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C - L’estimation ex ante sincère des surcoûts est souhaitable

On ne peut méconnaître les difficultés de prévision des surcoûts OPEX, qui tiennent à l’impossibilité d’intégrer les décisions à venir de lancement d’opérations, à la difficulté d’anticiper l’évolution de la situation géopolitique et sécuritaire des théâtres et donc celle de la réponse militaire apportée (dans le sens d’un désengagement ou d’un engagement plus intense) ou encore à l’évolution de paramètres tels que le coût du pétrole (pour les carburants).

Cependant, une meilleure prévision est possible et devrait pouvoir donner lieu à l’inscription d’une provision plus réaliste en loi de finances initiale et plus sincère au sens de l’article 32 de la LOLF24.

La prise en compte des surcoûts historiques (jamais inférieurs à 600 M€2015 depuis 1999), limités aux années récentes, offre une première approximation. Mais il convient avant

23 Par exemple, part de titre 2, de titre 6, de crédits destinés aux opérateurs.

24 « Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'État. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ».

tout de prendre en compte les opérations existantes au moment de l’élaboration de la LFI25, opérations qui s’installent généralement dans la durée. Les armées ont une vision des surcoûts attendus pour une année N dès la fin de l’année N-1, prenant en compte l’ensemble des opérations en cours et les décisions afférentes connues quant aux conditions de leur poursuite.

Le tableau suivant présente les prévisions successives (en décembre de l’année N-1 et en juin de l’année N) des surcoûts OPEX établies par l’état-major des armées pour chaque année de la période 2012-2015, mises en regard de la dotation prévue en LFI.

Tableau n° 3 :dotation en LFI et estimations des surcoûts OPEX 2012-2015 LFI Estimation en Ecart Explication de l'écart Surcoût

réalisé En M€ déc N-1 déc N-1 juil N en M€ en % T2 HT2* Ex post

2015 450 994 1120 126 13% 6,8 40 80 1116,5

2014 450 923 1099 176 19% 59 66 51 1118

2013 630 708 1255 547 77% non détaillé 1250

2012 630 900 868 -32 -4% 873

* Essentiellement :

- en 2015, acheminements stratégiques (+26 M€) et SIC/communications satellitaires (+10 M€) ; - en 2014, soutien au stationnement (+20 M€) et SIC/communications satellitaires (+12 M€).

Source : Cour des comptes, données état-major des armées

Pour l’année 2012, la prévision de décembre était très proche de la réalité. Pour l’année 2013, le lancement de Serval en janvier explique l’estimation très éloignée de la réalité des coûts effectuée en décembre 2012. Pour 2014 et 2015, les écarts entre la prévision de décembre et celle de juin sont inférieurs à 20 % et sont expliqués. Si des écarts sont relevés, on constate chaque année que l’estimation réalisée par les armées se rapproche davantage des surcoûts observés in fine que la dotation prévisionnelle en LFI.

Les lois de finances rectificatives ont pour objectif d’apporter une réponse à la part d’imprévisibilité des dépenses.

Le choix qui a été fait, de fait, de régler largement en gestion et non en programmation la question des OPEX et de les financer in fine grâce à un recours massif à la solidarité interministérielle en fin d’exercice est discutable. Cette solidarité, à laquelle le ministère de la défense est attaché, pourrait en effet aussi s’exprimer à travers les arbitrages rendus au sein de l’État entre les différentes missions budgétaires dès le stade de la programmation, étant entendu que les économies et redéploiements nécessaires doivent être trouvés y compris au sein de la mission Défense. La situation actuelle évite d’avoir à formuler de façon transparente, au moment de la construction de la LFI, la réalité des contraintes financières liées à la conduite des OPEX et leurs conséquences sur les grands équilibres, en particulier en termes de respect des critères de déficit public fixés par le Traité de Maastrich. Ce faisant, elle empêche le Parlement d’apprécier ex ante le coût des engagements militaires de la France à l’extérieur. L’utilisation en cours de gestion de crédits destinés à d’autres objets, rendue

25 Ainsi, en 2014, la provision de 450 M€ ne pouvait pas couvrir le coût des seules OPEX déjà en cours (733 M€).

nécessaire par la budgétisation insuffisante du coût des OPEX, n’est pas non plus souhaitable, même si cette difficulté est atténuée au sein du programme 178 par la gestion centralisée des trésoreries associées aux différents budgets opérationnels de programme. De fortes tensions de trésorerie ont été signalées par le ministère de la défense, y compris sur le programme 178.

