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L’entreprise monopolistique ne connait pas la crise

Partageant la caractéristique d’être des monopoles ou quasi-monopoles, des entreprises répondantes ont eu aussi pour point commun d’avoir connu des affaires florissantes durant la crise sanitaire.

Être un monopole protègerait-il mieux de la récession ? Trois cas monographiques mettent en évidence que ce type de position dominante sur le marché a certainement été un atout pour contrecarrer les effets négatifs d’une conjoncture déprimée. Cette constatation n’est pas sans faire écho à quelques théories économiques - allant des synthèses néoclassiques aux thèses marxistes - qui considèrent que le monopole est une forme du capitalisme intrinsèquement résistante aux dépressions (Hicks, 1950 ; Lénine, 1917)10.

Le premier cas est celui de la firme GAMA. En fonction depuis 1992, cette PME francilienne d’une trentaine de salariés est spécialisée dans le négoce du chlore gazeux et du matériel associé. Ce type de

10 Hicks, J. R. (1950), A Contribution to the Theory of the Trade Cycle, Oxford, The Clarendon Press.

Rubin, G. (2011/4), Hicks et l’économie de la dépression, in Recherches économiques de Louvain (Vol 77), p.57 à 87.

Lénine, L’impérialisme stade suprême du capitalisme, 2001, Paris, Edition le temps des cerises.

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chlore permet une dilution plus homogène et une désinfection de l’eau plus précise. Cette entreprise a été rachetée en 2009 par un groupe industriel français de 500 salariés auquel elle est depuis rattachée. Bien que de taille modeste, l’entreprise a pour ambition d’investir dans la R et D l’équivalent de 20% de son chiffre d’affaires qui a été supérieur à un million d’€ environ en 2018. L’une de ses réussites en la matière a été le développement du premier module de stockage de chlore gazeux clé en main, conforme à la réglementation d’un stockage soumis à déclaration des ICPE11.

Les clients de cette PME sont essentiellement des professionnels, au statut divers : industriels, piscines municipales, syndicats intercommunaux, régies des eaux, communes, etc. Etienne, un responsable polyvalent dans le domaine technique, administratif et de la formation, décrit le marché dans lequel son entreprise intervient : « (…) c’est une petite structure mais à forte valeur ajoutée. Nous sommes deux en France à proposer ce type de gaz, c’est un produit très spécifique. On travaille dans la désinfection donc on propose du chlore gazeux qui est utilisé pour le traitement de l’eau. Nos clients à 90% ce sont les collectivités soit pour le traitement eau potable soit pour le traitement des piscines ; les 10% restants, ça va être les industriels dans l’agroalimentaire, on ne travaille pas du tout avec des particuliers (…) ».

De par le type de produit qu’elle commercialise, les activités de la PME n’ont pas été impactées par la crise, celles du groupe l’ont été davantage sur sa partie matériaux composites destinés aux secteurs automobile et aéronautique. Le secteur du gaz chloreux a certes subi les à-coups des fermetures des piscines municipales ou publiques mais qui ont été largement compensées par la croissance du segment gaz chloreux à destination de l’eau potable, en plus forte teneur durant la période Covid, Etienne précisant « (…) comme pour l’eau potable, pareil dans l'agroalimentaire, l'agroalimentaire a du coup plus chloré, plus désinfecté, plus nettoyé etc. ». Les investissements décidés fin 2019 ont été maintenus et même accentués en 2020 pour faire face à la demande. La politique d’investissement, comme le rappelle Etienne : « s’est jouée le dernier trimestre 2019, sur la mise en place d'une méthode de désinfection ; en agroalimentaire par exemple on a énormément développé ce secteur-là où avant ils n’avaient pas vraiment de quoi ; c'était soit par javel sans vraiment un vrai dosage, et là on a mis un vrai système de mesure de quantité. En interne on a recruté un commercial en plus et au niveau du groupe, pour notre société on a recruté un technicien de plus ». La seule ombre au tableau a été que la demande soudaine de gaz chloreux a eu pour effet de mettre en quasi rupture les stocks.

