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Introduction générale

1.3 De l’importance d’étudier le cycle de l’azote

1.3.2 L’étude du cycle de l’azote dans les sédiments marins

L’azote est un élément essentiel au développement de la vie puisqu’il est le composant principal des protéines et des acides nucléiques (Gruber and Galloway, 2008). Les micro-organismes l’utilisent comme donneur ou accepteur d’électrons ce qui renforce son rôle central dans les processus biogéochimiques.

L’azote reste considéré comme limitant pour la production primaire indispensable à tout le réseau trophique océanique (Falkowski et al., 1998; Capone, 2000; Thamdrup and Dalsgaard, 2008). Le cycle de l’azote est caractérisé par deux processus majeurs s’opposant (Figure 10) : la nitrification et la dénitrification. Le premier se réalise en présence d’oxygène et correspond à une oxydation de l’ammonium en nitrates, le second est un processus réalisé en absence

d’oxygène réduisant les nitrates en gaz : N2O ou N2 (Figure 10). Des études recensent à

présent d’autres processus qui peuvent devenir majoritaires dans certains écosystèmes, notamment, l’oxydation anaérobie de l’ammonium (anammox) ou la réduction dissimilatrice des nitrates en ammonium (RDNA) (Figure 10).

Ce cycle dépend largement des conditions oxiques de l’écosystème considéré. Ainsi, en conditions oxiques, le processus de nitrification consomme fortement l’ammonium alors que ce dernier tend à s’accumuler dans les zones dépourvues en oxygène (Ward et al., 2011). Dans les sédiments cohésifs, la couche oxique est très fine (Brotas et al., 1990; Wilson et al., 1993) et la macrofaune crée des micro-niches oxygénées dans les zones anoxiques (Laverock et al., 2011). Les sédiments cohésifs sont donc pourvus de micro-habitats propices à la coexistence de processus aérobies et anaérobies. Dans le cas du cycle de l’azote, ces micro-niches sont le siège d’un couplage nitrification-dénitrification intense (Laverock et al., 2011). La suite de cette partie détaillera ces réactions et les marqueurs moléculaires associés. Les voies métaboliques ainsi que les marqueurs utilisés jusqu’alors peuvent parfois être critiquables et la communauté scientifique reste encore très prudente sur les concepts utilisés. Notre savoir grandit mais de nombreuses voies métaboliques liées au cycle de l’azote restent inconnues ou peu comprises encore de nos jours. Ceci oblige donc à être prudent sur certains concepts et certaines réactions seront abordées avec beaucoup de précautions.

Table 3. Enzymes majeurs impliqués dans le cycle de l'azote et détails des réactions qu'elles catalysent, issu de Jetten et al. (2009).

Processus/ enzyme Réaction Localisation

Nitrification Ammonia monooxygénase NH4+ + O2 + H+ + 2e NH2OH + H2O transmembranaire Hydroxylamine oxydoréductase NH2OH + H2O NO2 - + 5H+ + 4e- périplasme Nitratification/anammox Nitrite oxydoréductase NO2- + H2O NO3- + 2 H+ + 2 e -associé à la membrane Hydrazine hydrolase NH4+ + NO + 2H+ + 3e- N2H4 + H2O anammoxosome

Hydrazine

oxydoréductase N2H4 N2 + 4H+ +4e- anammoxosome

Denitrification & RDNA

Nitrate réductase NO3- + 2H+ + 2e- NO2- + H2O associé à la membrane, périplasme ou cytoplasme Nitrite réductase NO2- + 2 H+ + 2e- NO + H2O périplasme Oxyde nitrique réductase 2NO + 2H+ + 2e N2O + H2O transmembranaire Oxyde nitreux réductase N2O + 2H+ + 2 e N2 + H2O périplasme Réductase dissimilatrice des nitrites NO2- + 8H+ + 6e NH4+ + 2H2O * * reporté à l’intérieur et à l’extérieur de la membrane cytoplasmique

AMO HAO NXR HH HZO NAR/NAP NIR NOR NOS NRF

Encart méthodologique 3. L’utilisation croissante de la biologie moléculaire et de l’utilisation des gènes fonctionnels comme marqueurs moléculaires

Le nombre de publications scientifiques traitant du cycle de l’azote en milieu marin a été multiplié par 5 entre 1995 et 1996. Depuis, cet intérêt n’a cessé d’augmenté et le nombre de documents traitant du cycle de l’azote en milieu marin atteint à l’heure actuelle 5582 documents. Parmi ceux-ci, 2870 documents sont des articles traitant des sédiments en milieu marin. Ainsi, en 2013, 325 documents s’intéressant au cycle de l’azote en milieu benthique marin ont été publiés (source : Scopus®, Elseiver B.V., Oxford, R.U., au 28 Septembre 2014). Au sein de ces articles, l’utilisation de la biologie moléculaire et de pair, celle des gènes fonctionnels augmente largement. En 2012, 42% des publications traitant du cycle de l’azote dans les sédiments marins utilisaient la biologie moléculaire.

