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L’incompatibilité entre rigueur scientifique et enthousiasme politique : prétexte à la relégation des idées réformatrices

Section seconde : La construction d’une frontière difficilement franchissable entre le savant et le politique

A. L’incompatibilité entre rigueur scientifique et enthousiasme politique : prétexte à la relégation des idées réformatrices

La relation du professeur de droit au pouvoir politique apparaît pour le moins ambiguë dans la première moitié de la Troisième République . En considération de ses difficultés à peser en tant que juriste sur les orientations de la Cité, la politique devrait lui fournir un substitut pour parvenir à ses fins. D’ailleurs les diplômés des facultés de droit, et plus largement des facultés professionnelles, sont alors favoris pour l’accès aux postes politiques624. Leur profession, à forte sociabilité, les désigne en effet particulièrement

et magistrature à Amiens au début de la République opportuniste », Revue du Nord, vol. 73, n°293 (1991), pp. 647-662 ; Gérard Masson, Les juges et le pouvoir, Éditions Alain Moreau et Éditions Syros, 1977, pp. 64-68.

624 Le pourcentage des titulaires de diplômes juridiques est de 42 % pour les ministres et 40 % pour les députés entre 1871 et 1914. Cf. Jean Estèbe, Les ministres de la République (1871-1914), Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1986, p. 106 ; Yves-Henri Gaudemet, Les juristes et la

vie politique de la Troisième République, op. cit., pp. 13-48. Dans les municipalités urbaines, la présence de cette catégorie est également visible, comme le fait remarquer Nabuhito Nagaï, Les

conseillers municipaux de Paris sous la IIIe République (1871-1914), Publications de la Sorbonne,

2002, p. 126. Autrement que par la proximité entre le droit et la politique, une telle omniprésence s’explique par ailleurs par la prédominance, parmi les responsables politiques, des individus ayant suivi

pour les relations publiques. En outre la valorisation des diplômes juridiques est forte dans une société qui a été refondée par le droit au moment de la Révolution625. On ne peut néanmoins que déceler chez le professeur de droit certaines réticences à investir ce domaine. Personnage souvent connu et respecté, au moins localement, ses connaissances juridiques, découlant de l’étude scientifique ainsi qu’une bonne maîtrise de l’art oratoire626, sont autant d’aptitudes à exercer le pouvoir politique. Pourtant, à la lecture de la presse quotidienne, les individus connaissant la double vocation, professorale et édilitaire, ne sont pas légion.

Les rares spécimens de professeurs-politiciens occupent néanmoins une place de premier plan par rapport à leurs collègues, qui semblent pour leur part fondus dans la matrice facultaire qui les accueille. Les chroniques électorales sont un des lieux de rencontre entre le scientifique politisé et l’opinion publique. Celles-ci apparaissent à l’approche de chaque élection, pour faire connaître aux lecteurs (également électeurs dans le cadre du suffrage universel direct), les candidats. On leur consacre de courtes notices biographiques, qui bien qu’arborant le plus souvent un ton relativement neutre, ne manquent pas de distiller par la même occasion quelques sages consignes de vote en accord avec la ligne politique suivie par le journal. L’objet n’est pas ici d’établir une statistique des enseignants des facultés juridiques se présentant au suffrage universel direct ou indirect, ou même bénéficiant d’une nomination gouvernementale. Il est toutefois intéressant de souligner que comparativement à la relative hégémonie des juristes en politique, la participation des enseignants en droit est assez contenue. Les

des études supérieures ainsi que par la forte proportion que représentent les étudiant des facultés professionnelles au sein de la population estudiantine nationale.

625 Antoine Prost, Histoire de l’enseignement en France : 1800-1967, Armand Colin, 1968, p. 226.

626 Cette qualité est reconnue au professeur. L’absence de tout talent oratoire chez lui est une curiosité qui ne tarde pas à être relevée par la presse. Selon un reporter politique du Figaro, ce défaut sera probablement la cause de la défaite du professeur nancéien Ludovic Beauchet contre Raymond Poincaré aux élections législatives de 1902. Cf. Émile Berr, « Voyage autour des candidats. Nationalisme lorrain. De Nancy à Toul », Le Figaro, 1902/04/08 (n°98), pp. 2-3.

professeurs de droit sont certes plus présents627 que leurs homologues de médecine628 ou de sciences, mais pas davantage que les littéraires, qui en dépit d’un effectif inférieur, restent les plus nombreux à exercer des fonctions politiques629.

