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II Du texte littéraire au scénique

UNE INFIRMIÈRE

Une femme crie sur son brancard… J’ai besoin de vous, Docteur ! (P.2)

De ce fait, les données du conflit se précisent, accompagnées de détails sur les protagonistes qui, troublés par les faits, se mettent en action.

2. Le nœud dramatique, correspondant à l'événement perturbateur du récit, répond au centre de l'intrigue, qui annonce la présence d'un obstacle qu'il faudrait résoudre. Cet obstacle peut être extérieur « si la volonté du héros se heurte à celle d'autres personnages. »206 Comme il peut être intérieur «

lorsque les malheurs du personnages sont causés par un sentiments qu'il porte en lui. »207 Le nœud dramatique peut également, dans le cas de

204 PRUNER Michel, op. cit., p. 33. 205 Ibid., p. 34.

206 Ibid., p. 35. 207 Ibid.

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L'attentat, unir les deux : les autorités qui accusent Amine JAAFARI de connivence avec sa femme, constitue ainsi un obstacle extérieur dans le spectacle parce qu'ils mènent le protagoniste à l'opposition. Il se révèle particulièrement intérieur : quand il remet en cause le personnage, où le spectateur oublie la tragédie qui est remplacée par le dilemme de l'éthique ; ce qui soulève un cas de conscience et donne plus de profondeur au texte de théâtre.

3. Les péripéties, en alternance avec les événements qui font avancer l'action pour résoudre le nœud dramatique, constituent l'amorce du dénouement, comme dans le roman, et peuvent en l'occurrence accentuer la tension dramatique avec de nouveaux problèmes inattendus qui surviennent après un coup de théâtre et permettent de la sorte à l'action de rebondir. Il est vrai que l'attentat suicide constitue en lui-même un procédé dramatique pertinent dans le spectacle, par contre le surgissement de péripéties après coup engendre des situations plus complexes : reconnaître l'identité du kamikaze ; Sihem, la femme du médecin Amine JAAFARI, qui s'est fait exploser au milieu d'un restaurant rempli d'enfants innocents. Puis, il reçoit une lettre d'elle, postée avant sa mort, de la sorte un doute s'installe dans l'esprit du protagoniste en ce qui a trait à sa propre vie, identité et vis-à-vis de l'Autre.

4. Le dénouement qui constitue « le dernier moment de la pièce »,208 clôt

l'intrigue avec la disparition des obstacles et la résolution du conflit. Or, Eugène IONESCO a protesté contre cette nécessité de la fin théâtrale, il est plutôt pour la dramaturgie ouverte, en offrant le champ libre à l'imaginaire du spectateur. Il estime que le théâtre classique, favorisant une dramaturgie de la clôture, est telle « la mort qui clôture une vie, une pièce de théâtre, une œuvre. Autrement, il n'y pas de fin. C'est simplifier l'art théâtral que de trouver une fin et je comprends pourquoi Molière ne savait pas toujours comment finir […]209 Cependant, une ambiguïté demeure à propos du dénouement de L'attentat, où une fin d'apparence ouverte conclut la pièce avec le même aparté d'Amine JAAFARI prononcé au début du spectacle :

1ère PARTIE : TEL-AVIV

208 PRUNER Michel, op. cit., p. 36.

209 IONESCO Eugène, Entre la vie et le rêve. Entretien avec Claude Bonnefoy, Éditions

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AMINE

Une multitude de picotements se déclarent dans ma hanche. Ma jambe repose contre mon flanc, grotesque et horrible. Un mince cordon de chair la retient encore à ma cuisse. D’un coup toutes mes forces me désertent. Je cherche ma mère dans le chaos de l'explosion. […] (P.2)

Le dernier tableau : AMINE

Une multitude de picotements se déclarent dans ma hanche. Ma jambe repose contre mon flanc, grotesque et horrible. Un mince cordon de chair la retient encore à ma cuisse, d’un coup, toutes mes forces me désertent. J’ouvre les yeux. Un enfant me regarde […] (P. 36)

L'adaptateur et metteur en scène BERTHIER opte donc pour une fin ouverte comme dans le récit initial qui annonce le début d'un autre conflit, un autre attentat. L'exposition et le dénouement constituent, dans le texte romanesque comme dans le texte théâtral, une épanadiplose dite narrative210 ; une figure de style dont l'usage stylistique varie selon les genres littéraires. Elle donne « une sorte de cohérence à l'ensemble de l'œuvre et de créer surtout une impression de cyclicité, d'éternel retour […]. L'effet de boucle que procure la figure crée une impression de paradoxe et de maxime fermée […]. » Il s'agit en effet de la reprise de la scène initiale à la fin de l'œuvre et du spectacle et suggère ainsi une fermeture du récit sur lui-même. Représentant le deuxième attentat après celui commis par Sihem.

Le spectacle conçu à partir de L'attentat donne de la sorte à voir une oscillation entre le théâtre et le roman. L'ambition est donc particulièrement similaire à celle du roman même si la pièce de théâtre par moment n'assume pas le contenu et apparaît à l'encontre des propos de l'auteur qu'elle adapte. Le spectacle ne fait pas abstraction du problème politique israélo-palestinien, qui constitue une toile de fond dans le roman, il le garde également en arrière-plan, et en parallèle de cela, il fait surgir de nouvelles questions. Celles de la quête de la vérité, de soi qui prendront, au fur et à mesure que l'intrigue progresse, une tournure de plus en plus réactionnaire ; en tentant de trouver un moyen afin de rétablir l'état antérieur, de revigorer particulièrement la relation antérieure entre Amine avec son amie et collègue, Kim.

Pour ce qui est du cadre technique, la réécriture scénique de L'attentat remplit tous les critères du théâtre-récit, une typologie qui ne figure pas dans la liste évoquée

210 SAHIRI Léandre, Le bon usage de la répétition dans l'expression écrite et orale, Éditions

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supra. Répandue depuis la fin du XXe siècle, les comédiens dans ce type

d'adaptation prennent en charge une partie de la narration en parallèle avec le jeu dramatique. Antoine VITEZ est considéré comme le fondateur de ce type d'adaptation qui s'est déteint sur la mise en scène contemporaine.

En somme, ce qui a favorisé le passage de L'attentat sur scène c'est la confrontation des voix multiples des personnages et des idées plurielles. Un texte qui a donné lieu à de telles interprétations distinctes d'un monde où les personnages sont divisés et morcelés, et où le sens est traversé de constantes antinomies. Des problèmes qui relèvent de la métaphysique, portés notamment par les personnages du roman qui sont condamnés à vivre ensemble. Il nous renvoie dans un contexte de crises des valeurs morales, cherchant toujours les causes qui ont poussées Sihem à se faire exploser.