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Le trouble bipolaire est une condition chronique qui se distingue par la présence d’épisodes thymiques récurrents oscillant entre deux pôles (American Psychiatric Association, 2013) ainsi qu’une évolution erratique jumelée à des symptômes résiduels qui interfèrent de façon significative avec le fonctionnement. Au Canada, la prévalence à vie de ce trouble est d’approximativement 2 % (Coulthard, Patel, Brizzolara, Morriss & Watson, 2013; Schaffer, Cairney, Cheung, Veldhuizen, & Levitt, 2006). La maladie bipolaire et l’ensemble des symptômes associés au trouble entraînent de multiples bouleversements et conséquences dans la vie d’un individu. En plus de représenter une difficulté importante pour les gens atteints, les coûts sociétaux associés à la maladie sont importants (Begley et al., 2001; Bryant-Comstock, Stender & Devercelli, 2002; Knoth, Chen & Tafesse, 2004; Peele, Xu & Kupfer, 2003; Simon & Unützer, 1999; Stensland, Jacobson et Nyhuis, 2007; Wyatt & Henter, 1995).

La gestion du trouble bipolaire

La pharmacothérapie comme traitement de première ligne. Actuellement,

selon le Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT), la pharmacothérapie est l’intervention de première ligne pour le traitement du trouble bipolaire (Yatham et al., 2013). Toutefois, il apparait que seule, la médication ne peut pas assurer la stabilité de l’humeur (Milhiet, Yon & Bellivier, 2012). Plusieurs raisons sous-tendent cette efficacité mitigée du traitement pharmacologique, dont les difficultés d’observance au traitement (Goodwin & Jamison, 2007), le taux de rechute (Gitlin, Swendsen, Heller & Hammen, 1995) ainsi que la perpétuation d’une estime de soi affaiblie et de certaines déficiences au plan psychosocial (Blairy et al., 2004). Ces résultats associés à la pharmacothérapie seule semblent indiquer qu’une thérapie psychosociale complémentaire est non seulement appropriée, mais nécessaire (Mirabel-Sarron & Giachetti, 2012).

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Les interventions psychosociales. Quelques interventions psychosociales

jumelées à la pharmacothérapie seraient efficaces pour la gestion du trouble bipolaire. La psychoéducation semble une composante commune à toutes ces interventions en plus d’être efficace en elle-même. En effet, les lignes directrices du CANMAT parlent de la psychoéducation comme une composante essentielle de la gestion clinique du trouble bipolaire pour tous les patients (Yatham et al., 2009; Yatham et al., 2013). Pour des recensions des écrits complètes, voir Rouget et Aubry (2007), Sylvia, Tilley, Lund & Sachs (2008), Batista, Von Werne Baes et Juruena (2011), Provencher, Hawke, Bélair et Guimond (2012), Miziou et collègues (2015) ainsi que Salcedo et collègues (2016). Globalement, la littérature actuelle montre que la psychoéducation présente plusieurs avantages pour les patients atteints d’un trouble bipolaire. En complément avec de la médication, elle est donc une avenue intéressante pour son traitement (Provencher et al., 2012). La psychoéducation présente également des avantages globaux plus larges, notamment parce que le traitement peut être administré par une multitude de professionnels (Rouget & Aubry, 2007) et parce qu’il présente un bon rapport coût-bénéfice (Scott et al., 2009; Parikh et al., 2012).

Le Life Goals Program (LGP). Actuellement, deux interventions

psychoéducatives en format de groupe se distinguent des autres, notamment parce qu’elles présentent les meilleures preuves en ce qui concerne leur efficacité : le programme de Colom et Vieta (2006) et celui de Bauer et McBride (1996, 2001, 2003), le LGP (Bond & Anderson, 2015). Le LGP se démarque puisqu’il nécessite peu de rencontres et peut être administré par différents intervenants en santé mentale. Il permet une réduction du nombre de semaines passées en épisodes thymiques, principalement pour la manie (Bauer et al., 2006) et une diminution de la sévérité et du temps passé avec des symptômes maniaques (Simon et al., 2006). Il permet aussi une amélioration du fonctionnement social (Bauer et al., 2006), des habiletés de prévention, des capacités de gestion de la rechute (Aubry et al., 2012; De Andrés et al., 2006) et de la stabilité subjective de l’humeur (Aubry et al., 2012; De Andrés et al., 2006). Une satisfaction globale ou une perception positive du traitement est aussi remarquée chez les participants (Aubry et al., 2012; Bauer et al., 2006; De Andrés et al., 2006). Enfin, le programme est un traitement qui pourrait aider les patients avec un trouble bipolaire à

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cheminer dans un processus de rétablissement en étant bref et peu coûteux et aider le système de santé québécois à mieux composer avec la maladie en réduisant le fardeau associé à celle-ci (Provencher et al., 2012).