1.3.2.1 Fixation du diazote

Le diazote est un élément clé sur Terre représentant 78% de l’air que l’on respire. Mais ce gaz n’est pas utilisable pour la plupart des organismes vivants. La fixation du diazote est le seul

processus biologique permettant de rendre l’azote atmosphérique (sous forme de diazote (N2))

disponible pour les organismes vivants sous forme d’ammonium (NH4+) (Mahaffey et al.,

2005; Gruber and Galloway, 2008). Ce processus anabolique (produit une nouvelle molécule en consommant de l’énergie, par opposition au catabolisme) est réalisé uniquement par des micro-organismes dits diazotrophes qui peuvent être des cyanobactéries, des protéobactéries (notamment Rhodobacter capsulatus) ou des archées (Young, 1992; Zumft, 1997). Cette réaction est catalysée par des nitrogénases (nifH) qui sont des enzymes inhibées en présence de dioxygène (Jetten, 2008). De plus, cette réaction est très couteuse en énergie (20 à 30 ATP), ce qui rend l’assimilation directe des nitrates et de l’ammonium préférentiellement choisie par les organismes (Bertrand et al., 2011). De ce fait, la fixation du diazote est fortement influencée par les conditions environnementales qui déterminent la présence/absence d’oxygène, de nitrates ou d’ammonium.

1.3.2.2 Nitrification

La nitrification ou oxydation de l’ammonium en nitrites puis en nitrates est un processus aérobie divisé en deux grandes étapes (You et al., 2009) et catalysé par trois enzymes codées par trois gènes différents :

1.3.2.2.1 L’oxydation de l’ammonium

La première étape, l’oxydation de l’ammonium est la plus étudiée jusqu’alors. Elle est réalisée par des organismes chimiolitho-autotrophes puisque l’énergie apportée par l’oxydation de l’ammonium est utilisée pour la réduction du dioxyde de carbone. Les bactéries oxydant l’ammonium dites «ammonia oxidizing bacteria» (AOB) sont représentées par les β- (Nitrosomonas et Nitrospira) et γ-protéobactéries (Nitrosococcus). Ce processus d’oxydation de l’ammonium a longtemps été considéré comme une réaction uniquement réalisée par les bactéries jusqu’à la découverte d’un gène homologue codant l’ammonia monooxygenase

(AMO) chez les archées et la confirmation via des mesures de terrain que des nitrifiants autres que les protéobactéries interviennent (Brochier-Armanet et al., 2011; Pester et al., 2011). Ces archées oxydant l’ammonium en conditions aérobies ou AOA seraient également, plus compétitives dans des environnements où l’oxygène est rare car elles oxydent l’ammonium

(NH4+) en nitroxyl (HNO) et non en hydroxylamine (NH2OH) comme les bactéries. Cette

réaction demanderait moins d’oxygène et donc les rendrait plus compétitives lorsque l’oxygène est rare (Schleper and Nicol, 2010). De plus, certaines AOA affiliées au groupe phylogénétique des « Marine Group I » (MGI) auraient la capacité d’utiliser l’ammonium produit lors de la dégradation de l’urée pour réaliser la réaction de nitrification (Alonso-Sáez et al., 2012).

Par ailleurs, il est connu que les AOB présentent des gènes codant pour des enzymes impliqués plutôt dans la dénitrification comme les nitrites réductases (abordées dans le paragraphe suivant). Récemment, Kozlowski et al. (2014) ont montré que le gène nirK communément utilisé comme marqueur génétique de la dénitrification serait exprimé par une AOB Nitrosomonas europea ATCC 19718 capable de dénitrification aérobie.

De nombreuses études ont recensé le ratio AOB/AOA afin de caractériser les communautés nitrifiantes (Francis et al., 2003; Bernhard et al., 2005; Santoro et al., 2006; Bernhard et al., 2007; Caffrey et al., 2007; Santoro et al., 2008; Bernhard et al., 2010). Ces communautés seraient très dépendantes des écosystèmes étudiés et il est encore difficile à l’heure actuelle d’émettre des conclusions quant à leur distribution dans l’environnement marin.