Le premier élément responsable de ce faible engagement est sans nul doute cette sorte de sur-moi universitaire, qui impose à l’universitaire de limiter les activités périphériques à sa profession. La mentalité aristocratique, qui encourageait auparavant au papillonnage, est abandonnée au profit d’une mentalité bourgeoise et influencée par le protestantisme, qui pousse au contraire à se concentrer sur des objets particuliers630. La hiérarchie universitaire veille d’ailleurs à ce que cette éthique soit observée de manière rigoureuse par l’ensemble des universitaires, comme le montrent les rapports des doyens, qui n’hésitent pas à récriminer ceux qui s’en écarteraient631. Il existe néanmoins une marge de manœuvre pour que l’universitaire s’implique dans la vie politique de la Cité sans pour autant en subir les récriminations : cette marge existe lorsqu’il occupe un poste de second plan avec une spécialisation dans des questions connexes à son métier. C’est par exemple le cas de Charles Beudant632 : le doyen de la Faculté de droit de Paris est conseiller municipal de cette ville sous l’étiquette « républicain modéré », et se consacre 627 Un autre exemple réside dans la figure d’Édouard Lambert. Cf. Nader Hakim, Édouard Lambert, Le

droit civil et la législation ouvrière, Dalloz, 2013.

628 La faible représentation de celui-ci est tout à fait contestable. Les enseignants en médecine sont très souvent des praticiens et c’est comme médecin, et non comme professeur qu’ils sont décomptés parmi le personnel politique.

629 Pour la période 1898-1940, seuls 25 professeurs ayant reçu une formation exclusivement juridique sont députés, 27 ont suivi une formation à la fois littéraire et juridique et enfin 78 exclusivement littéraire. Cf. Mattei Dogan, « Les filières de la carrière politique en France », Revue française de sociologie, 1967, vol. 8, n°4 (1967), p. 478.

630 L’éthique scientifique se conforme à l’éthique économique telle que décrite par Max Weber, L’éthique

protestante et l’esprit du capitalisme, trad. Isabelle Kalinowski, 3e éd., 2008. Celle-ci obéit à un processus de valorisation/dévalorisation. « L’épargne, l’abstinence, la conscience professionnelle, le travail, le respect des contrats » sont valorisés alors que « le luxe, la vie contemplative, la prière, la dépense gratuite, le repos/loisir, le plaisir, etc. » sont dévalorisés (Serge Latouche, « Éthique et esprit scientifique », L’homme et la société, vol. 84, n°2 (1987), p. 13).

631 Cf. Anne-Sophie Chambost, « Émile Alglave ou les ambivalences d’un professeur avec son milieu »,

op. cit. et loc. cit.

principalement aux questions liées à l’enseignement633. Moins en vue comme conseiller municipal que comme maire, l’édilité se fait ici plus discrète et semble assez peu chronophage pour peser à la défaveur de l’activité professionnelle. Enfin, quand il se consacre aux questions éducatives, le professeur ne fait que se prononcer sur un domaine où sa profession le rend compétent, ce qui n’apparaît alors pas comme une abomination aux yeux du public. Son action, au sein de quelque parti que ce soit, est dans ce cas précis, perçue comme une contribution honnête à la construction collective, et non comme l’assouvissement de basses inclinations politiques ou ambitions de carrière.

La plupart des professeurs de droit occupant ou sollicitant des postes politiques, le font à travers les forces républicaines dans les premières décennies de la République. La réception de cet engagement se fait alors différemment entre les journaux de gauche et de droite. Alors que les premiers se félicitent que des esprits libres puissent s’affirmer tout en appartenant à une structure aussi contraignante et conservatrice que la Faculté de droit634, les seconds constatent non sans anxiété, la poussée de l’idéologie qu’ils combattent dans une institution qu’ils pensaient acquise à un sain conservatisme. Ces professeurs de droit qui embrassent publiquement le républicanisme, sont souvent des produits de la promotion scolaire. Comme Claude Lacomme, fils de cultivateurs qui se présente sous la bannière radicale aux élections sénatoriales de 1876635 (ce qui ne manque pas d’ailleurs d’attrister les rédacteurs du Figaro636), ils sont souvent originaires de familles relativement modestes, ce qui est pour beaucoup dans leur adhésion aux idées de 633 Cet intérêt pour les questions éducatives est partagé par un grand nombre de professeurs de droit actifs politiquement, tant dans la capitale qu’en province. Les professeurs de droit des facultés de l’État se montrent généralement favorables au développement de l’éducation laïque alors que l’enseignement religieux s’apparente encore fortement à de la propagande ecclésiastique. Concernant les fortes imprécations religieuses dans l’enseignement à cette époque, cf. Jean-Paul Delahaye, « Les francs-maçons et la laïcisation de l’école. Mythes et réalités », art. cit.

