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L’enseignement/apprentissage du lexique en classe de français langue

Outre le fait que le programme ministériel québécois ne réserve pas au domaine du lexique la part qui devrait lui revenir étant donné son rôle actif dans la maitrise de la langue, d’autres raisons contribuent à expliquer pourquoi le lexique ne fait pas l’objet d’un enseignement systématique, et pourquoi on semble accorder moins d’importance au développement de la compétence lexicale et même des connaissances métalexicales des élèves, en comparaison d’autres compétences linguistiques (comme la compétence orthographique ou syntaxique) et d’autres connaissances métalinguistiques (métasyntaxique, entre autres).

2.4.1. Le lexique, trop irrégulier pour être enseigné ?

Selon Léon (1998), l’enseignement du lexique fait face au problème de l’hétérogénéité des contenus et à un manque de stabilité dans l’enseignement. La remarque vaut pour un contexte francophone, mais de par sa nature, le lexique d’une langue est la plupart du temps considéré comme le lieu des irrégularités (Leeman- Bouix, 1994). Si cette perception n’est pas forcément juste et valable7, un tel type de croyance pourrait expliquer que les enseignants se sentent un peu démunis lorsque vient le temps d’enseigner le lexique, et se demandent quoi enseigner et comment. Cela pourrait entre autres expliquer que les pratiques des enseignants se révèlent à la fois très diverses et peu guidées. (Dreyfus (2004) le note du moins pour le contexte français et la remarque nous semble valoir également pour le Québec, même si aucune étude ne s’est à notre connaissance penchée sur la question). D’autres facteurs

7 En un sens, c’est le propre du lexique d’être le lieu des irrégularités, dans la mesure où, comme nous

l’avons déjà indiqué, les règles lexicales sont spécifiques à chaque unité lexicale. Cependant, certaines régularités existent, notamment en ce qui concerne l’organisation du lexique en tant que système, les propriétés générales des unités lexicales, les types de relations lexicales, etc.

peuvent cependant être évoqués, par exemple la tradition scolaire en enseignement de la langue.

2.4.2. La tradition scolaire

Le poids de la tradition scolaire pourrait expliquer pourquoi l’enseignement du lexique se présente un peu comme le parent pauvre de l’enseignement du français. En effet, on a traditionnellement centré les cours de français sur l’enseignement de la grammaire, celle-ci présentant par ailleurs un plus fort degré de régularité que le lexique et s'avérant de ce fait plus facile à enseigner. Nous faisons également l’hypothèse que, plus récemment, l’influence de certaines théories linguistiques mettant la syntaxe au premier plan de la description linguistique (la grammaire générative de Chomsky tout particulièrement) a pu jouer en défaveur du lexique dans la composition des programmes de formation qui servent d’orientation pour la conduite de l’enseignement. Enfin, les manuels scolaires québécois, comme ils sont généralement rédigés en conformité avec les programmes ministériels, ne contiennent pas tout ce que l'enseignant pourrait travailler dans le domaine du lexique.

En lien avec la persistance de pratiques d’enseignement plus traditionnelles, les différentes perceptions qu’entretiennent les enseignants vis-à-vis du lexique peuvent avoir une influence sur les pratiques d’enseignement du lexique.

2.4.3. Les représentations du lexique chez enseignants

On connait peu de recherches ayant porté spécifiquement sur les représentations des enseignants à propos de l’enseignement/apprentissage du lexique8. On sait pourtant

8 Il faut noter qu’aucune des recherches que nous rapportons n’a été réalisée au Québec. Les

conclusions que nous tirons à partir des résultats de ces recherches doivent donc être relativisées, bien qu’elles nous semblent généralisables au contexte québécois. En effet, si l’on considère le programme de formation des élèves, qui contient peu d’éléments notionnels relatifs au lexique, il n’est pas interdit

que les perceptions que se font les enseignants de la matière qu’ils auront à enseigner sont importantes dans la mesure où elles teintent l’enseignement/apprentissage de cette matière (Gilly, 1989). Une recherche récente sur le sujet, réalisée en France (Dreyfus, 2004), semble indiquer qu’au moins certains enseignants sont conscients de l’importance du lexique et des difficultés que peuvent rencontrer les élèves dans la maitrise de ce dernier, sans toutefois y consacrer davantage de temps d’enseignement.

