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L’interdiction du protestantisme : application dans les coloniesles colonies

La composante religieuse

I.3 Unité de religion : Interdiction du protestantisme

I.3.1 L’interdiction du protestantisme : application dans les coloniesles colonies

L’interdiction du protestantisme, ainsi que de toute religion autre que le ca-tholicisme, se retrouve également dans la correspondance entre le ministère de la Marine à Paris et ses représentants dans les colonies. Contrairement à Paul Reyss qui affirme que, malgré l’interdiction figurant dans les lois mé-tropolitaines, les colonies des Antilles continuent d’accueillir des protestants

167 Lettre patente pour l’établissement de la Compagnie de Saint-Domingue, 1698, FR ANOM COL B 21 F°220.

qui se révèlent utiles pour leur prospérité168, les lettres envoyées entre les An-tilles et le gouvernement démontrent la ferme volonté d’interdire la venue des huguenots dans les colonies. À titre d’exemple, une lettre du ministère de la Marine envoyée au gouverneur de Saint Christophe déplore l’embarquement de protestants dans un navire à destination de l’île169.

Les anciens protestants nouvellement convertis au catholicisme posent aus-si problème à la France dans les îles des Antilles. Le manque de main d’œuvre est l’un des principaux problèmes de l’Empire français, ainsi que nous le ver-rons dans notre chapitre dédié à la politique. Le système des engagés est un contrat selon lequel le signataire s’engage à travailler pour la colonie pendant un nombre d’années défini au terme desquelles il sera libre de s’installer dans la colonie ou de retourner en France170. Or, ce système offre des conditions de vie particulièrement difficiles aux engagés. Une partie d’entre eux est compo-sée d’anciens protestants convertis au catholicisme. Ces nouveaux convertis, souffrant des difficultés liées à leur condition, s’enfuient dans les colonies anglaises voisines dans l’espérance d’une vie meilleure et de renouer avec leur ancienne religion. Ces départs, considérés par les autorités comme des désertions, inquiètent beaucoup le ministère de la Marine qui envoie une cir-culaire aux différents gouverneurs des îles des Antilles pour leur donner des directives afin d’enrayer ce phénomène.

Le présent extrait est issu d’une circulaire et prévoit des mesures strictes pour s’assurer de la religion des nouveaux convertis : ceux-ci doivent être confiés à des familles catholiques de longue date afin que celles-ci les empêchent de déserter et s’assurent de la sincérité de leur conversion :

« Les Capitaines expliqueront s’ils sont de famille religionnaire et nou-veaux convertis et qu’ils empeschent ceux qui seront dans ce cas de tomber entre les mains d’autres habitans que d’anciens catholiques

168 Reyss, Paul,Étude sur quelques points de l’histoire de la tolérance au Canada et aux Antilles, XVIeet XVIIesiècles, p. 48.

169 FR ANOM COL B 21 F°537.

170 Debien, Gabriel,Les engagés pour les Antilles (1634-1715); Huetz de Lemps, Christian,

« Indentured Servants Bound for the French Antilles », pp. 172-203.

auxquels ils deffendront de les donner et d’autres soit mettre en liberté avant le temps de l’engagement expiré sans leur permission. »171

Le ministère de la Marine est également très clair dans sa volonté d’appli-quer l’interdiction de religions autres que le catholicisme. Les Juifs ne sont pas les bienvenus dans les colonies des Antilles, et, contrairement à ce que soutient Paul Reyss, le gouvernement ne tolère pas une mauvaise application des ordonnances royales, ainsi que le démontre une lettre du roi au comte de Blénac, gouverneur de la Martinique en 1694 :

« On a donné un mémoire au Roy pour l’informer qu’il y a actuellement a la martinique six familles juives qui s’y sont establies et y ont acquis des terres ce qui est contraire a l’ordonnance de 1683 que sa majesté a rendue pour en faire chasser ceux que le commerce que les hollandois faisoient aux isles y avoit introduit […] son [le roi] intention qui vous est connue et a laquelle vous n’avez jamais du contrevenir, estant qu’il ne soit permis a aucun marchand ou autre faisant profession de la religion juive de s’establir dans les Isles des colonies françoises de l’Amérique, et si sous quelque prétexte que ce soit vous avez esté porté à en souffrir le Roy veut que vous les chassiez […] »172.

L’interdiction porte donc à la fois sur les protestants et sur les Juifs qui ne peuvent en aucune manière acquérir des terres pour s’installer dans l’une des possessions françaises. Malgré l’avantage commercial que pourrait susciter l’arrivée de marchands de profession de foi différente, la France n’en veut pas dans ses colonies.

Dans un mémoire de 1716 à l’attention de la Compagnie d’Occident portant sur la Louisiane, l’interdiction des protestants et des Juifs en Louisiane est considérée comme une conditionsine qua nonpour le bon fonctionnement de la colonie. Selon ce mémoire la raison :

« […] generalle est que les differences de Religion causent d’abord des discentions en suitte des caballes, ces caballes forment des partis, et ces partis dégénèrent enfin en divisions dont les suittes sont toujours d’un danger infini.

171 8 décembre 1700, FR ANOM COL B 21 F°706v.

172 Le roi au comte de Blénac, 28 avril 1694, FR ANOM COL B 18 F°28.

La raison particulière pour la Louisiane est le Voisinage des anglois fautteurs de touttes de sectes tant protestantes quautres aussy bien que les hollandois, lesquels outre cela veillent toujours a tendre leur commerce par touttes sortes de voyes et touttes sortes de prétextes.

Pour les mesmes raisons, il faut encore moins souffir les Juifs que toutes les autres, ceux du Portugal donnent un bon exemple de s’en garantir. »173

L’explication contenue dans ce mémoire tient surtout à la présence de colo-nies étrangères voisines. Les Français craignent qu’une même religion puisse pousser les marchands français à se détourner de leur pays et à aller com-mercer à l’étranger ce qui serait contraire au régime de l’exclusif appliqué aux colonies174, et très dangereux pour la survie de l’Empire français. Ce mé-moire est particulièrement pertinent car il est écrit à l’intention des dirigeants de la compagnie commerciale en charge de la Louisiane, compagnie dont les intérêts sont avant tout commerciaux. L’argument religieux est utilisé dans une optique de stratégie commerciale : si la compagnie espère faire des bé-néfices avec la Louisiane, elle doit veiller à ce que les ordonnances royales soient appliquées et à n’avoir recours qu’à des marchands catholiques. Dans le cas contraire, elle risque de perdre des sommes importantes, qui seront détournées au profit des colonies étrangères voisines.