Bien que la LPM n’ait juridiquement aucun caractère contraignant, la construction de la LFI respecte, de fait, pour ce qui concerne le ministère de la défense, le cadre fixé par cette loi. Il est donc regrettable que l’occasion de la révision, en 2015, de la LPM 2014-2019 n’ait pas été saisie pour rétablir une provision d’un niveau suffisant pour couvrir le coût des OPEX.

En effet, comme le souligne le ministère de la défense, « la dotation initiale OPEX ne saurait être ajustée indépendamment de l’équilibre financier de la LPM sur l’ensemble de ses composantes ». Les discussions à venir sur la LPM 2014-2019 et la suivante devront permettre une traduction financière plus exacte et transparente de l’ambition française en matière d’intervention extérieure, qui ne s’est jamais démentie depuis 199026. Ce niveau d’ambition reconnu devrait par ailleurs être un paramètre d’entrée dans la définition du format des armées. La direction du budget a indiqué que « la question de la meilleure prise en compte de l'impact des OPEX dans les lois de finances sera[it] étudiée à l'occasion de la prochaine loi de programmation militaire ».

En pratique, l’objectif d’une budgétisation plus sincère des surcoûts OPEX peut être atteint selon différentes modalités. Le dispositif actuel, dans lequel une dotation est prévue au sein du programme 178 - Préparation et emploi des forces pour couvrir les surcoûts OPEX, pourrait être poursuivi. Il s’agirait dans ce cas de fixer, chaque année, cette dotation au niveau de la meilleure estimation des surcoûts disponible. Ce même montant pourrait alternativement abonder une réserve spécifique placée en dehors de la mission Défense, à l’image de ce qui est pratiqué en Grande-Bretagne (cf. encadré). Dans les deux cas, des variantes prévoyant un abondement en cours d’année de la dotation destinée aux OPEX, permettant de couvrir le coût d’opérations nouvelles, ou dont le prolongement a été décidé par le Parlement, pourraient être envisagées.

26 Pour rappel, l’intervention extérieure constitue une composante structurelle des activités des armées françaises, que le Livre blanc de 2013 a désignée comme l’une des trois fonctions fondamentales des armées, au même titre que la dissuasion et la protection.

L’exemple britannique : une réserve spéciale destinée au financement des OPEX Le budget du ministère de la défense britannique est établi hors coûts des opérations extérieures. Il incorpore toutes les dépenses de défense jusqu’au seuil des engagements.

Le ministère de la défense britannique et celui de l’économie indiquent que « les coûts additionnels des opérations militaires sont financés par la Réserve du ministère de l’économie qui a été augmenté de la Réserve Spéciale créée spécifiquement dans ce but en 2002. Les crédits alloués au ministère de la défense payent pour que les militaires soient prêts pour les opérations, mais les coûts additionnels nets des opérations elles-mêmes sont couverts par la Réserve. »

Les opérations extérieures sont donc budgétées séparément. Elles font l’objet d’une estimation annuelle précise par poste de dépenses (personnel, infrastructures, stocks, matériel, soutien) dans le document qui fait office de projet de loi de finances. Par ailleurs, le document de planification budgétaire pluri annuelle équivalent à la LPM en France prévoit une provision pour les opérations extérieures, appelée réserve spéciale, En conséquence, les opérations extérieures britanniques sont intégralement planifiées et budgétées et la question du financement d’éventuels coûts supplémentaires ne s’est pas posée depuis 2010.

Les dépenses d’opérations extérieures sont ainsi financées à partir de la réserve budgétaire spéciale, mise en place par le ministère de l’économie et des finances et dont le montant correspond aux prévisions de dépenses estimées par le ministère de la défense dans les documents budgétaires précités. Une méthode de détermination des coûts susceptibles d’être pris en charge par la réserve a été agréée entre les deux ministères. Les dépenses présentées sont nettes des coûts que le ministère de la défense aurait engagés (entraînements ou exercices multilatéraux) si les effectifs n’avaient pas été engagés à l’extérieur. Elles comprennent tant les dépenses de fonctionnement que celles en capital et les dépréciations (amortissement ou destruction des matériels par exemple) et les frais financiers.

Jusqu’en 2011-2012, la réserve spéciale a représenté entre 3 et 4 Md£, pour diminuer progressivement sous l’effet du retrait d’Afghanistan et atteindre 1 Md£ en 2014-2015.

Le ministère de l’économie et des finances s’essaie à maintenir un équilibre entre la surveillance des dépenses imputées sur la réserve spéciale et le souci de ne pas interférer avec le bon déroulement des opérations militaires. Les dépenses finales font l’objet d’un examen annuel par le National Audit Office et le Parlement.

IV - L’analyse détaillée des surcoûts des opérations extérieures

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