• Aucun résultat trouvé

L’adoption du principe de libre appréciation des preuves

Conclusion du Titre 1

Section 1. L’adoption du principe de libre appréciation des preuves

164. Malgré sa quasi-universalité, le principe de libre appréciation des preuves n’est pas formellement prévu par le Statut. Le paragraphe 2 de l’article 74 précise simplement que les juges fondent leur décision sur leur appréciation des preuves produites et examinées au procès564. Il n’y a pas de référence explicite au caractère libre de cette appréciation. C’est pourquoi les juges sont venus confirmer son adoption à plusieurs reprises (§1).

165. Cette liberté découle également du principe du procès équitable. Ce dernier est garanti par une double exigence : l’indépendance et l’impartialité du juge. Pierre angulaire du procès équitable, ces attributs ont pour principale fonction de protéger les parties contre les dérives éventuelles des juges. A contrario, ils ont aussi pour but de protéger le juge de toute influence dans son appréciation des faits. Dès lors, ils garantissent le respect de la liberté d’appréciation judiciaire des preuves (§2).

§ 1. La confirmation jurisprudentielle du principe

166. Dans les systèmes nationaux de Civil Law, une distinction est effectuée entre la matière civile et la matière pénale. En matière pénale, la prévalence est accordée à une libre appréciation quasi totale, sauf pour certaines infractions ou certains modes de preuve. En matière civile, le système est mixte. Tout en reconnaissant aux juges une liberté d’appréciation probatoire, la loi attribue une valeur probante à certains modes de preuve. La Cour pénale internationale connaît principalement de la matière pénale. Toutefois, une fois la culpabilité établie, la Cour déclenche la phase des réparations, qui est civile. Or, le Statut de Rome ne dispose pas de la valeur probante des modes de preuves, que ce soit en matière pénale ou en matière civile. Le système de preuves légales est donc rejeté pour permettre à la Cour de s’adapter aux nombreuses difficultés entourant la collecte des preuves et leur portée (A). Le caractère implicite du principe dans le cadre textuel de la Cour a conduit les juges à l’affirmer explicitement. Cette reconnaissance jurisprudentielle se manifeste aux différentes phases processuelles devant la Cour (B).

564 Cet article vise uniquement les preuves produites par les parties dans le cadre du procès sur la culpabilité, ce qui exclut donc les preuves présentées lors de la confirmation des charges que les parties ne souhaitent pas présenter devant la Chambre de première instance. Voir Chambre d’appel, Affaire Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Arrêt relatif aux appels interjetés par Jean-Pierre Bemba Gombo et le Procureur contre la décision relative à l’admission en tant que preuves des documents figurant dans l’inventaire des preuves de l’Accusation, rendue par la Chambre de première instance III, 3 mai 2011, ICC-01/05-01/08-1386-tFRA.

Le rejet du système de preuves légales A.

167. Dans les systèmes romano-germaniques, il est récurrent que le législateur restreigne la liberté judiciaire565. Par exemple, en France, la loi prévoit que les écrits authentiques, essentiellement dressés par les notaires, ou également les jugements, font foi de plein droit et que seules l’inscription de faux ou la preuve contraire pour certains actes peuvent remettre en cause l’authenticité de l’acte566. Par conséquent, les juges ne peuvent librement apprécier certains écrits puisqu’ils sont limités par la loi567. En matière pénale, la liberté des juges est restreinte pour les contraventions et quelques délits, qui ne peuvent être prouvés que par certains modes de preuve, en particulier les procès-verbaux568. Ainsi, pour la majorité des délits et des crimes, les juges sont libres d’apprécier les preuves. À l’inverse, certains modes de preuve se voient attribuer une valeur probante diminuée par la loi569. C’est le cas des témoignages anonymes ou de l’aveu recueilli en violation des droits de la Défense570. Le cadre juridique de la Cour ne prévoit pas de telles limitations légales de l’appréciation du juge. D’ailleurs, la Chambre de première instance I a affirmé l’absence de preuves légales. Elle a ainsi précisé que « les auteurs du cadre défini par le Statut ont clairement et délibérément évité de proscrire certaines catégories ou types d’éléments de preuve »571. Cette affirmation se constate par l’absence de valeur probante accordée à l’aveu dans le cadre de l’instance (1) et aux écrits officiels lors de la phase des réparations (2).

