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L’évolution des procédures et de l’appréhension du risque : un changement

Le médicament est un produit particulier destiné à satisfaire des besoins de santé tout en étant un élément clé de certaines économies nationales. La défini-tion du risque accepté et acceptable peut évoluer en foncdéfini-tion des intérêts privi-légiés.

59 Règlement (CE) 507/2006 de la Commission, du 29 mars 2006, relatif à l’autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, JO n° L 92 du 30.03.2006, pp. 6-9.

60 Règlement 507/2006, art. 2.

61 Règlement 507/2006, art. 4.

1. L’équilibre fragile entre bénéfice et risque

Un médicament n’est pas destiné à léser les patients. Il doit au contraire être développé, produit et distribué dans l’objectif de guérir ou de prévenir des maladies, ou bien encore d’établir des diagnostics médicaux. Cependant, au-cune substance médicamenteuse n’est vraiment inoffensive et les médicaments peuvent avoir des effets indésirables et représenter des risques qui vont devoir être analysés au regard des avantages attendus. C’est par conséquent l’équilibre entre bénéfice et risque qui est déterminant dans la procédure d’AMM. Dans le cadre des procédures accélérées, le risque accepté devient plus important puisque les données sur le produit ne sont pas complètes.

L’objectif recherché est toujours la sécurité des patients, ce qui est souligné par la condition selon laquelle le rapport bénéfice-risque doit être positif62. Cepen-dant, cet objectif est aussi en concurrence avec d’autres objectifs qui sont ceux d’apporter une réponse plus rapide aux patients pour lesquels il n’existe pas d’alternative satisfaisante, d’une part, et de favoriser et encourager la re-cherche et le développement de nouveaux médicament en facilitant leur mise sur le marché, d’autre part. Les buts de la régulation du médicament poursui-vis par le législateur européen ont toujours été multiples. La directive 65/65 mentionnait déjà clairement les objectifs essentiels de sauvegarde de la santé publique et de respect du développement de l’industrie pharmaceutique et des échanges de médicaments au sein de la Communauté.

2. Les projets d’autorisation « adaptive » de mise sur le marché des médicaments

Depuis quelques années cependant, l’objectif de soutien à l’innovation a pris une dimension encore plus importante63. La poursuite de cet objectif peut se faire de différentes manières64. Concernant les procédures d’AMM, une ré-flexion favorable au développement d’une procédure permettant un gain de temps important pour un nombre plus élevé de médicaments que dans le cas des procédures accélérées actuelles – voire pour tous les nouveaux médica-ments65 – a été menée au sein de l’EMA. L’Agence a ainsi lancé en 2014 un

62 Certains auteurs considèrent que l’obligation d’un rapport bénéfice-risque positif dans le cas des procédures accélérées d’AMM n’est pas respectée. Voir en ce sens :LA SANTOS QUINTANO Ancel,

« AMM « fractionnées » : mise en danger des patients et capture de la régulation », Conférence-débat Pilule d’Or Prescrire 2016, p. 2.

63 COM (2008) 666 final.

64 Voir les propositions formulées dans le rapport suivant : United Nations Secretary-General’s High-Level Panel on Access to Medicines Report, Promoting innovation and access to health technologies, 2016.

65 Proposition formulée par les auteurs suivants : EICHLER Hans-Georg et al., « Adaptive Licensing : Taking the next step in the evolution of drug approval », in Clinical Pharmacology and therapeutics (Alexandria) 2012 III pp. 426-437. En revanche, l’EMA, dans son rapport final sur son projet pilote mené de 2014 à 2016, a considéré que cette approche n’était pas adaptée pour tous les

médica-programme de recherche autour de l’idée d’une autorisation « adaptive » de mise sur le marché des médicaments, aussi appelée « AMM fractionnée » selon la traduction choisie pour le concept original d’adaptive licensing ou adaptive pathways. En théorie, l’autorisation fractionnée doit pouvoir être attribuée à partir de l’évaluation de données très limitées issues des résultats cliniques obtenus pour un groupe de patients très restreint. Une fois autorisés et mis sur le marché, les médicaments continuent à être testés en « grandeur réelle ». Les données collectées ne résultent plus d’essais cliniques conduits selon les règles de l’art66, mais de données collectées à travers des études post-AMM devant permettre d’affiner peu à peu les données concernant l’efficacité et la sécurité du médicament67. L’EMA résume ainsi sa proposition : « adaptive pathways seeks to balance timely access for patients who are likely to benefit most from the medicine with the need to provide adequate evolving information on the benefits and risks of the medicine itself »68.