Sur ce registre, les contraintes techniques sont fortes puisque le gaz chloreux ne permet pas de constituer des réserves en raison des risques d’explosion. Le conditionnement de ce gaz s’effectue dans des bouteilles spéciales. Lors du premier confinement, la PME s’est donc retrouvée confrontée à un manque d’approvisionnement de ces bouteilles. Dans l’attente de nouvelles livraisons, une solution a consisté à accélérer la rotation des bouteilles chez les clients en allégeant leur maintenance, Etienne précisant : « elles (les bouteilles) sont en train de revenir, on est en train de réaugmenter notre stock aussi, c'est-à-dire qu'on ne fait plus du tout d'entretien sur nos bouteilles pour qu'elles tournent. Donc on s'est préparé (…), on ne se plaint pas on n'est pas une société impactée, nos clients sont contents, c'est ce qu’ils nous ont tous dits, qu'on avait réussi à être présent ». En dépit de cette gestion à flux tendu, toutes les missions envers les publics ont pu être remplies par une sorte de rééquilibrage des besoins entre les clients, Etienne poursuivant : « (…) et puis il n'y a pas eu de coupure dans l’approvisionnement du gaz, pour nous c'est aussi très important parce qu'on ne veut pas être dans une ville où il n'y a plus d'eau potable. Les piscines ont joué le jeu aussi parce que même quand elles étaient

11ICPE : Installation Classée pour la Protection de l’Environnement.

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en sous-effectif donc elles ne vidangent pas donc elles ont encore besoin de chlore, mais le moment où on arrivait plus à fournir parce qu'on n’avait plus de bouteilles toutes les piscines nous ont dit, c'est bon moi j'arrête mettez-le pour l'eau potable ; donc c'est aussi bien ».

Aussi monopole, cette autre société européenne créée début des années ‘80, SPICA SYSTEMES, est un éditeur de logiciels applicatifs en 3D pour qui la crise sanitaire n’a pas eu d’impact direct. Elle fait partie d’un groupe de l’aéronautique qui emploie plus de quinze mille salariés dans le monde.Elle a en charge de développer ces logiciels en recherche de solutions complexes pour ses clients qui sont principalement des entreprises dites des grands comptes, privées ou publiques, comme par exemple EDF, la SNCF, Peugeot PSA, CEA, etc.

L’aspect sécurité des données confidentielles et des solutions est un point important du processus qui en conditionne le déroulement. Compte tenu de l’assise financière du constructeur aéronautique, de la diversité et la taille de ses marchés, ses affaires ont continué à se développer. Comme l’indique Benjamin, responsable formation, : « (…) on est un des leaders mondiaux sur le sujet. Nos logiciels sont plutôt orientés dans le domaine industriel, tous secteurs d'activité mais domaine industriel surtout, et ce sont des logiciels de numérisation d'objets. Donc c'est aussi bien de la modélisation 3D que de la modélisation de processus métier. Très basiquement, si je fais un parallèle Microsoft avec les outils Office ce sont des logiciels qui ont permis de numériser les traitements de texte, Excel, le fait de faire des tableaux à la main, le fait d'écrire du texte sur du papier. La logique, c'est la numérisation. Microsoft a numérisé l'écriture. Et nous, notre cœur de métier, est de numériser des objets, (…) par exemple une voiture avant d'être fabriquée en usine est représentée en trois dimensions à travers un logiciel. C'est comme un dessin en trois dimensions qui est fait par un ordinateur avant même de prendre corps physiquement on a aussi modélisé tout son processus de fabrication ; donc on a dessiné des robots, on a dessiné les mouvements qu'allaient faire les robots pour assembler la voiture etc. On numérise aussi bien une voiture, une usine, l'infrastructure d'une route, d'une ville, on va numériser aussi dans le domaine du médical. Aujourd’hui justement dans le cadre du Covid, il y a beaucoup de recherches qui sont faites pour découvrir de nouvelles molécules, on a des solutions informatiques qui permettent de les modéliser et de les simuler avant même que de pouvoir faire des essais en laboratoire ; pour des projets dans des hôpitaux en Chine, on a modélisé la dispersion des particules dans l'air à travers les systèmes de ventilation etc. ».

Le troisième et dernier exemple celui de VEGA, une multinationale française créée au milieu du XIXème siècle. Elle opère sur le marché de la gestion des ressources et la valorisation des déchets. Sur période récente, celui-ci est devenu plus concurrentiel, sous la pression notamment des nouvelles règles d’attribution des marchés publics prévoyant une mise en compétition de plusieurs opérateurs afin d’empêcher les attentes préalables. Cependant, Véronique, une responsable formation, précise que la multinationale conserve une position de quasi-monopole dans les domaines qui sont son cœur de métier : « (…) on a une partie moins concurrentielle qui est notre cœur de métier sur l’eau et la propreté ». La multinationale est un gros employeur, avec environ 150 000 salariés dans le monde et un chiffre d’affaire de plus de 25 milliards d’€ en 2019. Elle promeut de longue date une offre étendue de formations professionnelles, à travers ses organismes de formation intégrant un grand nombre de filières et préparant à une large gamme de métiers. Ces centres de formation - ces campus - sont partenaire historique de l’Education nationale pour la promotion de l’alternance et de l’apprentissage, mais aussi des centres de formation continue pour adultes et de préparation à la VAE. Véronique est une ancienne dans les effectifs, elle se remémore les évolutions et donne son point de vue sur la