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L’argument religieux dans les colonies

La composante religieuse

I.2 Catholicisme et empire : la justification religieuse de l’Empire espagnoll’Empire espagnol

I.2.2 L’argument religieux dans les colonies

Aux XVIIeet XVIIIesiècles, la France justifie ses prises de possessions dans le Nouveau Monde grâce à la religion. Afin d’illustrer cela, nous nous arrêterons sur deux colonies, la Guyane et le Canada, pour lesquelles nous observerons la manière dont la religion est utilisée comme justificatif à l’appui d’une re-vendication.

L’argument religieux est particulièrement virulent à Cayenne, en Guyane. Tant au XVIIequ’au XVIIIesiècle, cette colonie représente un gouffre financier pour la France. Les colons y sont trop peu nombreux, le commerce n’y est pas aus-si rentable que dans les îles des Antilles et le climat particulièrement diffi-cile. Il ne semble donc, a priori, pas utile de garder un tel territoire qui coûte plus qu’il ne rapporte à la France ce qui, selon la théorie du mercantilisme que nous verrons aux chapitres suivants, est un non-sens. Pourtant, jusqu’en 1763, la France va tout faire pour conserver cette petite colonie et y appliquer les mêmes règlements et lois qu’au Canada et dans les Antilles. Un mémoire

121 Lettre patente du 8 janvier 1603, FR ANOM COL C11A 1 F°52-57.

datant de 1688, époque à laquelle la colonie coûte plus qu’elle ne rapporte à la France, explique la raison pour laquelle la France ne peut abandonner ce territoire :

«[…] mais Monseigneur ne sait peut être pas que Cayenne est le lieu du monde les plus avantageux pour avancer la conversion d’un nombre infi-ni d’Indiens qui sont dans cette immense etendue de terre, qui sont très dociles & les mieux disposez du monde pour la foy, dont la conversion seroit absolument fermée si les étrangers se rendoient les maistres de Cayenne & le progrez que les missionnaires y ont fait seroit aussi abso-lument perdu. »122

C’est donc la religion, et plus précisément l’évangélisation, qui justifie le choix de conserver la Guyane. Cette région est vue comme une terre contenant des peuples encore païens qui peuvent être convertis au christianisme. La France se doit donc de le faire, sans prendre en compte les coûts et désagréments que cela comporte. Cette théorie appliquée à Cayenne est également celle que l’on retrouve au sujet du Canada, comme le montre un mémoire de 1687.

L’auteur de ce mémoire adressé au ministre de la Marine insiste sur l’impor-tance de financer une armée dans la colonie afin de défendre les posses-sions françaises qui sont en danger. Cette armée est essentiellement jus-tifiée, comme pour la Guyane, par la possibilité de conversion des peuples autochtones. Si les Français réussissent à s’imposer au Canada, ils pourront ainsi convertir des milliers d’âmes au catholicisme :

« Si on considere les merites envers dieu la gloire et utilité que le Roy ti-rera de ce secours il est aisé de juger que jamais despence ne fut mieux emloyée puis quoutre le salut de quantité dames auquel sa M va contri-buer dans ces vastes pays en y establissant la religion elle sy asseu-rera un Empire de pres de milles lieuës destenduë depuis lembouchure du fleuve St Laurens jusqua celle du fleuve Mississipi dans le Golfe de Mexique. Pays descouvers par les seuls françois ou les autres nations qui nont aucun droit dont on tirera dans la suite de grands avantages

122 Mémoire exposant l’importance de Cayenne au point de vue de ses productions et de l’évan-gélisation des Indiens, [vers 1688], FR ANOM COL C14 2 F°108.

pour le commerce et une augmentation considerable des revenus de sa Majesté en ces pays. »123

L’argument économique est important, mais la religion l’est davantage. Lors-qu’il existe des peuples à convertir au catholicisme, la France se doit d’agir.

Sachant que la France justifie son empire grâce à la religion, les gouverneurs et autorités des colonies n’hésitent pas à recourir à l’argument religieux pour défendre leurs idées face au ministère de la Marine et, souvent, dans le but d’obtenir davantage de moyens financiers. Dans l’exemple suivant, l’auteur d’un mémoire de 1692 écrit au ministre de la Marine pour demander des fi-nancements servant à aider les familles de guerriers iroquois qui sont morts au combat aux côtés des Français. Il est particulièrement important pour la France d’aider ces familles afin que celles-ci ne se sentent pas abandonnées par leurs alliés et ne tournent pas le dos à la religion catholique :

«[…] si le roy vouloit bien etendre sa charité jusque sur ces fidelles amis des françois, elle luy seroit d’un grand merite devant Dieu, et à ces nou-veaux Chretiens un nouveau motif bien engageant pour continuer leurs services, voyant quaprez la mort leurs femmes, leurs enfants, et leurs autres parens ne seroient pas delaissez. Il est indubitable que cette li-beralité seroit tres avantageuse à la nouvelle France à qui l’on assureroit le secours de ces vaillans sauvages que les ennemis tâchent par toute sorte de voye de nous ôter, parce que leur manière de faire la guerre dans les bois les deconcerte, et qu’il leur seroit plus aise de nous insul-ter si nous en étions privés. »124

Ce passage montre déjà que le véritable intérêt du gouverneur de la Nouvelle-France ne réside pas dans la conversion des Iroquois, mais dans l’alliance avec cette nation, ainsi que nous le verrons dans notre chapitre dédié à la po-litique de l’Empire français. L’argument religieux se révèle pourtant plus utile vis-à-vis des autorités métropolitaines que la reconnaissance de la faiblesse des Français sur le continent nord-américain.

123 Mémoire pour Monseigneur de Seignelay, 1687, FR ANOM COL C11A 9 F°249.

124 Mémoire pour les Iroquois Chrestiens du Saut en Canada, février 1692, FR ANOM COL C11A 12 F°150.

La religion est donc un argument essentiel pour la France. Les acteurs impli-qués dans l’Empire français y ont recours afin de justifier différentes entre-prises qui n’ont parfois qu’un lien fort lointain avec l’intérêt véritable du ca-tholicisme. Dans les pages qui vont suivre, nous allons étudier les rapports qu’entretiennent avec la religion deux auteurs essentiels pour l’Empire fran-çais, Champlain et Lescarbot. Leurs écrits, publiés au tout début du XVIIe siècle, façonnent la manière dont les autorités concevront leurs colonies dans les années et décennies à venir. Explorateurs, historiens, présents au Canada dès les premières années de colonisation, ces deux hommes imprègnent la politique de la France de leurs idées. Il est donc indispensable d’étudier leur point de vue sur cette composante essentielle de l’empire qu’est la religion.