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Chapitre III : Diversification des activités et des sources de revenu

II- La diversification des sources de revenu au sein du ménage

2- L’élevage : une forme d’épargne des ménages

Dans certaines parties de Madagascar comme à Ambalavao, à 100 km de l’observatoire d’Ambohimahasoa, à Ihosy ou chez les Mahafaly, la possession d’un troupeau de bétail constitue à la fois un signe de richesse et une source de revenu. Les animaux tels les bœufs, les moutons ou les chèvres servent à ravitailler les marchés des grandes villes.

Dans l’observatoire d’Ambohimahasoa, l’élevage est pratiqué par 92,2% des ménages. C’est une activité qui va de pair avec l’agriculture mais qui, contrairement à cette dernière, n’est pas destinée à la consommation. Dans la commune d’Ampitana, l’élevage n’est pas encore suffisamment développé malgré l’existence de l’appui du FERT à la filière (pisciculture, élevage de volailles ou de porcs). Ainsi, environ 15% des ménages seulement possèdent plus de trois bœufs et porcs. De même, la volaille ne constitue pas, pour la plupart des ménages, une filière de grande production.

141 2.1- Les types d’animaux élevés

Les tableaux n°53, n°54 et n°55 donnent les types d’animaux élevés par les ménages et leur nombre.

Tableau n°53 : Répartition des ménages selon le nombre de bœufs élevés

Bœuf de trait, vache, autre

Nombre Effectif Proportion (%)

0 301 58,3

1 77 14,9

2 62 12,0

3 à 9 76 14,7

Total 516 100

Source : Données du ROR 2008, Observatoire d’Ambohimahasoa, nos calculs.

Les bœufs ont à la fois un rôle social et économique. Les bœufs de trait sont, par exemple, utilisés pour le labourage des rizières et la fumure. Lors des périodes de labour, l’émottage (madiaongy ou le ramollissement des mottes) est une activité réservée aux bœufs : « Alors que l’on fait passer l’eau des réservoirs dans les champs bêchés, l’émottage, lui consiste à faire venir des bœufs ou des vaches dans les rizières à irriguer et à forcer le pauvre bétail par des coups de fouets autant que par des cris et des clameurs monotones, à y aller et venir sans arrêt jusqu’à ce que tout le sol ne fut plus qu’un épais tapis de bourbe » (Vig,1907, réédition 2003, p.28). L’émottage est un travail qui comporte des risques. Les jeunes hommes y trouvent l’occasion d’éprouver leur force et leur agilité à travers la conduite et le contrôle des bœufs. Ils mettront par la suite leur acquis en pratique lors des attractions villageoises telles que les tolon’omby, la corrida ou la « lutte contre les bœufs ». « Le tolon’omby se déroule entre une équipe de lutteurs aguerris et quelques bœufs de combat […]. Au moment indiqué, des jeunes gens payés pour la circonstance entonnent le rary omby ou souhaits pour les bœufs, souhaits aussi pour les lutteurs, car, symboliquement, les lutteurs leurs sont identifiés […]. Entre alors un groupe de lutteurs, chacun essaye de saisir un bœuf par la bosse, le cou ou autrement, en essayant de le maîtriser et de le coucher par terre » (Raison-Jourde, 1983, pp.200-201).

Les bœufs de trait et les bœufs de lutte ne sont jamais cédés, ils constituent un prestige social.

Les bœufs ont également une place importante dans les rites coutumiers, décès, mariages, exhumations, rémission de transgressions ancestrales ou sacrifices.

142 Pour les paysans de l’observatoire d’Ambohimahasoa, l’immolation d’un bœuf lors du décès est encore une pratique courante. En effet, les Malgaches croient qu’il existe un lien entre les bœufs et la mort. « Tuer des bœufs pour que leurs ombres soient emportées par le mort, c’est rendre les honneurs d’immolation des animaux. L’ombre de la personne décédée à qui on consacre ces cérémonies gardera le troupeau là où se trouvent les âmes errantes c’est-à-dire à Ambondrombe (à 45 km à l’Est d’Ambalavao, Fianarantsoa) » (Randriamahazo, 2001). Ainsi, lors d’un décès, la famille essaie de tuer au moins un bœuf et de partager les morceaux pour toutes les personnes qui présentent leurs condoléances et leur soutien à la famille, que ce soit les voisins, la famille ou toute personne qui était en relation avec les défunts.

Aujourd’hui, face à la pauvreté, si une personne vient à décéder lors de la période de soudure, la famille peut seulement acheter de la viande au lieu de prendre un bœuf vivant et de le tuer.