634 Lire à ce sujet le portrait d’Eugène Poubelle tel que brossé par le journal républicain. Cf. Gil Blas, 1883/10/24 (n°1436), p. 1.

635 Cf. Edgar Bourloton et Gaston Cougny (dir.), Dictionnaire des parlementaires français : comprenant

tous les membres des assemblées française et tous les ministres français depuis le 1er mai 1789 jusqu’au 1er mai 1889, avec leurs noms, état civil, états de services, actes politiques, votes parlementaires, etc. , Bourloton, 1889, vol. 5, p. 497.

la gauche. Si la presse de droite voit d’un mauvais œil l’affichage des affinités de certains professeurs avec les partis de gauche, il convient de souligner que celles-ci restent toutefois minoritaires. Comme c’est le cas de la plupart des juristes, magistrats exceptés sans doute637, les professeurs de droit demeurent dans l’ensemble assez sensibles aux idées de la droite conservatrice638. Ils ne choisissent en revanche que très rarement de les mettre en avant, au nom de l’esprit de neutralité que leur corps affiche. Le professeur républicain sert par conséquent de matrice à l’image de l’enseignant-homme politique. C'est pourquoi la presse de droite perçoit chez ce dernier une menace pour l’Université. Le premier soupçon qu’elle fait peser sur eux est celui du carriérisme : le professeur qui déclare sa flamme à la République n’aurait pour but que de tirer profit du changement de personnel politique, à l’aube d’un nouveau régime. Dès 1871, Eugène Poubelle, qualifié couramment de « médiocre professeur à la Faculté de droit »639, est ainsi accusé dans le

Figaro de s’être servi de son poste comme d’une antichambre du pouvoir640. Un cortège de ce que le journal conservateur appelle des « arrivistes »641, qui ne sont autre que des 636 « Candidatures sénatoriales », Le Figaro, 1876/01/26 (n°26), p. 3 et « Candidatures sénatoriales », Le

Figaro, 1876/02/06, p. 3 : les deux articles s’étonnent du choix du dijonnais Claude Lacomme de se

présenter aux élections sénatoriales aux côtés des radicaux. « On s’explique peu, dit le rédacteur du premier, le choix de M. Lacomme, homme sérieux, puritain, jusqu’alors classé parmi les républicains les plus modérés ». Quelques jours avant, les appréciations sur la candidature du professeur poitevin Bourbeau, qui sans être bonapartiste est un sceptique de la République, était tout autrement accueillie dans les colonnes du quotidien. Cf. « Le mouvement électoral », Le Figaro, 1876/01/22 (n°22), p. 3.

637 Cf. Yves-Henri Gaudemet, Les juristes et la vie politique de la Troisième République, op. cit. et loc.

cit.. La magistrature a quant à elle été épurée en 1883.

638 Si le barreau et les juges s’orientent de plus en plus vers le républicanisme de gauche, ce n’est pas le cas des professeurs. Cf. Carlos Miguel Herrera, « Le droit, la gauche, la doctrine », in Carlos Miguel Herrera (dir.), Les juristes face au politique, Kimé, 2003, pp. 7-12. Sur l’organisation par ailleurs complexe des forces politiques sous la Troisième République, se référer à Raymond Huard, La

naissance du parti politique en France, Presses de la Fondation nationale des Sciences Politiques,

1996.

639 Louis de Coulanges, « Les préfets de la République. M. Poubelle, préfet de la Charente », Le Figaro, 1871/11/18 (n°249), p. 1.

640 Il est vrai que sa nomination comme préfet par Thiers en 1871 est le début d’une longue carrière préfectorale qui se poursuivra jusqu’en 1896.