565 VERGES E., op. cit., p. 99.

566 Ibid., p. 416-421 et 468-573.

567 MOURALIS J.-L., « Preuve : Règles de preuve », Répertoire de droit civil, juillet 2011, par. 612-614 ; FERRAND F., « Preuve », Répertoire de procédure civile, décembre 2013, par. 541-543.

568 Article 537 du Code de procédure pénale français ; DANJAUME G., « Le principe de la liberté de la preuve en procédure pénale », D., 1996, p. 153-159 ; BUISSON J., « Les limites de l’intime conviction du juge répressif », Procédures, no 5, mai 2000, p. 3-5 ;

569 VERGES E., op. cit., p. 425-247.

570 AMBROISE-CASTÉROT C., « Aveu », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, sept. 2014, par. 81.

571 Chambre de première instance I, Affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Décision relative à l’admissibilité de quatre documents, 13 juin 2008, ICC-01/04-01/06-1399-tFRA, par. 24.

1. L’absence de valeur probante de l’aveu de culpabilité

168. L’article 65 du Statut dispose de la procédure de l’aveu de culpabilité. Le « plea of

guilty » n’est pas perçu de la même manière en fonction des systèmes juridiques572. Dans les systèmes de Civil Law, cette procédure est accueillie négativement étant donné que l’aveu demeure une preuve à apprécier comme les autres573. Les juges de Common Law approuvent cette procédure de manière quasi automatique574. Toutefois, de nombreuses délégations ont exclue cette approche lors de la rédaction du Statut, par crainte des négociations de plaidoyer entre le Procureur et la Défense575. L’article 65 reprend le droit de la Common Law576 et des TPI577. Le paragraphe 1-c précise que la Chambre de première instance doit déterminer si l’aveu est corroboré par toutes les preuves produites par le Procureur. Dans le cas inverse, la Chambre peut considérer que l’aveu est insuffisamment étayé et le rejeter. Le paragraphe 4 est un compromis juridique578 non prévu par les Statuts des Tribunaux579. Malgré l’existence d’un aveu de culpabilité, les juges ne sont pas restreints par celui-ci, et peuvent exiger de la part du Procureur des preuves supplémentaires, voire engager le procès selon les procédures normales. Ce paragraphe montre que la valeur probante de l’aveu n’est pas fixée par le Statut. Au contraire, elle est laissée à la libre discrétion des juges. Ces derniers doivent être convaincus de la validité de l’aveu. L’aveu constitue un élément de preuve parmi d’autres, permettant leur corroboration. Cette discrétion concorde avec le rôle véridictoire des juges conformément au Statut580. Le 5e paragraphe dispose expressément que tout accord concernant la culpabilité entre le Procureur et la Défense n’engage pas la Cour. Cela signifie que si les parties ont conclu un accord sur la culpabilité et la peine, les chambres ne sont pas

572 McCLEERY K., « Guilty Pleas and Plea Bargaining at the Ad Hoc Tribunals. Lessons from Civil Law Systems », JICJ, Vol. 14, no 5, 2016, p. 1112.

573 CADIET L., op. cit., p. 859-860 ; PANDELON G., La question de l’aveu en matière pénale, Thèse de Doctorat, sous la direction de Sylvie CIMAMONTI, Université d’Aix-Marseille, 2012, p. 3, 33, 136, 140 et 187-188.

574 Ibid., p. 1110-1112.

575 GUARIGLIA F., HOCHMAYR G., « Article 65 », op. cit., p. 1632-1631 ; TURNER J. I., « Article 65. Proceedings on an admission of Guilt », in Mark KLAMBERG (dir.), Commentary on the Law of the International Criminal Court, Brussels, Torkel Opshal Academic EPublisher, 2017, p. 476.

576 BOSLY H.-D., « Admission of Guilt before the ICC and in Continental Systems », JICJ, Vol. 2, no 4, 2004, p. 1041.

577 COMBS N. A., Guilty Pleas in International Criminal Law, Stanford, Stanford University Press, 2007, p. 58-59.

578 Chambre de première instance VIII, Affaire le Procureur c. Ahmad Al Faqi Al Mahdi, « Jugement portant condamnation », 27 septembre 2016, ICC-01/12-01/15-171-tFRA, par. 24.