Cependant, si elle veut préserver la coutume, l’achat du bœuf peut être différé lors de la période de récolte où la famille invitera de nouveau les personnes présentes aux obsèques pour manger un morceau de viande.

Tableau n°54 : Répartition des ménages selon le nombre de porcs possédés

Nombre de porcs élevés Effectif Proportion (%)

0 301 58,3

1 121 23,4

2 53 10,3

3 à 16 41 7,9

Total 516 100

Source : Données du ROR 2008, Observatoire d’Ambohimahasoa, nos calculs.

Dans la mesure où il devient plus difficile pour les paysans d’acheter et d’élever les bœufs, l’élevage de porcs peut être à la fois un moyen d’en acquérir et de diversifier les sources de revenus des ménages.

L’élevage de porcs est très rentable, l’animal peut être vendu au kilo chez les bouchers ou en entier au marché de bestiaux. Ainsi, en 2010, un porc de 50 kg peut être vendu à 140 000 Ar à raison de 2 800 Ar le kilo. Le prix des porcelets est accessible aux paysans, à partir de 16 000 Ar. Les entretiens avec le responsable du FERT à Ampitana révèlent que les ménages de l’observatoire commencent à s’intéresser à l’élevage de cette bête. Cependant, les soins qu’elle nécessite ainsi que le manque de financement de départ constituent toujours un réel blocage. Ils sont donc amenés à opter davantage pour l’élevage de volailles.

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« Elever des porcs est très rentable mais cela nécessite un fonds de départ et des soins particuliers. Contrairement aux volailles, il faut cuire leur repas, les mettre dans un enclos et quelquefois acheter des vaccins. […] Mon mari est charpentier, il est parti le mois dernier dans un autre village pour y travailler. Avec le reste de son salaire, on a acheté deux porcins.

Nous pensons les engraisser et les vendre lors des périodes de fêtes où les prix sont les meilleurs. Avec l’argent, nous pensons construire notre maison […]. Nous élevons également des poules, on les achète lors des périodes de soudure où leurs prix sont les plus bas. Les poules, on les vend lors des besoins imprévus d’argent ». Mme Louisette ,21 ans.

Tableau n°55: Répartition des ménages selon le nombre de volailles possédées

Nombre de volailles Effectif Proportion (%)

0 132 25,6

[1-10] 226 43,8

] 11-20] 88 17,1

] 21-65] 70 13,6

Total 516 100

Source : Données du ROR 2008, Observatoire d’Ambohimahasoa, nos calculs.

A Ampitana, les entretiens effectués auprès des ménages révèlent que l’élevage est un moyen de placement et d’épargne pour les actifs. L’objectif n’est pas d’augmenter la production mais de pouvoir compter sur cette épargne lors des périodes difficiles ou lors d’un besoin imprévu d’argent.

« Lorsque qu’il me reste suffisamment d’argent, j’achète une jeune poule. J’élève l’animal et je le vends lors d’un besoin imprévu d’argent. L’idéal c’est de garder la poule jusqu’à ce qu’elle ait des petits, comme ça on est sûr d’avoir encore des animaux à élever. Sinon, on essaie de la remplacer en achetant une jeune poule avec l’argent de la vente. […] Mais en ce moment, je n’ai plus d’animaux, tout mon élevage de poules a été récemment décimé par une maladie ».

Mme Irina, 57 ans.

Dans le cas de Louisette, elle raisonne à la fois sur le court et le moyen terme. D’une part, elle optimise le surplus de revenu de son mari dans l’élevage de porcs et l’argent issu de cette production servira au financement de sa maison. D’autre part, sur le court terme, l’épargne prend forme dans l’élevage de petits animaux tels que les poules. Ces animaux ne nécessitent pas de grands soins et se vendent facilement. L’élevage constitue donc l’épargne par excellence pour les différents besoins d’argent du ménage. « L’élevage extensif de quelques têtes de bétail tient fréquemment le rôle de caisse d’épargne familiale se remplissant au gré de capacité

144 d’accumulation, se vidant en fonction des besoins familiaux et des capacités du climat » (Auclair, et al., 2004, p.224).

