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L’écriture, une dramaturgie « animée »

2.1. Kossi Efoui et la Cie Théâtre Inutile : du compagnonnage à l’écriture au plateau

La Compagnie Théâtre Inutile existe depuis 1994 et est installée à Amiens se développant alors au gré de ses rencontres. Le travail de la Cie s’inscrit sur différents territoires : théâtre, milieu carcéral, milieu scolaire, structures culturelles ou associatives… C’est en 1999, au Cameroun, qu’a lieu la rencontre entre l’auteur et la Cie Théâtre Inutile autour de la création Biokysedi,420 mise en scène de Nicolas Saelens. Depuis 2006, avec la création Le Corps liquide, le travail est basé sur un dialogue permanent entre Kossi Efoui et Nicolas Saelens. Théâtre Inutile travaille les créations dans un esprit de co-inspiration en cherchant à ce que chaque élément qui compose un spectacle soit travaillé sans hiérarchie présupposée et qu’il puisse se penser dans le tissage d’un ensemble. La Cie réfléchit à comment faire exister aujourd’hui un théâtre proposant un divertissement clair de la pensée s’adressant à toutes les générations confondues dans un esprit de partage et d’échange sur l’expérience vécue. La diffusion de leurs spectacles s’accompagne systématiquement de rencontres avec les publics. La marionnette est un medium omniprésent dans leurs créations qui interrogent l’objet tant sa forme que dans les images qu’il véhicule. C’est également un

420 Mise en scène de Nicolas Saelens à partir des textes de Lafortune Dikaho, Joël Eboueme, Joseph Tchamko, Serge Fayou, Kouam Tawa et Kossi Efoui. Création : 1999 dans les quartiers de Douala, au Cameroun.

184 support de réflexion sur les corps ainsi que sur les mots et les espaces circonscrits dans lesquels on a l’habitude d’inscrire leurs images. Ils ont en partage avec Kossi Efoui une approche de la marionnette comme outil idoine pour déconstruire les définitions figées et tendre en permanence vers un dépassement de la matière et du matériau comme élément inerte. Les outils manipulés tracent l’espace de partage que construit Théâtre inutile à travers ses nombreuses créations en compagnonnage avec Kossi Efoui.

Ce travail de compagnonnage parce qu’il se définit dans la durée d’une temporalité qui se déploie au fil des années, en enchaînant les créations, permet de forger véritablement les outils les plus à même de servir le geste artistique tel que chacun l’envisage puisqu’il s’agit ici, nous le rappelons, d’un geste absolu dont l’aboutissement ne peut être trouvé par la finalité d’un objet artistique seul. Si l’on se penche plus spécifiquement sur les pièces, qui sont nées de l’expérience au plateau, on constate qu’Oublie ! créée en 2010, s’inspire d’un précédent texte intitulé Enfant je n’inventais pas d’histoires (2001), alors que En Guise

divertissement reprend des interrogations émergeant déjà dans Oublie ! et dans l’oratorio

technologique créé un peu plus tard mais évoquant aussi l’univers de l’industrie du divertissement, présente dans la pièce Concessions, tout en reprenant des passages du texte

Io(tragédie). Enfin, le spectacle La Conférence des chiens fait également fortement écho à Oublie !, voyage initiatique d’un personnage nommé « Enfant ».

Ce réseau intertextuel permet d’accéder à l’essence de la dramaturgie éfouienne et des modes de production de ses textes : à savoir un noyau épicentre autour duquel s’étoilent les créations qui sont conçues comme des évènements autonomes servant un même geste global. Le texte est par nature malléable et se veut ici forme vivante soumise à un changement d’état selon la singularité de chaque projet et de chaque individu qui s’en empare : cette dynamique ouvre le champ des possibles à la potentielle production d’une infinité de nouveaux textes à partir d’un matériau source puisque les « compagnons » préexistent dans ce cadre au projet lui-même. Ils ont alors le loisir de se dire par exemple : « tiens, que faisons-nous ? », plutôt que « tiens, que faisons-nous de tel objet dramatique ? » - et de mobiliser par la suite les outils qu’ils manient le mieux collectivement, d’où la répétition-variation à partir de certains motifs qui leur sont familiers et qui appartiennent, après une création, à leurs géographies intérieures. Nicolas Saelens lui-même évoque le compagnonnage en ces termes ce qui revient à la vision éfouienne du théâtre qui se pense au prisme de ce que fabrique l’évènement dont la représentation, le texte, la création ou le spectacle ne sont que les supports du geste :