641 « Les Conseils municipaux », Le Figaro, 1873/01/06 (n°6), p. 2 : le journaliste emploie le terme d’« arriviste » à propos des universitaires, qui élus sur les listes républicaines, siègent au Conseil municipal « rouge » de Toulouse.

universitaires accédant à des postes politiques à la faveur de poussées républicaines, lui emboîte le pas dès les mois suivant. Ces calomnies ne semblent pas, à première vue, être autre chose que de simples éléments d’une rhétorique boulevardière, dont le Figaro a fait sa spécialité642. En effet, on ne retrouve pas ce ton dans les autres journaux de droite. Il faut en déduire que ces incriminations provocatrices ne sont donc pas à l’origine de véritables polémiques sur les motivations qui conduisent les professeurs à s’aventurer en politique. Elles instillent pourtant le soupçon sur la sincérité d’une telle démarche.

L’action des républicains en faveur de l’entrée ou de la progression dans les facultés, de professeurs acquis à leur cause, à partir de leur victoire définitive en 1878, n’est pas sans encourager les suspicions de carriérisme. La mise en place d’une rétribution de l’enseignant par traitement, consécutivement à la suppression des droits d’examen en 1876, participe également de la consolidation d’un interdit quant à la juxtaposition d’une fonction politique et d’une fonction universitaire ainsi que de leurs rémunérations. Le traitement marque, il est vrai de manière symbolique, l’amélioration des conditions financières du métier de professeur. La carrière de celui-ci est désormais sécurisée643. Le professorat devient un véritable moyen de subsistance. Il s’ouvre donc en principe à des étudiants brillants issus de milieux modestes644, de plus en plus attirés par

642 Le ton parfois léger du Figaro du début de la Troisième République est un héritage du premier Figaro, journal satirique apparu sous la Restauration. Cf. Fabrice Erre, « Le premier Figaro : un journal satirique atypique (1826-1834) », in Claire Blandin (dir.), Le Figaro. Histoire d’un journal, Nouveau Monde éditions, 2010.

643 La mise en place de la rémunération par traitement n’est pas synonyme d’amélioration des conditions financières pour tous les enseignants. Les professeurs de droit parisiens dispensant des cours à effectifs importants peuvent parfois être lésés, les droits représentants dans ces conditions de plus fortes sommes que le traitement seul. Le degré d’amélioration n’est enfin pas le même pour tous, puisque les professeurs provinciaux se voient accorder une rémunération nettement inférieure à celle de leurs collègues de la capitale, entérinée par les décrets du 12 février 1881. Le traitement permet néanmoins à nombre d’universitaires de satisfaire à l’idéal professionnel en se consacrant entièrement aux activités universitaires.

644 En réalité, même si des cas ponctuels viennent rappeler que la promotion sociale peut avoir lieu, la démocratisation ne se fera pas. Cf. Frédéric Audren et Jean-Louis Halpérin, La culture juridique

un « marché universitaire » grandissant grâce aux réformes républicaines645. Ce sont ces derniers qui, souhaitant s’investir dans la vie politique, rejoignent le plus souvent les formations de la gauche646. C’est aussi contre eux que l’accusation de vouloir s’enrichir est rapidement formulée. Le cumul des fonctions d’enseignant et de politique apparaît dès lors suspecte car on y voit surtout l’intérêt d’en cumuler les rémunérations. Certains républicains des facultés de droit s’illustrent d’ailleurs dans ce type de cumul. C’est le cas des sénateurs de centre gauche comme Charles Bertauld, qui s’oppose d’ailleurs en 1872 à son interdiction647, ou Léopold Thézard, qui se voit interdire trente ans plus tard, le cumul de son traitement de professeur à la Faculté de droit de Poitiers648. La solution la plus sage est alors la suppléance dans le poste universitaire. Anselme Batbie ou Fernand Faure optent pour cette dernière solution.

La critique faite dans la presse de droite du professeur-élu-de-gauche devient rapidement rhétorique ordurière sous la plume des journalistes d’extrême-droite, qui aiment à y déceler « quarteron de l’anti-France »649. Elle n’est cependant pas inversée dans la presse de gauche, au sujet des professeurs de droit qui s’afficheraient au sein des partis de droite. En effet, si des propos « réactionnaires », proférés depuis la chaire, sont susceptibles d’être reportés, critiqués, honnis, l’indifférence reste l’attitude la plus 645 Voir à ce sujet Victor Karady, « Les professeurs de la République. Le marché scolaire, les réformes universitaires et les transformations de la fonction professorale à la fin du 19e siècle », art. cit., pp. 107-112.

