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3.5.1 Le développement des dents de remplacement est lingual

L’identité buccal et lingual est très importante dans le développement des dents de remplace-ment. En effet, des reptiles [Handrigan et al. , 2010; Handrigan & Richman, 2010] aux mammifères [Járvinen et al. , 2008, 2009] les dents de remplacement se développent à partir de la lame dentaire de succession lingualement à la dent en développement de la génération précédente (figure 3.8A et B). Dans leur revue, Tucker & Sharpe [2004] recensent les mécanismes et les réseaux géné-tiques en jeux au cours du développement des dents de remplacement chez diverses espèces de vertébrés. Je vais plus particulièrement détailler deux réseaux d’interaction impliqués dans ce processus. Tout d’abord, il a été démontré que Sox2, exprimé dans la lame dentaire avec un biais lingual, marque la compétence épithéliale pour générer des dents de remplacement chez les mammifères (furet et humain) et les reptiles (serpent de maïs, python ballon, gecko, alligators et iguanes) [Juuri et al. , 2013] (figure 3.8). Puis, il a été montré qu’une forte activation de la voie Wnt dans l’épithélium oral de souris au stade ED13.5, permet le développement de dents surnuméraires multiples de forme conique simple, à la place des molaires [Járvinen et al. , 2006]. Il est intéressant de noter que la voie signalisation canonique de Wnt est constamment active à la pointe de l’épithélium dentaire et promeut la prolifération cellulaire chez les serpents [Handrigan & Richman, 2010].

Ces données suggèrent une conservation des mécanismes permettant de marquer le côté lingual, et ainsi de différencier le côté buccal du côté lingual, pour permettre le développement des dents de remplacement. De plus, Juuri et al. [2013] ont aussi identifié l’expression linguale de Sox2 dans la lame dentaire de la souris au stade ED16, suggérant la réminiscence d’une dent de remplacement (figure 3.8C).

En conclusion, les données de la littérature suggèrent que le côté lingual des germes de dents est spécifique et différent du côté buccal. De plus, ces données sous-entendent que cette différence entre le côté buccal et le côté lingual est une propriété très ancienne de la dent car elle est établi à travers tous les vertébrés à mâchoire.

3.5.2 L’asymétrie bucco-linguale dans le développement des dents de souris

Que devient cette asymétrie bucco-linguale au cours du développement des molaires de souris, qui ont la caractéristiques de ne pas posséder de dent de remplacement ? La réponse à cette question pourrait nous permettre de comprendre pourquoi les cuspides supplémentaires de la 54

première molaire supérieure de souris se mettent en place du côté lingual et non du côté buccal.

3.5.2.1 Asymétrie bucco-linguale du développement de la première molaire de souris

L’asymétrie bucco-linguale est aussi présente au cours du développement de la première molaire de souris [Cam et al. , 2002; Obara & Lesot, 2007; Lesot et al. , 2014]. Morphologiquement, cette asymétrie se caractérise par une différence de la taille des boucles cervicales entre le côté buccal et le coté lingual. Cependant, cette asymétrie du développement a reçu peu d’attention et n’est pas vraiment bien comprise.

La morphogenèse de la couronne ainsi que la formation séquentielle des cuspides est intrinsè-quement asymétrique dans l’axe bucco-lingual. En effet, au stade ED15, le premier nœud d’émail secondaire (SEK) est mis en place du côté buccal et le second SEK est mis en place du côté lingual une demie journée plus tard (ED15.5-ED16), comme représenté sur la figure 3.9. Cho et al. [2007] étudient le devenir du nœud d’émail primaire (PEK), pour savoir si le PEK participe, au moins en

FIGURE3.8 – Développement des dents de remplacement.

Coupes histologiques de germes dentaires au cours du développement : chez les (A) les reptiles,

B les mammifères à dent de remplacement (tel le furet) et C la souris, accompagnées d’une

représentation schématique. 1g : première génération ; 2g : deuxième génération et 3g : troi-sième génération. Les traits pointillés délimitent l’épithélium. Flèche : formation de la dent de remplacement. Sections tirées de Buchtová et al. [2008]; Járvinen et al. [2009]; Juuri et al. [2013]

Chapitre 3. Le modèle dent

partie, à la formation des SEKs. Par injection de colorant dans des cellules de PEK, les auteurs découvrent qu’une partie de ces cellules contribuent à la formation du premier SEK buccal, la première cuspide à se mettre en place (représentée en vert sur la figure 3.9). Néanmoins, ces résultats sont controversés car le même type de manipulation par injection d’un colorant dans le PEK conclu que les cellules du PEK ne participent à aucun des nœuds d’émail secondaires formés par la suite [Matalova et al. , 2005]. Cependant, Cho et al. [2007] montrent que sur la base de leurs résultats obtenus par injection couplés à des données histologiques montrant la continuité structurelle entre le PEK et le SEK buccal, les auteurs proposent que le PEK maintienne sa position initiale et devienne le SEK buccal alors que le SEK lingual est nouvellement formé plus tard. Bien que les auteurs ne le mentionnent pas, il semble évident à partir de ces données que le PEK/SEK buccal reste en fait à la même position et que c’est la croissance asymétrique du côté lingual qui permet la mise en place d’un nouveau SEK du côté lingual. Enfin, cette asymétrie bucco-lingual du développement du germe de première molaire est transitoire dans la molaire inférieure (ED15 à ED16) alors que cette asymétrie ne se résout jamais dans la molaire supérieure comme elle va mettre en place deux cuspides supplémentaires linguales.

