grande partie à octroyer des prêts aux emprunteurs plus solvables situés dans les villes qui ont une plus grande capacité d’absorption et de bien meilleures opportunités.

Les stratégies d’épargne des hommes et des femmes sont très différentes. Les femmes utilisent à la fois le secteur intermédiaire et le secteur autonome et arbitrent à tout moment entre besoins de consommation, besoins sociaux et activités économiques.

Outre son intérêt économique pour les bénéficiaires, l’épargne joue un rôle décisif pour l’institutionnalisation des systèmes, en leur fournissant des ressources autonomes à moindre coût.

Contrairement aux idées reçues, l’épargne avec les nouvelles pratiques actuelles, n’est plus un frein à l’accès aux SFD. Grâce à un effet de levier, elle donne accès au crédit pour développer les activités économiques des sociétaires/clients. Elle permet également de mieux faire face aux risques. Cependant certaines catégories sociales, comme les hommes pauvres, ont beaucoup de difficultés, pour le moment, à accéder aux SFD.

8. Les recommandations et les propositions pour de nouveaux produits

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