185 Nicolas Saelens : Ce qui m’intéresse au théâtre, c’est l’utopie sociale. Qu’est-ce qu’ensemble on va fabriquer ? C’est pour cette raison que j’aime la marionnette : quand tu construis un langage, il y a énormément de possibilités. Langage de la matière. Apprentissage de la délégation pour le comédien. Le théâtre est un espace où tout est possible. Espace de jeu, de transmission, de rencontres.

Kossi Efoui : Oui, tout est possible, ça tient du miracle. Cette possibilité d’ouvrir un espace public tient du miracle. On a l’impression qu’il s’agit d’un mouchoir de poche mais c’est en fait un noyau d’atome !

Nicolas Saelens : Ce qui me plaît dans le travail avec Kossi, dans son écriture, c’est d’aller dans le cœur des systèmes.

Kossi Efoui : Il n’y a pas de toute puissance de l’auteur : il y a toujours un système autour. Tu écris parce que tu veux regarder dans les rouages de la montre mais tout à coup tu te retrouves dans le cerveau de l’horloger !

Nicolas Saelens : Le théâtre est l’espace du rêvé pour explorer le petit village éclairé qui raconte la gigantesque forêt autour. Mais il faut ce petit village éclairé.421

Le déploiement d’une pensée polyphonique à travers des écritures multiples scelle le travail de compagnonnage entre les deux artistes et ceux avec qui ils collaborent au fil des années. Cette démarche associée à la vision temporelle qu’a Kossi Efoui de l’acte théâtral comme témoignage du présent qui, pour s’écrire, a besoin de « communier » avec ce qui l’environne et qui permet l’art de la « composition », semble avoir conduit la Cie vers l’écriture au plateau après des expériences de théâtre « à deux temps »,422 dont les mises en scène du Corps Liquide, de Happy End ou de Concessions témoignent. Ces différentes expériences de création auxquelles Kossi Efoui a toujours pris part ont déclenché un désir de cheminer sur un rythme commun. On retrouve l’idée de la « communion » dans le partage des outils propres à chacun. Au-delà d’un mode de création dite « collective », largement pratiqué aujourd’hui, la ligne directrice de la compagnie s’ancre dans un esprit de co-inspiration en cherchant à ce que « chaque élément qui compose un spectacle soit travaillé sans hiérarchie présupposée et qu’il puisse se penser dans le tissage d’un ensemble ».423 En d’autres termes, chacun, en fonction de ses compétences particulières, nourrit et inspire la création tout en permettant au projet d’aboutir. Ce mode de création permet de faire tomber les barrières qui cloisonnent parfois l’univers artistique puisque dans ce cadre, même les professions « techniques » sont forces de proposition. Plusieurs spectacles ont vu le jour de cette manière :

Oublie !, En Guise de divertissement, La Conférence des chiens, Sans ombre, Les Suites prométhéennes… Loin de la posture, il nous a été donné de constater, par un travail de terrain,

421 EFOUI, Kossi, SAELENS, Nicolas, « Rencontre sur la route » in Dossier de presse du spectacle

Oublie !, 2010.

422 GOUHIER, Henri, Le théâtre et les arts à deux temps, Paris, Flammarion, 1992.

186 qu’il s’agissait d’un mode de création concret que l’expérience du spectateur confirme en relevant la multiplicité réelles des écritures scéniques. Si certains trouvent le travail de la Cie Théâtre Inutile inaccessible, c’est sans doute parce qu’il propose une approche du plateau chargé par de nombreux signes, créant alors une densité de lecture qui déstabilise les habitudes passives de certains spectateurs. A l’ère du théâtre dit postdramatique, la recherche artistique s’est élaborée autour de la transdisciplinarité comme un outil vecteur d’inédit. Le travail de la Cie Théâtre Inutile vise à tisser ensemble les différents langages du plateau en dépassant les carcans « techniques » dans lesquels sont encore trop souvent enfermés les régisseurs lumières, son, les costumiers, les constructeurs de décors… Si le spectateur est en effet engagé à être « actif », la multiplicité des langages et la manière dont chaque élément du plateau est à prendre comme un « signe », n’enferment la compréhension dans aucun impératif puisque la dramaturgie globale de la scène répond ici à l’approche modulaire qu’a Kossi Efoui du texte qu’il compose de façon à ce qu’on puisse le traverser comme une expérience vécue, c’est-à-dire aussi dans une forme de lâcher prise avec la raison et d’une ouverture au monde « sensible ».

