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L’argument religieux dans les écrits de Lescarbot

La composante religieuse

I.2 Catholicisme et empire : la justification religieuse de l’Empire espagnoll’Empire espagnol

I.2.4 L’argument religieux dans les écrits de Lescarbot

Contemporain de Champlain, également présent lors des premiers voyages de l’explorateur en Acadie, Lescarbot153est célèbre pour sonHistoire de la Nouvelle-France154 qui retrace toutes les entreprises et essais d’établisse-ments des Français dans le Nouveau Monde, principalement au XVIesiècle, jusqu’aux derniers voyages effectués par l’auteur lui-même au début du XVIIe siècle. Outre l’intérêt historique des travaux de l’auteur qui est le premier à publier une histoire de la colonisation française, ces ouvrages sont un ma-nifeste en faveur de la création d’un empire français. Avocat de formation,

151 Ibid., seconde partie, pp. 2-3.

152 Jaenen, Cornelius, J.,The Role of the Church in New France, p. 23: «He did believe there could be a beneficial relationship between religious activities and commercial exploitation, however, and that close association between French and Amerindians would result in the assimilation of the natives, in their civilization and conversion, and in commercial and cul-tural advantages for the French.».

153 Sur Marc Lescarbot, voir Thierry, Eric,Marc Lescarbot (vers 1570-1641), Un homme de plume au service de la Nouvelle-France.

154 Lescarbot, Marc,Histoire de la Nouvelle-France, suivie des Muses de la Nouvelle-France, ouvrage publié pour la première fois en 1609.

Lescarbot y exprime de manière claire et précise ses buts, ses objectifs et, pour le sujet qui nous occupe, expose la manière dont l’argument religieux doit, selon lui, être utilisé dans l’Empire français.

Contrairement à Champlain qui ne considère la conversion des peuples au-tochtones que comme un outil permettant de faire des revendications en fa-veur de sa colonie, pour Marc Lescarbot, la conversion des Amérindiens à la foi chrétienne est nécessaire. Il s’agit, selon lui, d’un acte désintéressé :

« Aussi aiment-ils [les Amérindiens] les François universellement, et ne desirent rien plus que de se conformer à nous en civilité, bonne mœurs et religion. Quoy donc, n’aurons-nous point de pitié d’eux, qui sont noz semblables ? Les laisserrons-nous toujours perir à nos yeux, c’est-à-dire, le sçachans, sans y apporter aucun remede ? »155

Cependant, le désintéressement de Lescarbot a lui aussi ses limites. L’His-toire de la Nouvelle-Franceest particulièrement engagée contre les Espagnols et leur manière d’agir dans le Nouveau Monde. Lescarbot les accuse non seulement d’avoir mal agi à l’égard des peuples autochtones en les exter-minant :

« Exemple indigne de Chrétiens, et d’une nation qui veut que l’on croye qu’elle marche d’un zele de religion en la conquéte des terres Occiden-tales, ce que tout homme qui sçait la verité de leurs histoires ne croira jamais. Je m’en rapporte à ce qu’en a écrit Dom Barthelemi de la Ca-sas, Moine Hespagnol, et Evesque de Chiapa, qui a esté present aux horribles massacres, boucheries, cruautés et inhumanités exercées sur les pauvres peuples qu’ils ont domptés […] concluant que les Hespa-gnols ne vont point és Indes y estans menez de l’honneur de Dieu et du zele de sa foy, ni pour secourir et avancer le salut à leurs prochains, ni aussi pour servir à leur Roy, de quoy à faulses enseignes ils se vantent […] »156,

mais il leur reproche surtout leur désir de richesses immédiates au détriment d’une colonisation à long terme. Pour Lescarbot, il importe peu de rechercher

155 Ibid., vol. 1, p. XIII.

156 Ibid., pp. 113-114.

des mines d’or ou d’argent, qui finiront rapidement par se tarir. Il faut cultiver la terre afin de tirer des richesses fiables et durables de ce nouveau continent :

« Revenons à nôtre labourage : car c’est là où il nous faut tendre ; c’est la première mine qu’il nous faut chercher, laquelle vaut mieux que les thresors d’Atabalippa : et qui aura du blé, du bestial, des toiles, du drap, du cuir, du fer, et au bout des Moruës, il n’aura que faire des thresors quant à la necessité de la vie. »157

L’auteur insiste fortement sur la nécessité de la culture de la terre, néces-sité que n’ont pas comprise ses prédécesseurs du XVIesiècle lors de leurs brèves tentatives de colonisation. C’est dans ce but qu’est utilisé l’argument religieux, afin de détourner les marchands français de leur désir de richesses immédiates. La culture de la terre, comme la conversion des autochtones, prend du temps et c’est à cela que doivent s’atteler les Français :

« Les demandes ordinaires que l’on nous fait, sont : Y a-il des thresors, y a il des Mines d’or et d’argent ? Et personne ne demande : Ce peuple-là est-il disposé à entendre la doctrine Chrétienne ? Et quant aux Mines il y en a vrayment, mais il faut les foüiller avec industrie, labeur et patience.