Notre propre expérience d’enseignement universitaire auprès d’une dizaine d’enseignants québécois inscrits dans un programme de formation continue, de même que notre expérience lors de formations données dans des congrès d’enseignants, révèle qu’ils consacrent peu de temps à l’enseignement du lexique, bien qu’ils utilisent des listes de vocabulaire et travaillent le sens des mots à l’occasion (en contexte de compréhension de texte notamment) afin de développer la compétence lexicale des élèves. Ces enseignants avouent également ne pas savoir exactement sur quels contenus faire porter l’enseignement du lexique, probablement parce que les manuels dont ils font usage ne sont pas aussi complets qu'ils pourraient l'être dans ce domaine. Les enseignants mentionnent enfin connaitre peu les notions métalinguistiques permettant de décrire les phénomènes lexicaux. Ces observations nous semblent aller dans le même sens que les résultats de recherche qui indiquent que lorsque les enseignants se prêtent à des expérimentations visant à évaluer l’effet de certaines méthodes pédagogiques sur le développement de la compétence lexicale des élèves, ils se trouvent dépassés, dans un premier temps, par les contenus lexicaux faisant l’objet des activités d’enseignement/apprentissage que leur proposent les didacticiens du lexique (Calaque, 2004).

de penser que les enseignants québécois, qui doivent utiliser le programme en question, se trouvent dès lors peu outillés non seulement pour assurer l’enseignement du lexique, mais aussi pour développer une juste perception de l’importance du lexique et du rôle central de la compétence lexicale dans la maitrise de la langue.

Grossmann (2003), dans le cadre d’une recherche visant à favoriser le développement de la compétence lexicale chez les élèves du primaire en France, note quant à lui que de façon générale, les représentations traditionnelles au sujet de l’enseignement du lexique s’organisent autour de deux perspectives (et la remarque vaut aussi bien pour le contexte français que québécois) : l’enrichissement lexical (relié au « Ils manquent de vocabulaire ! ») et la recherche du mot juste « Il faut dire/ Il ne faut pas dire ». C’est également ce que relève Roquet (1998). Il s’agit là de perceptions et d’orientations plus prescriptives, qui connaissent un certain nombre de limites. Par exemple, la question de l’enrichissement du répertoire lexical masque le fait qu’il ne s’agit pas uniquement d’augmenter le stock lexical de l’élève (ce qu’avaient déjà noté Ehrlich, du Boucheron et Florin (1978) dans une recherche d’envergure sur la question des connaissances lexicales des élèves du primaire), mais aussi de fournir une aide lors des situations de production, ce qui mobilise des compétences de type métacognitif et potentiellement les connaissances métalexicales du sujet, comme le soulignent Jousse, Polguère et Tremblay (2007). Quant à l’autre perspective, celle du mot juste, elle rencontre trois types de problèmes. D’abord, sur le plan théorique, on sait que pour l’expression d’un contenu donné, il n’y a pas qu’un mot juste, mais plutôt différentes possibilités de formulation, ce qui implique des variations de nature lexicale et/ou syntaxique. Ensuite, sur le plan pratique, la perspective du mot juste conduit à ne signaler aux élèves que certaines impropriétés lexicales, sans pour autant leur proposer une aide durant la rédaction. Enfin, la difficulté à établir une norme dans le domaine de l’erreur lexicale (Anctil, 2005) est un élément qui peut compliquer cette situation et qui rend également difficile l’appropriation de critères d’évaluation de la compétence lexicale en situation de production écrite.

L'ensemble des points abordés jusqu'à présent nous conduisent à proposer une synthèse de notre problème général.

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