La réalité clinique

Malgré l’efficacité reconnue de la psychoéducation et de programmes comme le LGP, ces interventions ne sont actuellement pas facilement accessibles dans les soins de santé courants pour la population atteinte d’un trouble bipolaire (Coulthard et al., 2013). La dissémination d’interventions reconnues comme efficaces pour la gestion du trouble bipolaire en complément à la pharmacothérapie demeure donc un défi (Salcedo et al., 2016). En ce sens, il est remarqué que malgré l’augmentation de traitements reconnus comme efficaces, la prévalence des troubles de santé mentale n’est pas en baisse. Qui plus est, une majeure partie de la clientèle atteinte n’a pas accès à ces traitements (Drake et al., 2001; Kazdin & Blase, 2011; McHugh & Barlow, 2012). Considérant l’essor de traitements développés en recherche ainsi que les politiques sociétales favorisant leur utilisation, il est surprenant de prendre conscience de l’écart qui subsiste entre l'existence de traitements efficaces issus de la recherche et la réalité clinique.

Écart recherche-pratique

Plusieurs auteurs soulignent cet écart existant entre la recherche et la pratique clinique (Becker, Stice, Shaw & Woda, 2009; McHugh & Barlow, 2012; Provencher et al., 2009; Sobell, 1996). Cet écart semble être secondaire à certains facteurs. Stirman, Crits-Christoph et Derubeis (2004) parlent d’une pensée magique selon laquelle les pratiques soutenues empiriquement vont être adoptées et transposées dans le milieu clinique automatiquement, sans effort supplémentaire. La motivation des intervenants à adopter de nouvelles pratiques, la formation des intervenants, les coûts reliés ainsi que les barrières organisationnelles seraient des facteurs responsables de cet écart (McHugh & Barlow, 2012). Par rapport à la motivation des intervenants à intégrer de nouvelles pratiques développées en recherche, Ruggeri et ses collègues (2013) soulignent que les cliniciens peuvent entretenir une conception négative des études

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randomisées contrôlées (ERC) en percevant celles-ci comme des outils peu utilisables en raison de la complexité de la réalité clinique. La non-représentativité des études cliniques peut également être un facteur responsable de l’écart actuel entre la recherche et la pratique clinique. En effet, une grande partie des patients rencontrés dans la réalité clinique, fréquemment ceux pour qui la gestion de la maladie est plus ardue, sont exclus d’une majorité d’ERC (Scott & Colom, 2007). Dans cet ordre d’idées, Ruggeri et al. (2013) identifient certaines limites méthodologiques imputables aux ERC lorsqu’elles sont utilisées dans le cadre de la recherche en sciences sociales. Par exemple, les chercheurs peuvent choisir des critères d’inclusion/exclusion plus stricts qui engendrent un écart entre la population de l’étude et la population clinique véritable et qui peut, de ce même fait, décourager les cliniciens d’adopter ces nouvelles pratiques.

Solutions envisageables par rapport à l’écart recherche pratique

McHugh et Barlow (2012) conçoivent cet écart comme un défi majeur pour le domaine des soins de santé et insistent sur l’engagement des intervenants comme variable essentielle dans l’amélioration entre les découvertes issues de la recherche et la pratique clinique. Stirman et al. (2004) considèrent la combinaison de recherche d’effectivité et de modèles de dissémination comme une solution à l’écart entre la recherche et la pratique clinique.

Les études d’effectivité. Selon Barlow, Levitt & Bufka (1999), l’écart existant

entre la grande quantité de recherches d’efficacité et la petite quantité d’études d’effectivité contribue à l’écart recherche-pratique. Il devient donc nécessaire de non seulement créer et valoriser l’utilisation de programmes basés sur les preuves empiriques, mais aussi de se pencher sur une nouvelle façon d’évaluer l’efficacité d’un traitement sans toutefois contrevenir à la qualité de la recherche. Cela pose un défi majeur pour les chercheurs, soit celui de faire des choix méthodologiques différents qui d’un côté, assurent une bonne représentativité de la réalité clinique et de l'autre côté, ne compromettent pas la rigueur méthodologique (Ruggeri et al., 2013). Dans le milieu psychiatrique, il n’y a pas beaucoup d’études qui se sont intéressées à l’implantation de nouvelles pratiques dans le milieu clinique (Thornicroft & Rose, 2005). Ces études d’effectivité sont conçues pour évaluer si les résultats observés dans

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un contexte plus contrôlé comme celui de la recherche peuvent se reproduire dans des conditions naturelles avec des échantillons de participants hétérogènes (Marchand, Stice, Rohde & Becker, 2011). Par définition, les études d’implantation font partie des études d’effectivité. Ce type d’études pourrait permettre aux cliniciens d’avoir davantage confiance aux résultats observés en recherche.