579 TURNER J. I., op. cit., p. 480. À cet égard, dans l’affaire Deronjic, la Chambre d’instance du TPIY a mis en évidence des incohérences entre l’acte d’accusation et l’accord de culpabilité, et a utilisé d’autres éléments de preuve. La Chambre d’appel a considéré que cette méthode de la Chambre était nécessaire pour se convaincre que les faits suffisaient à déclarer l’accusé coupable : Chambre d’appel, Affaire Le Procureur c. Miroslav Deronjic, Arrêt relatif à la sentence, 20 juillet 2005, IT-02-61-A, par. 16.

obligées d’accepter cet accord. Elles peuvent ainsi déclarer invalide l’aveu de culpabilité et enclencher les procédures normales de l’instance. De même, ils peuvent considérer l’aveu de culpabilité comme faisant foi, mais fixer une peine plus lourde ou plus légère que celle proposée dans l’accord des parties. Les juges restent donc libres d’apprécier les preuves permettant de déterminer l’existence de circonstances aggravantes ou atténuantes pour définir la peine. Ces possibilités judiciaires se rapprochent du modèle de Civil Law581, y compris le système français582. L’article 65 du Statut met en exergue à la fois l’hybridité de la Cour et le rejet clair du système de preuve légale.

2. L’absence de valeur probante des écrits officiels lors de la phase des réparations

169. En matière civile, les législations nationales disposent explicitement de la valeur probante de certains écrits. En France, le Code civil prévoit que certains écrits ont pleine foi entre les parties contractantes, comme les actes authentiques ou les actes sous seing privé583. Concernant la propriété immobilière, le registre foncier fait pleine foi en Allemagne et en Espagne584. Il doit être considéré comme correct sauf si une objection a été enregistrée sur celui-ci. À l’inverse, en France ou en Belgique, le cadastre n’a pas de valeur juridique probante. Il ne fait qu’office de commencement de preuve par écrit585. Dans les systèmes de Common Law, les écrits n’ont pas de valeur probante légale, du fait de l’importance accordée aux témoignages. Les législations nationales divergent sur ce point entre des systèmes strictement légaux, des systèmes mixtes ou des systèmes libres.

170. Bien qu’elles soient directement liées à la condamnation pénale, les réparations interviennent dans le cadre d’une procédure civile distincte du procès, voire devant une Chambre différemment constituée. Le Statut de Rome et le RPP ne prévoient pas de disposition imposant la valeur probante des écrits à évaluer lors des réparations. Dès lors, les Chambres sont libres de les apprécier. Dans l’affaire Katanga, la Chambre de première instance a précisé tenir compte du fait que les victimes ne possèdent pas nécessairement les

581 ICC-01/12-01/15-171-tFRA, par. 27 ; CRYER R., et al., op. cit., p. 468.

582 Voir par exemple l’article 428 du Code de procédure pénale français ; BLANC A., « La preuve aux assises : entre formalisme et oralité, la formation de l’intime conviction », AJ Pénal, 2005, p. 272 ; HODGSON J., « Guilty Pleas and the Changing Role of the Prosecutor in French Criminal Justice », Warwick School of Law Paper Research, no 2010/15, juillet 2010, p. 11-14, disponible en ligne sur SSRN :

https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1650571.

583 MOURALIS J.-L., op. cit., par. 612 ; FERRAND F., op. cit., par. 541.

584 Article 892 du BGB ; Article 35 de la Ley Hipotecaria.

preuves authentiques pour établir la propriété de biens immobiliers, mobiliers ou agricoles586. Elle a rappelé que la Défense a exigé des juges une grande prudence en appréciant les preuves produites par les demandeurs. Dans ce cadre, la Chambre prend en compte les différents écrits, indépendamment de leurs intitulés, présentés par les victimes pour attester de la possession d’une propriété détruite pendant l’attaque de Bogoro. Elle considère que ces documents sont crédibles du fait de leur contenu. Leur fiabilité ressort également par la présence des signatures d’un officier civil de la RDC et celle d’un témoin qualifié de crédible lors du procès contre Katanga587. La Chambre utilise aussi son pouvoir discrétionnaire pour apprécier des documents pour déterminer la perte de bien mobilier et de bétail588. Ce système d’attestations établies par une personne disposant d’une position d’autorité dans la communauté locale a été repris par la Chambre de première instance VIII dans l’affaire Al-Mahdi589. Les juges ont donc apprécié librement les écrits produits, sans être restreints par des règles légales, contrairement à certains systèmes nationaux.