1.3.2.2.2 L’oxydation des nitrites

Ce processus est réalisé par les organismes nitratants dits « nitrites oxidizing bacteria » ou NOB. Cette réaction se déroule dans le cytoplasme des cellules et est catalysée par l’enzyme nitrite oxydoreductase (NXR) associée à la membrane. Parmi les groupes connus capables de catalyser cette réaction, on retrouve les espèces des genres (Daims et al., 2011):

- Nitrospina (δ-protéobactérie), - Nitrosococcus (γ-protéobactérie), - Nitrobacter (α-protéobactérie),

- Nitrospira (Nitrospirae, dominant dans les écosystèmes étudiés jusqu’alors, (Starkenburg et al., 2011))

- Nitrotoga (β-protéobactérie)

Nitrobacter pourrait également exprimer le gène nirK en cas de faibles teneurs en oxygène dans l’environnement (Starkenburg et al., 2008).

1.3.2.3 Réduction du nitrate en nitrite

Cette réaction est catalysée par des nitrates réductases (NAP = localisé dans le périplasme3 ou

NAR lié à la membrane), elle est commune à deux processus anaérobies dans le cycle de l’azote : la dénitrification (§1.3.2.4) et la réduction dissimilatrice des nitrates en ammonium (§1.3.2.5). De ce fait, cette réaction est largement répandue chez de nombreux organismes, mais une étude réalisée dans l’estuaire de Colne a montré qu’elle était majoritairement réalisée par des α-, β-, et γ-protéobactéries (Smith et al., 2007). Ce processus peut être extrêmement important dans les estuaires (Papaspyrou et al., 2014), en particulier dans la zone en amont de l’embouchure (Smith et al., 2007).

3le périplasme ou espace périplasmique correspond à l’espace entre la membrane externe et la membrane cytoplasmique des bactéries à Gram-

1.3.2.4 Dénitrification

La dénitrification, la réduction anaérobie des nitrates et/ou des nitrites en oxyde nitrique et/ou diazote (Philippot, 2002), est considérée comme une perte d’azote pour le système puisque le diazote produit n’est plus disponible pour les organismes vivants. Ce processus est à l’origine de l’émission de 240 Tg N par an de diazote dans les océans (Gruber and Galloway, 2008).

Dans les sédiments côtiers marins, le taux de dénitrification varie entre 50 et 250 µmol N m-2

h-1 et représente l’élimination de 20 à 50% de l’azote apporté dans ces écosystèmes

(Seitzinger, 1988).

La dénitrification est un processus très répandu réalisé dans des zones pauvres en oxygène à anoxiques. Parmi, les procaryotes, les organismes dénitrifiants sont: chez les archées, les groupes Haloarcula, Halobacterium et Haloferax et chez les bactéries : Rhizobium, Paracoccus, Alcaligenes, Neisseria, Pseudomonas, Bacillus, Thiobacillus, Thiosphaera, Nitrobacter et Nitrosomas (Zumft, 1992; Bertrand et al., 2011). Ce processus est également rencontré chez des eucaryotes tels que les foraminifères (Risgaard-Petersen et al., 2006; Glud et al., 2009).

Quatre étapes composent ce mécanisme et 3 groupes de gènes ont pu ainsi être identifiés :

Tous ces gènes sont largement étudiés dans la littérature (Philippot, 2002), les plus utilisés pour l’étude des processus de dénitrifications sont les gènes nir et nos notamment les nirS/nirK et nosZ. Les deux gènes nir correspondent à deux types de nitrite réductase structuralement différentes : nirS code une nitrite réductase à cytochrome cd1 et nirK code une nitrite réductase à cuivre (Philippot, 2002; Zhang et al., 2013).

1.3.2.5 RDNA

La réduction dissimilatrice des nitrites en ammonium (RDNA) est un processus transformant directement les nitrites en ammonium via une nitrite réductase portant un cytochrome c (Figure 12). Aussi appelée ammonification du nitrate, cette réaction peut être respiratoire ou fermentative et il semblerait que la RDNA fermentative soit la plus répandue (Burgin and Hamilton, 2007).

Figure 12. Réaction de réduction dissimilatrice des nitrites en ammonium (RDNA), selon Giblin et al. (2013)

De nombreuses espèces réalisent la RDNA parmi lesquelles : Clostridia, Desulfovibrio, Vibrio, et Pseudomonas (Tiedje, 1988). Le marqueur moléculaire de référence est le gène nrfA codant la seule enzyme (nitrite réductase) catalysant la réaction (Mohan et al., 2004). Les données varient beaucoup puisque différentes études montrent que la RDNA peut être à l’origine de l’élimination de 0 à 90 % des nitrates dans les sédiments côtiers (Megonigal et al., 2005; Burgin and Hamilton, 2007).