Les approches gènes-centrées ont permis de mettre en évidence quelques gènes et voies de signalisation essentiels au développement asymétrique bucco-lingual de la première molaire de souris. Ainsi, Keränen et al. [1998] observent que les portions buccales et linguales du mésenchyme ont une activité génétique différentes, notamment pour l’expression de Bmp4,Lef-1 et Msx2 quand le PEK est présent, ce qui suggère une identité moléculaire différente entre les deux côtés. La table 3.1 regroupe les gènes dont l’expression est biaisé dans l’axe bucco-lingual au cours du développement de la molaire. Par exemple, il a été observé que la voie de signalisation Hedgehog jour un rôle majeur dans la croissance asymétrique des boucles cervicales dans l’axe bucco-lingual. Ainsi, il a été montré que l’absence d’expression de Shh [Dassule et al. , 2000], Smo [Gritli-Linde et al. , 2002] et Evc [Nakatomi et al. , 2013] perturbe la bonne formation de cet axe bucco-lingual. Certaine études ont aussi mis en évidence le développement de dent surnuméraires du côté lingual. Ainsi, Zhang et al. [2009] montrent que les souris mutantes Osr2−/−sont caractérisées par la formation de dents surnuméraire du côté lingual. Ils répertorient aussi que Osr2 est exprimé suivant un gradient lingual à buccal au cours du développement de la molaire de souris. De même, il a été observé que le mutant Runx2 développe un bourgeon lingual supplémentaire au niveau de la première molaire supérieure , au stade ED14, qui fait penser à une dent de remplacement, dans lequel la voie Hh est fortement activée [Åberg et al. , 2004a; Wang et al. , 2005]. Ainsi, il a été proposé que Runx2 inhiberait la différentiation et/ou la prolifération de cellules épithéliales Sox2 positives, qui sont les cellules compétentes à la formation d’un bourgeon [Togo et al. , 2016]. Or il a été montré que dans les boucles cervicales, un réseau de signalisation BMP-Shh est responsable du maintien des cellules souches Sox2 positives [Li et al. , 2015], ce qui suggère que la même signalisation pourrait se avoir lieu dans la lame dentaire pour permettre les développement d’un bourgeon supplémentaire. Enfin, Kwon et al. [2015] montrent une interaction génétique entre Osr2 et Runx2.

Ces études ont aussi mis en évidence une disparité développemental entre la molaire supérieure et la molaire inférieure. Ainsi, comme mentionné plus haut, le bourgeon lingual se forme uni-quement dans la molaire supérieure et il a été observé que Runx2 est nécessaire seulement dans la molaire inférieure pour l’activation de la voie Hh aux stades ED13-ED14.5 [Wang et al. , 2005] permettant la transition au stade coiffe de la molaire inférieure. Ces observations suggèrent que les programmes de développement entre molaire supérieure et inférieure sont différents. Cette différence des programmes de développement entre molaire inférieure et molaire supé-rieure pourrait expliquer pourquoi la molaire supésupé-rieure de souris met en place deux cuspides supplémentaires.

FIGURE3.9 – Asymétrie bucco-linguale du développement de la première molaire de souris. Épithélia issus de germes entier de première molaire de souris, de 15 jours de développement (ED15) à la forme mature chez l’adulte. La formation des cuspides se déroule séquentiellement du côté buccal vers le coté lingual. Les cupides sont numérotées selon leur ordre d’apparition. Elles peuvent être visualisées sur les épithélia grâce à des hybridations in situ contre Fgf4, qui est un marqueur du nœud d’émail. La première molaire inférieure se compose de 6 cuspides distribuées sur 2 rangées. La première molaire supérieure développe 2 cuspides supplémentaires sur une troisième rangée linguale (colorées en rouge sur la forme mature). Ces cuspides supplémentaires sont les deux dernières cuspides de la molaire supérieure à se former. Notez la croissance asymétrique du côté lingual au stade ED15.5 qui permet la mise en place de la secondes cuspide du côté lingual. L’antérieur est vers le haut, le postérieur vers les bas. (Données provenant du laboratoire).

Chapitre 3. Le modèle dent

Gène biais stade tissu voie remarques ref

Bmp4 buccal 12/13/14 mes BMPs Åberg et al. [1997] 13.5 Chen et al. [1996] 14.5 Jia et al. [2012]

Dlx2 buccal 13 épi Expression dans le MES non biaisé BL

Zhao et al. [2000] Dkk2 lingual 13.5 mes Wnt expression dans MES

non condensé

Jia et al. [2016]

Msx2 buccal

13.5

épi

expression dans corde buccale

Kettunen & Thesleff [1998]

Cho et al. [2007] 15.5 Expression buccale dans

le MES de M1

18.5 Faible expression

buc-cale dans le MES de M1 Osr2 lingual 13.5 mes voie Osr2−/− dents linguales

surnuméraires

Zhang et al. [2009] Ptch1 lingual 14.5 épi Hh Expression dans le MES

non biaisé BL

Dassule et al. [2000]

Pitx1 lingual 14.5 épi Hh Dassule et al. [2000]

Sfrp2 lingual 13.5 mes Wnt expression dans MES non condensé

Jia et al. [2016] Sox2 lingual 13/14/16 épi Exprimé dans les

boucles cervicales à ED16. // Lien avec dents de remplacement des reptiles

Juuri et al. [2013]

TABLE3.1 – Gènes biaisés bucco-lingualement au cours du développement de la première

molaire de souris. épi : épithélium ; mes/MES : mésenchyme ; M1: première molaire supérieure

3.6 Études transcriptomiques du développement des dents de souris