La plus belle mine que je sache c’est du blé et du vin, avec la nourriture du bestial. Qui a de ceci, il a de l’argent. Et des mines nous n’en vivons point. »158

La stratégie de Lescarbot est donc de s’opposer aux agissements des Espa-gnols dans tous les domaines. Il critique leur façon de s’approprier les terres, leur désir de richesses immédiates ainsi que leurs agissements religieux en matière de conversion. L’Espagnol est l’exemple à ne pas suivre et les Fran-çais doivent agir de manière opposée s’ils veulent fonder un empire puissant et rémunérateur.

La politique de conversion proposée par Lescarbot est, comme chez Cham-plain, très proche de celle des Récollets. L’auteur deL’Histoire de la Nouvelle-Francea besoin de voir le nombre de colons augmenter afin de rendre effec-tive la culture de la terre, raison pour laquelle il plaide en faveur de

l’accultu-157 Ibid., vol. 2, p. 525.

158 Ibid., vol. 1, p. 16.

ration159. En se mêlant aux Français, les Amérindiens apprendront leur mode de vie et se convertiront plus facilement :

« Car plusieurs pardeça s’occuperoient volontiers à l’innocente culture de la terre, s’ils avoient de quoy s’employer, et d’autres exposeroient volontiers leurs vies pour la conversion des peuples de delà. Mais il faut au prealable établir la Republique […] Il faut donc premierement fonder la Republique, si l’on veut faire quelque avancement és terres de delà la mer qui portent le nom de France ; et y envoyer des colonies françoises pour civiliser les peuples qui y sont, et les rendre Chrétiens par leur doctrine et exemple. »160

Lescarbot s’oppose également à la politique des Jésuites qui s’efforcent de traduire les termes religieux du catholicisme dans les langues amérindiennes et d’apprendre ces langues afin de pouvoir convertir les peuples autochtones.

Pour Lescarbot, comme pour Champlain, ce sont les Amérindiens qui doivent apprendre le français. En effet, certains termes ne sont pas traduisibles dans les langues amérindiennes. Lescarbot ne croit pas à la traduction de la foi catholique en langue amérindienne puisque les termes religieux n’y figurent pas :

«[…] ni tant de discours de notre saincte Foy, lesquels ne se peuvent ex-primer en langue de Sauvages, ni par truchement, ni autrement. Car ils n’ont point de mots qui puissent representer les mysteres de notre Re-ligion, et seroit impossible de traduire seulement l’Oraison Dominicale en leur langue, sinon par periphrases. Car entre eux ils ne sçavent que c’est de sanctification, de regne celeste, de pain supersubstantiel (que nous disons quotidien) ni d’induire en tentation. Les mots de gloire, ver-tu, raison, beatitude, Trinité, Sainct Esprit, Anges, Archanges, Resurrec-tion, Paradis, Enfer, Eglise, Bapteme, Foy, Esperance, Charité, et autres infinis ne sont point en usage chés eux. De sorte qu’il n’y sera pas be-soin de grands Docteurs pour le commencement. Car par necessité il faudra qu’ils apprennent la langue des peuples qui les voudront reduire à la Foy Chrétienne, et à priser en notre langue vulgaire, sans leur penser imposer le dur fardeau des langues inconneuës. »161

159 Voir point I.4.5.

160 Op. cit., p. IX.

161 Ibid., vol. 2, pp. 384-385.

Ce vaste sujet concernant la langue et l’apprentissage des langues pour les-quelles les Jésuites se révéleront très impliqués sera analysé plus en détails au point 4.1.

Enfin, à l’instar de Champlain, Lescarbot s’oppose à la politique des mar-chands qui est contraire à son objectif de culture de la terre et de colonisation de la Nouvelle-France. Ses critiques à leur encontre reprennent également l’argument religieux selon lequel les négociants sont un frein à la conversion des peuples autochtones car celle-ci ne les intéresse pas. Lescarbot argu-mente donc, grâce à la religion, en faveur d’un empire colonial et réfute l’idée de simples établissements commerciaux dans les lieux auxquels la France s’intéresse :

« On dit qu’il ne faut point empécher la liberté naturellement acquise à toute personne de traffiquer avec les peuples de delà. Mais je deman-deray volontiers qui est plus à preferer ou la Religion Chrétienne et l’am-plification du nom François, ou le profit particulier d’un marchant qui ne fait rien pour le service de Dieu ni du Roy ? Et ce-pendant cette belle dame Liberté a seule empeché jusques ici que ces pauvres peuples er-rans aient esté faicts Chrétiens, et que les François n’ayent parmi eux planté des colonies […] »162.

Jusqu’ici, nous avons vu que différents acteurs de l’Empire français se servent de la religion comme argument susceptible d’appuyer leurs intérêts lors de revendications envers le gouvernement. Les lettres patentes instau-rant l’obligation de convertir et d’apporter le christianisme dans les nouveaux territoires sont ainsi prises très au sérieux. Partant de cette idée, nous allons voir, dans les pages qui vont suivre, quel type de religion et d’évangélisation le gouvernement français désire pour son empire. Nous verrons ainsi que l’idée de biconfessionnalisme auquel les huguenots auraient pu prétendre avec la pacification de l’édit de Nantes n’est bientôt plus qu’un lointain souvenir.

162 Ibid., p. 395.