La Cie Théâtre Inutile questionne sans cesse les modes de production du divertissement et les pouvoirs de la forme théâtrale. Ils imaginent alors des dispositifs à la marge du plateau. Il s’agit de scènes ludiques qui s’inscrivent sur des territoires multiples. La marionnette est un medium omniprésent dans leurs créations où la pluralité de ses formes plastiques est autant exploitée que ses pouvoirs métaphoriques. Une large part du travail de la compagnie – qui se revendique alors « TTT » (Théâtre Tout Terrain) avec Voisins Anonymes et plus récemment L’Oubli de l’eau, des formes brèves et transportables – s’organise autour d’interventions à caractère éducatif : dans les collèges avec, par exemple, la création du spectacle jeune public Oublie !,424 suivi par des scolaires ayant élaboré un dossier pédagogique, mais aussi à travers l’organisation de nombreux ateliers théâtre, ateliers philosophie en milieu scolaire ainsi qu’avec le Secours Populaire…

424 Texte : Kossi Efoui (Editions Lansman). Mise en scène : Nicolas Saelens. Regard extérieur : Antoine Vasseur. Regard périphérique : Eric Goulouzelle. Musique : Karine Dumont. Plastique : Norbert Choquet. Costumes : Marie Ampe. Lumière : Hervé Recorbet. Régie générale : Bif. Avec : Angeline Bouille et Philippe Rodriguez-Jorda. Production : Cie théâtre inutile. Coproduction : Le Palace à Montataire, Maison des Arts et Loisirs de Laon. Création : 26 mai 2010, Le Palace à Montataire.

187 Figure 28 Voisins anonymes en dispositif TTT, Cie Théâtre Inutile © DR

188 Théâtre Inutile mène également des actions en maison de retraite, en milieu urbain et périphérique avec Voisins Anonymes,425 une création TTT pour cage d’escaliers. En milieu carcéral, la Cie propose des spectacles et des journées de médiation. Enfin, en milieu associatif, Théâtre Inutile est à l’origine du projet « Les faiseuses d’histoires », qui a réuni, en 2008, des femmes analphabètes autour de la construction d’un espace de parole afin d’ouvrir un parcours vers la création artistique. En ouverture de la saison 2013-2014, un grand laboratoire de recherche s’est ouvert entre la compagnie et le philosophe Miguel Benasayag, intitulé « Art et époque », projet qui s’est échelonné sur trois années avant d’aboutir à la création du spectacle Sans ombre.426 Organisé autour de conférences participatives, l’objectif de ce laboratoire était de réfléchir sur les nouvelles formes du vivant autour des notions de transhumanisme, de virtualité et d’idéologie de la transparence, avec en guise de fil conducteur, l’idée que le théâtre est un moyen de rappeler les limites du réel. Il a été question de matérialiser également les enjeux vitaux du pouvoir de notre esprit à se représenter l’inéluctable autant que l’indicible de la mort grâce à la souveraineté de l’imaginaire.

Théâtre Inutile accomplit, enfin, un remarquable travail d’accompagnement du spectateur à travers des rencontres, ainsi que l’établissement de dispositifs relais, de productions de pièces radiophoniques, de « cabarets brouillons » : moments participatifs de partage et de présentations personnelles ouvert à tous. En milieu hospitalier pédiatrique, la co-création Au pied du lit427 en partenariat avec l’Argentine via le marionnettiste Javier

425 Texte : Kossi Efoui (Editions Lansman). Mise en scène : Nicolas Saelens. Regard extérieur : Philippe Rodriguez-Jorda. Costumes : Marie Ampe. Avec : Ludovic Darras. Production : Compagnie Théâtre Inutile. Coproduction : Le Palace à Montataire, Le Safran à Amiens. Création : Mai 2011 au quartier des Martinets avec le Palace de Montataire.