171. Ces deux points démontrent le rejet évident du système de preuve légale au sein du Statut. En conséquence, le principe de la liberté judiciaire d’appréciation des preuves s’applique. Les Chambres de la Cour l’ont formellement reconnu au cours des différentes phases processuelles.

La reconnaissance jurisprudentielle du principe B.

172. Le Statut de Rome ne prévoit pas expressément le principe de libre appréciation des preuves590. L’article 69-4 précise que les juges peuvent se prononcer sur la pertinence de tout élément de preuve. L’article 74 du Statut dispose en son paragraphe 2 que la Chambre de première instance doit fonder sa décision sur son appréciation des preuves produites par les Parties. Ces deux articles accordent, de manière implicite, une liberté d’appréciation des preuves. De plus, la règle 63-2 du RPP dispose que « les Chambres sont habilitées, en vertu du pouvoir discrétionnaire visé au paragraphe 9 de l’article 64, à évaluer librement tous les moyens de preuve présentés en vue d’en déterminer la pertinence ou l’admissibilité comme le prévoit l’article 69 ». Combinés, ces articles mettent en évidence que les juges possèdent un

586 Chambre de première instance II, Affaire Le Procureur c. Germain Katanga, Ordonnance de réparation en vertu de l’article 75 du Statut, 24 mars 2017, ICC-01/04-01/07-3728, par. 53.

587 Ibid., par. 81-82.

588 Ibid., par. 87-105.

589 Chambre de première instance VIII, Affaire Le Procureur c. Ahmad Al Faqi Al Mahdi, Décision relative au projet de plan de mise en œuvre des réparations présenté par le fonds au profit des victimes, 12 juillet 2018, ICC-01/12-01/15-273-Red-tFRA, par. 54 et 61.

590 CHLEVICKAITE G., HOLA B., BIJLEVELD C., « Judicial Witness Assessments at the ICTY, ICTR and ICC – Is there a ‘Standard Practice’ in International Criminal Justice ? », JICJ, Vol. 18, no 1, 2020, p. 186-187.

pouvoir discrétionnaire pour apprécier les preuves aux différentes phases procédurales devant la Cour. D’ailleurs, l’analyse de la jurisprudence de la Cour permet de constater une application large de ce principe de libre appréciation probatoire à la fois dans le cadre de la phase préliminaire (1), celle du jugement (2) et celle des réparations (3). Les opinions individuelles et dissidentes sont également un signe de cette liberté d’appréciation (4).

1. La libre appréciation probatoire lors de la phase préliminaire

173. Dans les différentes décisions relatives à l’ouverture d’une enquête, les Chambres ne font pas expressément référence à leur liberté d’appréciation des preuves. Toutefois, il ressort d’une analyse littéraire de ces décisions que les Chambres ont apprécié les preuves de manière libre pour rendre leur verdict. Il convient de constater que l’appréciation des preuves est restreinte par le contre-examen limité des preuves par la Défense. La Chambre doit évaluer les preuves avec prudence591, tout en respectant le faible standard de preuve applicable. Par exemple, la Chambre préliminaire II, dans la situation kényane, a précisé qu’elle établirait son propre examen de la gravité des affaires potentielles592. Dans la situation ivoirienne, la Chambre préliminaire III s’est octroyé la possibilité d’évaluer les preuves par rapport à la commission d’actes de torture, de viol et de pillage, alors que le Procureur n’avait pas émis de telles allégations593. Les juges ont librement apprécié les preuves en considérant que d’autres infractions que celles alléguées par le Procureur avaient pu être commises par les groupes armés en présence, et que l’analyse des preuves mettait en évidence ces infractions additionnelles. Toutefois, la Chambre préliminaire III a probablement outrepassé son pouvoir de contrôle en recherchant l’existence d’infractions supplémentaires594. À diverses reprises, les juges précisent qu’ils ont examiné les différents éléments de preuve pour déterminer si les allégations du Procureur sont correctes. Par exemple, dans la décision relative à la situation en Géorgie, les juges ont estimé que les informations recueillies indiquent de manière raisonnable que le conflit était international595. Concernant la situation relative aux vaisseaux

591 Chambre préliminaire III, Situation en République de Côte d’Ivoire, Opinion individuelle et partiellement dissidente de la juge Fernandez de Gurmendi sur la Décision relative à l’autorisation d’ouverture d’une enquête dans le cadre de la situation en République de Côte d’Ivoire rendue en application de l’article 15 du Statut de Rome, 5 octobre 2011, ICC-02/11-15-Corr-tFRA, par. 37.

