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L’ex-cadre du secteur à but lucratif en retraite

2. Qui sont les cadres du secteur à but non lucratif ? A quelles motivations répondent-ils ?

2.4. L’ex-cadre du secteur à but lucratif en retraite

L’engagement au sein d’une fondation ou une association à but non lucratif permet à l’ex-cadre du secteur à but lucratif en retraite de se retirer progressivement de l’activité professionnelle. Sa disponibilité retrouvée, il peut faire valoir les acquis de son expérience professionnelle. Son orientation vers le secteur à but non lucratif satisfait sa motivation d’œuvrer pour un objectif d’intérêt général ou sociétal. Il s’engage souvent bénévolement.

Le tableau ci-dessous résume notre propos.

Catégorie 1 2 3 4

Type Jeune cadre

débutant

Cadre en début de carrière

Cadre

confirmé Retraité – Ex-cadre

Définition du type

Cadre issu de l'enseignement supérieur

s'engageant en début de carrière

dans une

entreprise type ONG

Cadre orientant sa recherche d'emploi exclusivement vers les entreprises du secteur non lucratif

Cadre se trouvant dans une logique de rupture

avec le

monde

capitalistique.

Ex-cadre s'engageant souvent bénévolement au sein d'une fondation ou association agissant dans l'intérêt publique.

Motivation principale

Début de carrière porteur de sens, stratégie de carrière

Orientation

correspondant à une motivation

religieuse ou passionnelle (art, sport,

environnement)

Réorientation

afin de

donner un nouveau sens à la carrière et au travail

Faire valoir

l'expérience professionnelle,

meilleure disponibilité pour un engagement sociétal

Retour vers le monde capitalistique

pas exclu Exclu exclu (après

réorientation) Exclu

Les colonnes 1 à 4 respectent l’ordre chronologique de la réorientation en commençant par le jeune cadre débutant (catégorie 1) jusqu’à l’ex-cadre en retraite (catégorie 4). Les membres de la catégorie 1 (jeune cadre débutant) n’excluent pas un retour dans une entreprise capitalistique. Les membres des catégories 2, 3 et 4 en revanche ne l’envisagent pas, mais restent au sein du secteur à but non lucratif, bien que pour des raisons différentes comme nous allons le voir ci-dessous.

Pour la catégorie 1, l’orientation vers le secteur à but non lucratif pendant un temps limité est relativement récente. Il ne peut s’agir d’une forme de résistance, car cette orientation fait partie d’un plan de carrière avec un passage très probable vers le monde capitalistique.

Depuis très longtemps nous pouvons rencontrer les catégories 2 et 4 au sein des fondations et associations à but non lucratif. Dans les deux cas il s’agit d’une démarche volontaire au début ou après la fin d’une carrière professionnelle. L’orientation pour le cadre en début de carrière ou la réorientation pour l’ex-cadre en retraite n’est pas motivée par une situation subie au sein d’une entreprise capitalistique. Les deux démarches ne constituent donc pas une forme de résistance.

Seule la catégorie 3 semble convenir à notre définition selon laquelle l’expression de la résistance des cadres s’observe par une réorientation volontaire vers le secteur à but non lucratif. Mais quelle est la véritable nature de cette réorientation ? S’agit-t-il d’une rupture

avec le monde capitalistique sans rancune qui permet seulement de satisfaire l’attirance que procurent ces entreprises ayant un vrai engagement sociétal ? Dans ce cas, nous ne pourrions pas parler de véritable résistance. Par contre, le cadre qui estime avoir subi un système capitalistique et veut s’en extraire en cherchant un travail au sein d’une fondation ou association à but non lucratif se positionne dans une logique de résistance par rapport au monde capitalistique. Une enquête systématisée à grande échelle nous donnerait une plus grande certitude sur le pourcentage des cadres pour lesquels ce secteur est un terrain d’expression de leur résistance.

Quoi qu’il en soit, les grandes fondations ou associations à but non lucratif sont conscientes que cette forme de résistance existe et elles sont capables d’en abuser, en faisant un outil de marketing, à l’instar de la fondation d’Auteuil créée en 1866, et reconnue d’utilité publique en 1929. C’est une des très grandes fondations françaises qui emploie aujourd’hui 4 000 salariés repartis sur 160 sites en France.7 L’annonce sur la page suivante est apparue en 2005 dans la revue « La Croix »8.