La science d’implantation et de dissémination. La science de la dissémination

et d’implantation vise également à combler cet écart recherche-pratique (McHugh & Barlow, 2012; Meyers, Durlak & Wandersman, 2012). McHugh et Barlow (2012) définissent la dissémination comme «un effort pour faciliter l’adoption initiale d’un traitement» et l’implantation comme «le processus de transfert du traitement dans les paramètres cliniques». La nécessité des recherches d’implantation et de dissémination devient de plus en plus reconnue (Stirman et al., 2004) même s’il ne semble pas y avoir consensus sur les meilleures pratiques (McHugh & Barlow, 2010). Plusieurs auteurs se penchent donc sur les facteurs favorisant l’implantation efficace d’un programme. En outre, Sobell (1996) parle de l’importance de considérer les intervenants comme des partenaires de la recherche et d’impliquer également l’organisation dans le processus pour une dissémination efficace d’un programme.

Implantation de programmes basés sur les données probantes au Québec

C’est donc dans le souci de réduire l’écart entre le monde de la recherche et celui de la pratique clinique, principalement concernant le programme psychoéducatif LGP et le trouble bipolaire, que s’inscrit le présent projet de recherche. Dans un premier temps, Provencher et ses collègues (2009) ont démontré, dans une étude préliminaire, que la dissémination et l’implantation du programme LGP étaient possibles dans les milieux de la région de Québec. En effet, Provencher et ses collègues (2014) ont mené une étude afin d’évaluer l’efficacité pragmatique du LGP (voir Annexe B). Le programme a été implanté dans trois sites cliniques, soit un hôpital psychiatrique et deux Centre de santé et de services sociaux (CSSS). Le but était de voir s’il était possible d’implanter le programme LGP avec succès avec des professionnels de différents horizons en préservant l’efficacité du programme lorsqu’implanté dans un milieu naturel avec un contrôle moindre sur les conditions cliniques. Les résultats sont

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encourageants. Comme conclusion générale, les auteurs soutiennent que le programme peut s’implanter avec succès dans les milieux cliniques québécois, mais comme mentionné précédemment, certaines différences peuvent être observées dans les résultats (voir Provencher et al., 2014). Il est donc possible de noter que certains facteurs agissent sur l’implantation d’un programme dans la réalité clinique.

Objectifs de l’étude

C’est dans cette idée que s’inscrit le présent article qui aura comme principal objectif de documenter l’implantation d’un programme issu de la recherche, le LGP, dans un milieu clinique auprès d’une population clinique représentative. Cette étude est une continuité de celle de Provencher et ses collègues (2014) qui a évalué l’efficacité pragmatique d’un programme développé en recherche dans la réalité clinique. Plus précisément, en se basant sur les conclusions de l’équipe de Provencher et ses collègues (2014) qui appuient l’efficacité du programme lorsqu’implanté dans la réalité clinique québécoise, l’article actuel vise à documenter l’implantation du LGP à Québec. De façon plus spécifique, le premier objectif est d’établir un portrait descriptif de l’implantation du programme. Le deuxième objectif est de documenter les variables contextuelles qui auraient pu avoir une influence sur l’implantation du programme LGP. Finalement le troisième objectif est d’évaluer la satisfaction des intervenants à l’égard du programme, ses forces et ses faiblesses. Afin de répondre à ces objectifs, les résultats de l’implantation du LGP dans trois sites de la région de Québec ont été examinés.

Pertinence de l’étude

À la suite de l’analyse des données obtenues, il devrait y avoir un portrait d’établi en ce qui concerne l’implantation du LGP dans la région de Québec. Ce type d’étude qui vient complémenter l’étude réalisée préalablement par Provencher et ses collègues (2014), apporte des informations supplémentaires sur l’effectivité du programme et permet donc de constater comment un programme développé en recherche se transpose dans la réalité clinique. Le présent projet de recherche s’inscrit donc dans les solutions

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proposées par Stirman et al. (2004) et dans celles soulevées par Scott et Colom (2007), pour réduire l’écart recherche-clinique, soit de faire des études d’effectivité.

Méthode

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