2.2-Destination des animaux d’élevage

Les données quantitatives sur la destination des animaux d’élevage (tableau n° 56) confirment le rôle de cette activité en tant que moyen de placement et d’épargne. En effet, les animaux d’élevage ne sont pas directement consommés. Les rares cas de consommation concernent les volailles à la suite d’une maladie d’un des membres de la famille, en cas de perte d’animaux à cause du climat ou de la maladie, ou en période de grandes fêtes. Ainsi, l’élevage entre dans une stratégie de diversification des sources de revenu du ménage. Le tableau n°56 indique pour chaque catégorie d’élevage, d’une part, le nombre d’animaux acquis et cédés entre Août 2006 et Septembre 2008 et d’autre part, le nombre d’animaux consommés et possédés au moment de l’enquête.

Tableau n°56 : Nombre moyen d’animaux d’élevage acquis, cédés et autoconsommés par catégorie de ménage

Acquisition Cession Autoconsommation

Possédés en fin de période Ménages

élevant : Achat *Autre Vente *Autre

Bovin 1 1 1 1 0 2

Porcin 2 2 2 2 0 2

Volaille 6 12 3 3 7 10

Source : Données du ROR 2008, Observatoire d’Ambohimahasoa, nos calculs.

*Il peut s’agir, par exemple, d’un don.

Pour que l’élevage soit une source efficace de diversification de revenu, indépendamment des événements imprévus, les achats et les ventes d’animaux dans les ménages doivent être effectués à des périodes précises. L’acquisition des animaux s’effectue le plus souvent lors des périodes de soudure (Août-Décembre) quand les ménages ont un besoin de liquidité et vendent à des prix bas les volailles. La cession, elle, s’effectue lors des périodes de récoltes, (Février à Mai selon les saisons de culture de riz) et les périodes de fêtes telles que le Nouvel An ou la Fête de l’indépendance en Juin. Avec l’argent de la vente, le ménage achète du riz qu’il consomme jusqu’à épuisement du stock avant d’entamer ses propres récoltes.

Pour préserver les animaux de la vente lors des périodes de soudure, les paysans recourent d’abord à d’autres moyens pour trouver de l’argent. Ils essaient d’abord de vendre leurs récoltes. Si les produits ne sont pas suffisamment mûrs pour être vendus, alors ils empruntent

145 chez d’autres en donnant comme gage la culture en question. La vente des volailles est effectuée en dernier recours, et avec l’argent, le paysan essaie toujours de remplacer la quantité vendue.

Avec l’élevage, les ménages diversifient leurs activités dans le secteur primaire mais les risques ne sont pas les mêmes que pour l’agriculture. En l’absence de maladies qui affectent et déciment les animaux, cette activité peut être très rentable. « Cet élevage [porcin] procure rapidement de bonnes rentrées monétaires mais il est souvent décimé par la maladie de Teschen, maladie endémique dans la région qui se manifeste sous forme de paralysie contagieuse » (Blanc-Pamard, et al., 2000, p.76).

Ainsi, l’élevage constitue une stratégie de diversification des activités dans le temps pour le ménage. Les animaux à élever sont achetés selon la possibilité financière du ménage et selon les objectifs visés. Sur le court terme, un à trois mois, l’élevage de petits animaux permet aux ménages de remplir deux objectifs : être une source d’argent disponible pour les imprévus et assurer une sécurité alimentaire à la famille, par exemple en cas de choc climatique ou de maladie d’un membre actif. Sur le moyen terme, l’élevage a pour objectif d’optimiser les revenus et l’investissement peut être plus rentable que les autres activités du secteur primaire comme le salariat agricole et le métayage.

Dans l’observatoire d’Ambohimahasoa, l’élevage constitue donc un moyen de gestion du risque à la fois ex-ante et ex-post. Il s’agit de se constituer une épargne de précaution mais en même temps de diversifier les sources de revenu. On compte sur la vente de cet actif en cas de besoin. Toutefois, comme il a été constaté en 2010, il n’y a pas de soins particuliers prodigués aux animaux. En conséquence, chez de nombreux paysans, beaucoup de volailles ont été décimées par la maladie du barika, maladie infectieuse et contagieuse qui se propage facilement car les animaux ne sont pas enfermés dans des enclos. Dans cette situation, l’élevage devient une perte pour le ménage et ne peut évidemment plus remplir aucune fonction de gestion de risque.

En résumé, les sections I et II nous ont montré les trois principales activités économiques du ménage à savoir l’agriculture, le salariat agricole et l’élevage. Les analyses ont montré ce que les ménages attendent de ces activités et pourquoi ils s’engagent dans ces activités. Dans la prochaine section, nous allons évaluer, en termes de revenu, les stratégies de diversification des activités et des sources de revenu au niveau du ménage.

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