La RDNA pourrait être présente chez les bactéries oxydant l’ammonium en anaérobie (anammox, voir paragraphe suivant) afin de transformer une partie des nitrites en ammonium lors d’une limitation en ammonium et de réaliser la réaction d’anammox (Kartal et al., 2007). De plus, un gène nosZ atypique pourrait être impliqué dans la RDNA (Sanford et al., 2012).

1.3.2.6 Anammox

La réaction d’anammox ou oxydation anaérobie de l’ammonium, combine les nitrites (accepteur d’électron) et l’ammonium (donneur d’électrons) pour produire du diazote (Mulder et al., 1995). Ce mécanisme suspecté depuis de nombreuses années (Richards, 1965) a été confirmé par la description de bactéries capables d’oxyder l’ammonium en conditions anaérobies par Strous et al. (1999).

Figure 13. Réactions enzymatiques menant à l'oxydation anaérobie du nitrite et de l'ammonium en diazote (anammox). D’après Kartal et al. (2011), Ryabenko (2013) et Jetten et al. (2009).

Figure 14. Morphologie des cellules réalisant l’anammox, selon Jetten et al. (2009) et Ryabenko (2013).

Ce mécanisme est pour l’instant connu uniquement chez les bactéries du phylum des Planctomycetes, ordre Planctomycetales et famille Planctomycetaceae (Kuenen, 2008; Ward et al., 2011) : Kuenenia, Brocadia, Jettenia, Scalindua, et Anammoxoglobus. Ce sont des bactéries considérées comme chimiolitho-autotrophes anaérobies (Mulder et al., 1995; Strous et al., 1999) mais pouvant être relativement polyvalentes (Jetten et al., 2009). Celles-ci possèdent un anammoxosome dans leur cellule (van Niftrik et al., 2004) dont les lipides membranaires, les laddéranes (acides cyclobutyliques), permettraient la réaction d’anammox (Sinninghe Damste et al., 2002). Ces lipides ont une structure unique dans le monde du vivant et leur présence dans un échantillon est utilisée comme marqueur du potentiel d’anammox (Jetten et al., 2009). Par ailleurs, le gène (hzo) codant l’enzyme hydrazine oxydoréductase (HZO) et/ou le gène de l’hydrazine synthétase (HZS, hzsA) (Bale et al., 2014) sont également

Encart méthodologique 4. Le choix des marqueurs moléculaires pour cibler le cycle de l’azote dans les sédiments côtiers vaseux

Dans ce travail de thèse, des choix ont été faits concernant la quantification des processus liés au cycle de l’azote. Les processus majoritaires et les plus étudiés sont la nitrification et la dénitrification. Depuis environ 10 ans, les articles utilisant les gènes fonctionnels comme indicateurs du potentiel génétique des communautés à réaliser certains processus dans le cycle de l’azote se multiplient (Philippot, 2002; Francis et al., 2007). Le choix a été fait en fonction des études disponibles afin d’obtenir des points de comparaisons. Afin de quantifier le potentiel de nitrification, le gène amoA codant l’enzyme responsable de l’oxydation de l’ammonium est le plus cité et a donc été retenu pour nos travaux (Francis et al., 2003; Caffrey et al., 2007; Agogué et al., 2008; Abell et al., 2010; Dang et al., 2010b; Mussmann et al., 2011; Beman et al., 2012; Alves et al., 2013; Smith et al., 2014b). Concernant le proxy de la dénitrification, le couple nirS/nirK fait partie des indicateurs les plus utilisés. Mais, comme exposé précédemment, des études récentes révèlent la présence de nirK chez des espèces nitrifiantes remettant en question la robustesse de ce marqueur. Ainsi, l’étude du couple de gènes est renforcé par un troisième: le gène nosZ codant l’enzyme catalysant la dernière étape de la dénitrification connu pour être absent chez certains organismes (Braker et al., 2012). Enfin, une troisième réaction a été ciblée : la réaction d’anammox qui a été recensée dans différents sédiments (Dale et al., 2009; Minjeaud et al., 2009; Fernandes et al., 2012a).

Figure 15. Bilan des réactions liées au cycle de l'azote ciblées par la quantification de gènes fonctionnels dans ce travail.

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