592 Chambre préliminaire II, Situation en République du Kenya, Décision relative à la demande d’autorisation d’ouvrir une enquête dans le cadre de la situation en République du Kenya rendue en application de l’article 15 du Statut de Rome, 31 mars 2010, ICC-01/09-19-Corr-tFRA, par. 189.

593 Chambre préliminaire III, Situation en République de Côte d’Ivoire, Décision relative à l’autorisation d’ouverture d’une enquête dans le cadre de la Situation en République de Côte d’Ivoire rendue en application de l’article 15 du Statut de Rome, 15 novembre 2011, ICC-02/11-14-Corr-tFRA, par. 83-86, 144-148 et 162-169.

594 ICC-02/11-15-Corr-tFRA, par. 43-45.

595 Chambre préliminaire I, Situation en Géorgie, Decision on the Prosecutor’s request for authorisation of an investigation, 27 janvier 2016, ICC-01/15-12, par. 27.

comoriens, les juges ont considéré que le Procureur avait commis plusieurs erreurs d’appréciation des faits et éléments de preuves collectés, en particulier sur le caractère faux de certains témoignages596. De la même manière, dans la décision autorisant l’ouverture d’une enquête au Burundi, la Chambre a précisé que le Procureur a adopté une vision restrictive des informations pour déterminer si la situation était constitutive d’un conflit armé non international. Elle lui recommande d’obtenir plus d’informations et d’éléments lors de son enquête pour clarifier sa position sur ce point597. Ainsi, les Chambres ont implicitement reconnu et mis en œuvre leur liberté d’appréciation probatoire.

174. L’étude des décisions délivrant un mandat d’arrêt des diverses chambres de la Cour, pour une cinquantaine de suspects598, ne permet pas de relever des indications relatives à l’évaluation des preuves. Les Chambres ne font pas de références explicites à leur libre appréciation des preuves produites par le Procureur. Dans l’affaire Yekatom, la Chambre préliminaire II a clairement apprécié librement les preuves pour parvenir à sa décision. Elle a statué que les preuves présentées par le Procureur ne donnaient pas suffisamment de motifs raisonnables de croire que les actes décrits constituaient des crimes prévus par le Statut de Rome599. Ces décisions sont peu utiles pour illustrer l’application du principe de libre appréciation des preuves.

175. Dans le cadre de la phase de confirmation des charges, les juges emploient, de manière indifférenciée, les termes d’appréciation (« assessment » en anglais) ou d’évaluation des preuves. La divergence de terminologie n’est pas importante, les deux mots ayant une signification équivalente. Elle correspond à une appréciation raisonnée, logique et cohérente des éléments de preuve produits par les parties. Lors de la rédaction des décisions de confirmation des charges, et selon une jurisprudence constante, les juges ne font référence qu’aux éléments de preuve qui permettent de motiver la décision adoptée. Cette pratique ne signifie pas que les éléments de preuve non référencés dans la décision n’ont pas été analysés par les juges. Au contraire, ils se sont avérés superfétatoires dans l’appréciation des preuves au stade de la confirmation des charges étant donné que les faits allégués sont suffisamment

596 Chambre préliminaire I, Situation sur les navires battant pavillon comorien, grec et cambodgien, Decision on the request of the Union of the Comoros to review the Prosecutor’s decision not to initiate an investigation, 16 juillet 2015, ICC-01/13-34, par. 36.

597 Chambre préliminaire III, Situation en République du Burundi, Décision Pursuant to Article 15 of the Rome Statute on the Authorisation of an Investigation into the Situation in the Republic of Burundi, 25 octobre 2017, ICC-01/17-9-Red, par. 141.

598 Voir Annexe 2.

599 Chambre préliminaire II, Affaire Le Procureur c. Alfred Yekatom, Mandat d’Arrêt délivré contre Alfred Yekatom, 11 novembre 2018, ICC-01/14-01/18-1-Red-tFRA, par. 20-21.

établis par d’autres preuves ou qu’il n’y a pas de contradiction apparente dans l’appréciation globale des preuves600. Cet usage démontre que les juges sont non seulement libres d’apprécier les preuves, mais également libres dans la citation des preuves dans leur motivation en fonction, justement, de l’appréciation effectuée.