Il est trop tôt pour formuler un avis sur l’évolution envisagée par l’EMA.

Pour autant, il est possible de constater qu’elle repose sur une approche du risque et de la protection de la sécurité des patients différente de celle qui a prévalu pendant plusieurs décennies en Europe. Alors que le principe tradi-tionnel était l’assemblage des preuves de l’efficacité et de l’innocuité avant dis-tribution à plus grande échelle des médicaments, il s’agit désormais d’observer et d’assembler les preuves une fois le médicament sur le marché. Selon l’EMA, le système européen de pharmacovigilance serait d’ailleurs aujourd’hui suffi-samment performant à cet effet69. Cette affirmation est discutable. D’une part, le législateur européen de 2010 ne voyait pas forcément la pharmacovigilance sous cet angle. Il est en effet bien précisé dans la directive 2010/84 « qu’un ren-forcement du système de pharmacovigilance [ne doit pas conduire] à l’octroi prématuré des autorisations de mise sur le marché »70. D’autre part, l’efficacité complète du système de pharmacovigilance est très largement dépendante de la participation engagée des détenteurs d’AMM qui sont tenus de fournir de manière transparente toutes les informations détenues sur leurs médicaments

ments. Le groupe concerné reste cependant très large puisqu’il s’agit des médicaments pour les-quels il est difficile de rassembler des données. Le rapport donne comme exemple les médicaments destinés aux maladies infectieuses, à la maladie d’Alzheimer, aux maladies dégénératives et certains cancers. Voir : EMA, Final report on the adaptive pathways pilot, 28 juillet 2016, EMA/276378/2016.

66 Voir : DAGRON Stéphanie, « Aktuelle Rechtsrahmen und Anforderungen für die Durchführung von klinischen Prüfungen in der Europäischen Union », in Christian Lenk et al. (édit.), Handbuch Ethik und Recht der Forschung am Menschen, Berlin, Heidelberg (Springer) 2014, pp. 525-530.

67 EMA, Final Report on the adaptive pathways pilot, op. cit. note 65.

68 Ibid.

69 Ibid.

70 Directive 2010/83, considérant 10.

dans le cadre du contrôle post-AMM. La réalisation pratique de cet engage-ment fait l’objet aujourd’hui comme hier de larges interrogations71.

IV. Conclusion

La directive 85/374 relative à la responsabilité civile du fait des produits défec-tueux prévoit que la responsabilité du producteur n’est pas engagée lorsque

« l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui n’a pas permis de déceler l’existence du dé-faut »72. L’Union européenne a développé un cadre règlementaire très précis et contraignant visant à assurer qu’au regard des connaissances scientifiques ac-tuelles, les risques engendrés par les médicaments soient les plus réduits pos-sible, la protection de la sécurité des patients et consommateurs figurant au premier plan de ses préoccupations. Pour autant, ce cadre est fragile. Les choix réalisés en faveur d’un renforcement des contrôles avant mise sur le marché des médicaments contribuent très certainement à l’augmentation des coûts de recherche et développement et au ralentissement du développement de nou-veaux médicaments alors pourtant qu’il existe des besoins pressants dans de nombreux domaines comme celui des antibiotiques. L’encouragement de l’innovation et de la recherche doit-il pour autant passer par une accélération des procédures et un transfert toujours plus accentué des risques vers les pa-tients dépourvus en supplément de moyens juridiques pour se retourner contre les détenteurs d’AMM ? Ou bien existe-t-il d’autres voies moins ris-quées pour les patients ? La question demeure posée.

71 Voir en ce sens SPRECHER Franziska, « Transparenz – Ein Grundprinzip des Rechtsstaats und seine Bedeutung im Gesundheitsrecht, insbesondere im Heilmittel- und Humanforschungsrecht », Zeit-schrift für Schweizerisches Recht (Bâle) 2016 II pp. 139-250.

72 Directive 85/374 art. 7 e.

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