426 Texte : Kossi Efoui. Mise en scène : Nicolas Saelens. Costumes : Marie Ampe. Regards : Miguel Benasayag. Création lumière : Franck Besson. Coordination technique et régie lumière : Marie Boussat. Plastique : Norbert Choquet. Jeu : Caroline Corme, Ludovic Darras, Odile Sankara. Musique : Karine Dumont. Vidéo : Mickaël Titrent, Mickaël Troivaux. Régie son et vidéo : Benoît Moritz. Production : Compagnie Théâtre Inutile. Coproduction : Maison de la Culture d’Amiens centre européen de création et de production. Avec le soutien de l’Abbaye royale de Saint-Riquier centre culturel de rencontre, du collège Arthur Rimbaud (Amiens). La Compagnie Théâtre Inutile est conventionnée avec le Ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Nord Pas de Calais – Picardie, et avec la Région Hauts de France, Amiens métropole en partenariat avec la Maison de la Culture d’Amiens centre européen de création et de production. En création pour 2017.

427 Textes : Javier Swedzky et Kossi Efoui. Mise en scène : Nicolas Saelens et Javier Swedzky. Conception et équipement du castelet : Hervé Recorbet. Construction : Roberto Garita-Oñandía. Construction marionnettes et décor : Juan Benbassat, Alejandra Farley, Alfredo Iriarte, Silvina Vega, Silvia Lenardón, Guillermo Martínez, Leonardo Volpedo. Musique : Karine Dumont. Manipulation et jeu : Leonardo Volpedo / Javier Swedzky (Argentine) Sophie Matel / Charlotte Pronau (France). Production : Compagnie Théâtre Inutile. Coproduction : Le Safran Amiens, Le Palace à Montataire. En partenariat avec Crear Vale la Pena (ONG

189 Swedzky propose des saynètes sur castelets pour lits d’hôpitaux. La Cie évolue à l’international à travers des ateliers scolaires et des co-créations notamment en Afrique (Burkina-Faso, Madagascar et Cameroun). Le Théâtre Inutile travaille donc dans un partage des pratiques et une transmission de valeurs et d’une éthique qu’ils appliquent à leurs processus de création en cherchant à « réapprendre à penser ensemble ».428 La recherche qui est la leur et qui officie dans l’espace du théâtre qu’ils abordent comme un laboratoire donne selon nous lieu à des formes nouvelles qui peuvent sans doute dérouter mais qui ont en tout cas la force de s’éloigner de toute approche didactique. Les artistes collaborateurs de la Cie optent, en effet, plutôt pour l’interrogation caustique des enjeux de ce qu’on appelle le « théâtre utile, social ou de sensibilisation ». C’est la transmission de pratiques, la réactivation des consciences critiques et la prise de parole, ainsi que l’apprentissage du lien social, qui sont engagés via des projets internationaux, mêlant sans cesse le monde des adultes à celui du jeune public dans l’idée de la primauté de l’expérience théâtrale vécue et de l’ouverture sur la parole comme lieu de rendez-vous et objectif de travail.

Il s’agit donc d’une compagnie plurielle dont le bilan est fort riche bien qu’elle rencontre actuellement des difficultés de production qui sont aussi inhérents à la situation de l’économie culturelle en France. Les expériences du Théâtre Inutile méritent d’être présentées et observées à l’ère d’une société transculturelle en perte de repères : cette Cie propose une autre vision du monde ouverte sur la pluralité et l’écoute des singularités de chacun. Elle s’intéresse à l’histoire ainsi qu’aux habitudes culturelles qui en résultent. La philosophie de la Cie Théâtre Inutile entre donc en parfaite adéquation avec les œuvres de Kossi Efoui qui ont toujours questionné, depuis Le Carrefour, la présence nécessaire de l’œuvre d’art en dehors des conceptualisations néo-libérales qui recherchent productivisme et consommation.

