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Ces trois femmes, par leur excentricité, sont en marge de la société dans laquelle elles évoluent. Par le biais de leurs destinées particulières, elles s'érigent ainsi contre des institutions.

L'institution qui est présente dans les trois films à la fois, c'est la famille. Dans A

nos amours, la famille est synonyme de prison et d'enfermement : elle n'est jamais un

lieu d'épanouissement. La mère se réfugie dans l'hystérie, le père choisit de fuir et d'abandonner le foyer familial. La cellule familiale permet aux parents d'enfermer le corps de Suzanne pour la préserver de l'« hostilité » du monde extérieur – le père qui a peur du regard des garçons sur sa fille. Mais en réalité, c'est le huis clos qui est source de tous les dangers pour la jeune fille. Il n'y a pas d'intimité protectrice au sein de la famille. Les employés assistent aux disputes, assis passifs dans la profondeur de l'image. Le père fait irruption dans la chambre de Suzanne pendant qu'elle est avec son amie. L'unique solution, c'est la fuite. Celle du père d'abord, soudaine et inexpliquée et, à la fin du film, celle de Suzanne elle-même. Aucune stabilité n'est possible au sein du groupe familial contre lequel l’héroïne s'insurge constamment. Ce n'est qu'auprès de ses amis, communauté élective, qu'elle semble épanouie. Au-delà de la famille naturelle, Suzanne a besoin de se rattacher à un groupe, celui de ses amis, sorte de horde primitive, pour se sentir exister. Les figures masculines ne sont plus un repère à la jeune fille : le père, trop

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protecteur, finira par abandonner son rôle de pilier unificateur et le frère, aux tendances parfois incestueuses, ne parvient pas à soutenir sa propre sœur dont le corps insoumis l'effraie. Suzanne choisit donc de rejeter un monde qui dès le départ ne l'accepte pas. Se pose ici la question de l'inclusion et de l'exclusion du corps et de comment se dernier parvient ou non à s'intégrer dans son environnement.

Pour Mabel, la famille est une force. C'est en son sein que se réalise l'amour ultime, le partage et la compréhension entre les êtres. Mais elle est aussi source d'aliénation. L'institution familiale constitue un élément de référence fort dans Une

femme sous influence car la quasi-totalité des scènes se déroulent à l'intérieur de la

maison. La maison incarne le lieu de l'intimité, où l'on dort, mange mais c'est aussi l'endroit qui accueille l'extérieur, là d’où provient le danger. La famille implique la notion d'inclusion, de rattachement à une communauté mais, simultanément, en découle cette opposition aux « parasites » venant de l'extérieur. On pense par exemple au voisin qui, sous les supplications de Mabel, accepte de laisser la garde de ses enfants pour quelques heures à la jeune femme. Suivra juste après la longue séquence entre Mabel, Nick et le docteur Zepp à la suite de laquelle Mabel est internée en hôpital psychiatrique. La suite du film est montée de manière très elliptique, sans réelle scènes de dialogues, comme si le départ de la mère avait suspendu le temps du récit. Les séquences montrant Nick seul s'occuper des enfants dépeignent la solitude du personnage. Il se crée sa propre communauté, celle des ouvriers, solidaire.

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C'est la générosité prolétaire qui est montrée à ce moment du film, sans aucun a priori d'origine et de statut social. On y voit là l'altruisme du cinéaste pour les gens simples et sa volonté d’exprimer tous les aspects de la tourmente familiale.

Dans Wanda, la famille est d'emblée associée à une dimension juridique. La scène dans le tribunal où Wanda divorce et perd son statut de mère est traitée avec froideur et distanciation vis-à-vis de l'institution juridique. La jeune femme qui arrive en retard, par le fond du cadre, ses bigoudis sur la tête et une cigarette à la bouche – en dépit du « No smoking » inscrit à l'entrée de la salle – marque tout de suite l'écart entre la faiblesse d'une femme démunie et la toute-puissance de la juridiction. Mais Wanda n'apparaît cependant pas comme une victime dans la mesure où elle semble dépourvue de toute émotion. Ce qui apparaît dans Wanda, c'est le décalage – et le décadrage – constant d'un personnage au sein d'un système dont les références n'ont plus de sens.

La présence spectrale erre dans les rues d'une Amérique totalement désillusionnée. On notera en particulier la scène où elle se promène devant les vitrines d'un centre commercial. La première image de cette scène montre au premier plan le corps d'un mannequin dans une boutique qui cache complètement Wanda.

Wanda (20'06)

On note le décalage entre la taille disproportionnée des mannequins en vitrine et le corps plus petit et menu de Wanda qui vient renforcer le déséquilibre de l'image. On

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retrouve dans cette séquence une critique de la société de consommation et du capitalisme américains en plein essor. Le corps mouvant et mobile de la jeune femme s'oppose à la fixité des mannequins. Le centre commercial, symbole de la montée du consumérisme de la société américaine, apparaît comme une sorte de musée de l'Amérique, avec ses poupées de cire immobiles, déshumanisées. Par le mouvement de travelling latéral, Wanda semble errer à travers une Histoire – et non plus uniquement l'histoire du film – dans laquelle elle ne parvient plus à s'identifier. Elle semble à la fois intriguée et fascinée par ces immenses poupées qui lui renvoient une image qu'elle ne reconnaît pas. C'est la rencontre entre l'humain et la monstruosité sans visage.