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L’approche de Racine: Un monde de connaissances à réhabiliter

CHAPITRE 2: RECENSION DES ÉCRITS

2.3. Les théories qui portent sur la production de savoirs dans la pratique au moyen de la

2.3.2. L’approche de Racine: Un monde de connaissances à réhabiliter

(1996, 1997, 2000) en substitue une autre, plus élargie, où la construction de savoirs d’expérience résulte du travail commun. Le fait de s’arrêter à l’expérience individuelle pour parler de production de savoirs paraît réducteur, incomplet et limité, susceptible d’être transformé, médiatisé par les expériences des autres (et peu souhaitable). La production de savoirs pratiques est un processus social de négociation situé dans un contexte, plutôt qu’un processus individuel et d’introspection. En ce sens, Benner et al. (1996, 1997) affirmaient que le savoir se produit à travers le dialogue entre différents points de vue et non seulement de façon individuelle.

En s’inspirant des travaux de Schön, Racine propose cependant d’envisager la production des savoirs d’expérience sous l’angle d’une co-construction de savoirs à laquelle participent des acteurs concernés par un même objet, impliqués dans une pratique commune d’intervention (1997). Cette auteure s’intéresse donc à la dynamique entre l’expérience individuelle et l’expérience collective comme source de savoirs.

Si le praticien construit son savoir dans la pratique quotidienne, cette construction se fait à l’intérieur d’un réseau complexe de relations sociales où s’expriment des valeurs, des croyances et des cultures (Lave, 1991; Racine, 2000). Dans la pratique, les infirmières qui partagent une communauté d’espace sont mutuellement impliquées dans l’apprentissage expérientiel de l’autre. Ainsi, les expériences ne restent pas en vase clos chez l’individu, mais elles sont un vécu qui se construit dans l’interaction et dans l’incorporation de l’expérience des autres: celles des sujets d’intervention (patient, famille, communauté) et celles des pairs (les infirmières).

Selon Dewey (1963), l’être humain vit dans un monde, il fait partie d’un environnement naturel et socioculturel et cette condition a des répercussions sur sa façon de connaître. Cet auteur préconise une conception de l’expérience où doit être reconnu le rôle actif de la personne, tant dans le sens qu’elle donne à son vécu que dans la démarche de réorganisation de son expérience. L’expérience existe dans le temps et prend place et évolue avec le praticien. Chaque expérience a des liens avec les expériences antérieures; l’expérience a donc toujours une histoire (Benner, 1995).

C’est à partir des savoirs antérieurs du praticien et de la nouveauté que représente la situation à laquelle il est confronté qu’une reconstruction des savoirs se fait. Cette dynamique engendre un mouvement d’aller-retour entre le particulier et le général et permet ainsi l’élaboration d’un corpus de savoirs fondé sur l’expérimentation dans la pratique (Racine, 2000). C’est ce processus qui permet au praticien de développer un répertoire d’exemples et de savoirs auxquels il fera appel pour différencier ce qu’il y a de connu et de nouveau dans une situation (conversation avec la situation).

Quand un praticien intervient, il s’engage dans une dynamique double (Racine, 2000). D’une part, l’unicité de chaque situation suscite un dialogue entre les savoirs qu’il a accumulés, c’est-à-dire, le «réservoir de connaissances» (Schutz, 1987) ou le «savoir commun» (Giddens, 1987) et la singularité de la nouvelle situation. Ce rapport mène souvent à une transformation du praticien en même temps que de la situation. D’autre part,

la confrontation des savoirs personnels aux savoirs issus de l’expérience collective des praticiens ajoute une autre voix à ce dialogue. Cette double dynamique modifie et transforme les savoirs et les stratégies d’action du praticien mais aussi du collectif.

Les praticiens s’engagent non seulement dans une «conversation avec la situation», comme Schön l’avait déjà signalé, mais également dans une «conversation à plusieurs voix» (Belenky et al., 1986; Racine, 2000). C’est dans ces échanges avec les autres façons de comprendre une expérience que de nouveaux savoirs émergents. Ainsi, c’est dans la multiplicité des réponses, parfois contradictoires à la situation, qu’un travail de co- élaboration de sens peut se produire (Racine, 1996, 1997).

2.3.2.1. Quelques remarques sur l’approche de Racine Vers une conception plus large du contexte

Il est évident que la production de savoirs pratiques se développe dans un contexte déterminé. Nous devons cependant concevoir ce contexte comme le lieu concret où la pratique se déroule (micro contexte, tel que décrit par Racine) mais aussi dans un sens de macro contexte, en incluant nécessairement l’organisation ou l’institution où ces pratiques ont lieu (Giddens, 1987) et le contexte du nursing comme profession (White, 1995).

Or, dans le domaine de la science infirmière, White (1995) considère le contexte dans un sens plus large en décrivant la cinquième source de savoir infirmier: le sociopolitique. Cette auteure propose de considérer le contexte à partir de deux aspects: la relation patient-infirmière (micro contexte) et le contexte de nursing comme une profession (macro contexte). Les savoirs pratiques sont donc implicites et influencés par la culture professionnelle et institutionnelle (Gibbons et al., 1994).

Si nous considérons les professions comme construits socio-historiques (Couture, 1988, Larson, 1988), la production de savoirs pratiques sera influencée par le contexte

social et historique où la profession se développe. Nous pourrions penser que dans un contexte où la profession infirmière a peu de reconnaissance sociale, où on considère encore les infirmières comme aidantes du médecin et où la formation se termine avec un premier cycle universitaire, les savoirs produits dans la pratique seront, peut-être, différents de ceux produits dans un contexte différent.

Dans le cadre d’une institution ou organisation comme celle du système sanitaire, plusieurs aspects peuvent influencer la pensée, l’agir et la production des savoirs des infirmières: le conflit de valeurs, la perspective infirmière versus celle du patient ou du médecin, l’autorité à agir, la perspective de l’organisation, entre autres. Johns et Freshwater (1998) tiennent compte de quelques-uns de ces aspects mais en relation avec leur influence sur les décisions éthiques des infirmières. Nous considérons que l’identification et la compréhension de ces aspects peuvent permettre d’avoir une plus grande compréhension des savoirs qui se développent dans la pratique infirmière. Par exemple, identifier un contexte où il existe une relation de pouvoir entre le médecin et l’infirmière (domination presque omniprésente du point de vue du médecin) peut aider à comprendre pourquoi les infirmières développent un savoir davantage relié aux aspects biomédicaux qu’aux soins infirmiers (Alasad, 2002; Delgado et al., 2001).

2.3.3. La théorie de la réflexivité de Giddens comme approche