L’écriture au plateau est arrivée en écho au dispositif de co-inspiration qui structure les productions du Théâtre Inutile et qui suppose une forte interaction entre tous les membres de la création. C’est sans doute ce qui amène Kossi Efoui à parler, avec humour, de « gueuloir de luxe »429 pour définir cette pratique. L’écriture au plateau crée, en effet, une communauté de langage travaillant cette fameuse simultanéité de toutes les écritures scéniques et renvoie également au travail marionnettique, souvent morcelé, qui n’est pas sans rappeler l’image du

Argentine). Remerciements au Théâtre de la Marionnette à Paris. Création : novembre 2011 à l’hôpital Reine Fabiola à Bruxelles dans le cadre du festival “Paroles au Solstice”, organisé par La Montagne Magique (Bruxelles), et en partenariat avec Le Pont des Arts.

428 Cie Théâtre Inutile, Dossier de production, 2011.

429 DECHAUFOUR, Pénélope, « Kossi Efoui en compagnonnage avec le Théâtre Inutile » article suivi d’un entretien avec Kossi Efoui, in Sken&graphie, n°1, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2013, pp. 41-51.

190 puzzle ou du patchwork. Dans ce processus de création, le metteur en scène se fait tisserand d’une écriture disséquée – c’est celui qui fait se répondre les formes et leur permet d’être assemblées. Chez Kossi Efoui dont le travail d’écriture semble toujours nicher sa genèse dans la projection d’une scène de théâtre430 – l’écriture au plateau féconde les potentialités de l’écriture elle-même et, au fil du temps, cette pratique semble accentuer l’envergure surréelle de son théâtre. Par ailleurs, cette expérience vient, pour nous, confirmer les éléments que nous évoquions plus haut au sujet du caractère premier et des enjeux de la représentation théâtrale pour Efoui qui, depuis 2011, n’a pas entrepris de démarches pour que soient publiés les textes

En Guise de Divertissement, La Conférence des chiens, Sans ombre ainsi que Le Choix des ancêtres, également écrit au plateau avec Farid Bendif. Ce sont les textes que nous

reproduisons ici en annexes dans leur version « plateau ». Kossi Efoui s’inscrit dans un certain rejet esthétique vis-à-vis de l’édition du texte qui procède malgré elle à une « fermeture » de l’expérience, de la mémoire de la création, en fixant les composants là où le matériau éfouien se veut toujours en devenir donc animé et mutant. Cet élément corrobore donc l’idée que, d’une part, le texte est programmé dans son infinitude (infinité) et, d’autre part, que la primauté va à l’évènement scénique qui rend presque caduc l’existence du matériau écrit si ce n’est comme trace d’un évènement passé à l’instar d’une pièce de musée…

La remise en question d’une forme de création à « deux temps »431 étaye les thématiques récurrentes aux créations du Théâtre Inutile : crise du langage et de la communication, interrogations sur notre rapport aux corps organiques, plastiques et imaginaires – le corps social, politique et culturel ainsi que le rapport que la société entretient aujourd’hui avec les médias et l’héritage historique, avec pour préoccupation centrale le souci de mettre en place de nouveaux dispositifs de résistance.432 L’écriture au plateau, qui prône la mixité des genres et des arts, correspond particulièrement au caractère polymorphe du travail que développe le Théâtre Inutile qui cherche sans cesse à diversifier et à enrichir ses pratiques scéniques. En résulte des propositions inédites et finalement inclassables car marquées du sceau de l’hybridité. Cette dernière est permise par la pratique des écritures simultanées au plateau. Par ailleurs, cette pratique de l’écriture au plateau impose une retranscription inverse à l’accoutumée. Ici, il s’agit d’opérer un passage de la scène au texte et non du texte à la

430 DECHAUFOUR, Pénélope, « Kossi Efoui, marionnettiste des mots » et entretien avec Kossi Efoui, « Le troisième œil », Marionnettes en Afrique, Puck, n° 18, Montpellier, L’Entretemps/IIM, pp. 161-176.

431 GOUHIER, Henri, Le théâtre et les arts à deux temps, Paris, Flammarion, 1992.

432 Voir dossier artistique du spectacle Sans Ombre : http://theatre-inutile.com/spectacles/sans-ombre/ (consulté le 02.03.2018)

191 scène. Surgissent alors des présences marionnettiques qui s’expliquent aussi par la nécessité de trouver un équivalent textuel à des propositions plateaux élaborées par les comédiens ou l’équipe artistique. Elles concernent, par exemple, des jeux sur les voix que Kossi Efoui a