646 Daniel Gaxie, « Questionner la représentation politique », Savoir/Agir, n°31 (2015) p. 18.

647 Lors de la discussion au Sénat de la proposition de loi Princeteau relative à l’interdiction de toute fonction publique salariée aux membres de l’assemblée nationale, le professeur caennais emploie une argumentation mémorable : « Non-seulement, messieurs, la proposition est injuste et oppressive, mais encore elle est insuffisante. En effet, est-ce qu’elle nous empêcherait de chercher, pour nos fils, pour nos gendres, des suppléments d’établissements et de dots ? » (« Assemblée nationale », Le Figaro, 1872/01/06 (n°6), p. 3). Voir aussi « Échos de l’Assemblée nationale », Le Constitutionnel, 1872/02/04 (n°35), p. 2.

648 Le Figaro, 1903/04/02 (n°92), p. 1.

649 L’expression, empruntée à Charles Maurras, désigne dans sa rhétorique, les quatre ennemis de la nation : le franc-maçon, le juif, le métèque et le protestant. Voir notamment l’article qu’il écrit à propos de la candidature du professeur lillois Henri Lévy-Ullmann aux élections législatives de 1910 : Ch. M., « La politique. Unissez-vous contre les juifs ! », L’Action française, 1909/02/24 (n°55), p. 1.

courante face à celui qui s’adonne à la politique sous une bannière droitière. La modération avec laquelle chacun aborde les questions politiques dans les facultés est une part d’explication de la rareté des commentaires. L’image de l’institution facultaire en elle-même y est aussi pour beaucoup. La gauche ne fait pas la chasse aux professeurs de droite, car elle se concentre sur l’institution qui freine par un conservatisme outrancier, le développement de la société républicaine. Les professeurs qui s’adonnent ainsi à une politique réactionnaire n’en sont que ses agents. Les individus ne méritent donc pas de récriminations particulières.

L’avènement de la République opportuniste réconcilie cependant le régime avec le conservatisme. Le républicanisme professoral, qui ne penche pour ainsi dire jamais du côté du socialisme650, n’est donc pas symptomatique d’un changement de paradigme politique au sein des facultés de droit, qui demeurent globalement attachées à une forme de conservatisme. Il est cependant révélateur d’un professorat « nouveau style »651 qui prend son essor dès la décennie 1870, qui se prononce en faveur d’un réformisme certes modéré, mais conforme à l’idéal républicain. Ce dernier paraît d’ailleurs tout aussi suspect au corps, dont la préservation d’une certaine unité dans la pensée semble garantir la cohésion, qu’au reste de la société, regardant le juriste non comme un « créateur », mais comme un « reproducteur » mu par le « sens pratique »652. Dès lors qu’il s’égare en politique, le professeur de droit est donc soupçonné d’être un usurpateur. Cela signifie qu’il use de son savoir juridique à d’autres fins que celles auxquelles il est normalement destiné. Cette vision devient le précepte essentiel des accusations formulées par l’opinion publique contre l’ancien professeur Gustave Humbert dans l’affaire impliquant sa bru et 650 Sur l’excentricité que sont les idées socialistes chez les professeurs de droit, cf. Frédéric Audren et Bruno Karsenti, « Présentation : Emmanuel Lévy (1871-1944) : juriste, socialiste et sociologue »,

Droit et Société, n°56-57 (2004), pp. 75-77 et Carlos Miguel Herrera, « Socialisme juridique et droit

naturel. A propos d’Emmanuel Lévy », in Carlos Miguel Herrera (dir.), Les juristes face au politique,

op. cit., pp. 69-84.

651 Cette expression est empruntée à Frédéric Audren, Jean-Louis Halpérin, La culture juridique française.

Entre mythe et réalité (XIXe-XXe siècles), op. cit., pp. 121-132.

son fils, qui figure au rang des grands scandales qui émeuvent l’opinion au tournant du XIXe siècle.

B. L’affaire Humbert ou la vindicte populaire contre la corruption d’un juriste