7 Données du dernier rapport financier 2005-2006.

L’objectif de la fondation est de « permettre aux jeunes en difficulté de devenir des hommes et des femmes

« debout », en leur offrant un cadre rassurant, des règles de vie structurées, une présence attentive et bienveillante notamment à travers l’apprentissage. » Rapport d’activité 2005-2006, p. 1.

8 Information et mise à disposition du contenu de l’annonce par le service RH de la fondation d’Auteuil en décembre 2006.

Managers, donnez du sens à votre carrière,

investissez-vous au service des jeunes en difficulté

La Fondation d’Auteuil, acteur du secteur social et de la protection de l’enfance, de dimension nationale, nous comptons près de 3600 salariés et nous accueillons plus de 7700 jeunes au sein de 150 établissements sociaux et scolaires répartis sur le territoire.

Nous recherchons deux : DIRECTEURS DE REGION NORD / ILE-de-FRANCE

Le Directeur Régional a un rôle complet : membre du comité de direction, il contribue à l’élaboration des politiques de la Fondation, il porte son projet, il est responsable de son développement dans sa région :

La fondation a su attirer avec succès des cadres supérieurs du monde de l’entreprise capitalistique, soulignant la gratification que peut procurer un poste au sein d’une entreprise à but non lucratif. Plusieurs des candidats qui ont répondu à l’annonce faisaient partie du 3ème type de cadre de notre tableau p. 5, c’est-à-dire du cadre confirmé qui se trouve dans une logique de rupture avec le monde capitalistique. Par ailleurs, cette annonce a permis de recruter un cadre informatique et comptable en logique de rupture sur le poste, stratégique pour une fondation, de « Directeur des Relations avec les Bienfaiteurs et de la Collecte des Fonds ».

Conclusion

Notre contribution souligne l’importance croissante du secteur à but non lucratif en France. Nous proposons deux raisons pour expliquer cette évolution :

- d’une part, notre société en général et les entreprises en particulier accordent un intérêt de plus en plus grand aux préoccupations sociétales. Les entreprises s’engagent de plus en plus dans des démarches de développement durable.

- d’autre part, nous observons une réorientation volontaire d’un certain nombre de cadres vers le secteur à but non lucratif.

La question posée sur l’identification du secteur à but non lucratif comme nouveau terrain d’expression des cadres demande à être approfondie car nous ne pouvons pas dire avec sûreté si la réorientation est systématiquement motivée par une volonté de ne plus subir le fonctionnement de l’entreprise capitalistique.

Par ailleurs, un autre aspect met en question le comportement même du cadre se trouvant dans une logique de résistance : la recherche en gouvernement des fondations ou associations nous montre que de nombreuses fondations et associations à but non lucratif gèrent des budgets conséquents, mettent en œuvre leurs missions au sein de structures complexes et redistribuent beaucoup d’argent. De part leur taille, elles se soumettent aux lois comptables et ressemblent de fait à de véritables entreprises capitalistiques. D’ailleurs, le secteur à but non lucratif est aujourd’hui clairement identifié comme une nouvelle forme de capitalisme : le « philanthrocapitalism »9, le capitalisme philanthropique. Face à ce constat, est-ce qu’une carrière professionnelle au sein de ce secteur peut être un véritable modèle alternatif ?

Bibliographie

Archambault, Edith (1996) : Le secteur sans but lucratif. Association et Fondations en France, Paris.

Archambault, Edith (1999) : Le secteur associatif en France. Perspective internationale in : Bloch-Lainé, F (Ed.) : Faire société, la raison d’être des associations d’action sociale, Paris

Buhler (2003) : L’économie du Etats-Unis, une source d’inspiration pour la France in : Buhler, P. ; Light, P. ; Charon, F. : L’économie du don et la philanthropie aux Etats-Unis et en France : Analyse comparée, Paris.

De Laurens, Odile (2005) : Enquête nationale auprès des fondations, dans : Contact. La lettre mensuelle de la Fondation de France / avril 2005 / numéro spécial

9 Sans auteur (2006) : The birth of philanthrocapitalism in The Economist, Vol. 378, Iss. 8466, p.9.

Kaminski, Philippe (2005) : Le compte des Institutions sans but lucratif en France, Rapport de mission, Paris, INSEE

Sans auteur (2006) : The birth of philanthrocapitalism, The Economist, Vol. 378, Iss. 8466.

Le rapport d’activité et financier 2005-2006 de la fondation d’Auteuil est disponible sur le cite www.fondation-auteuil.org