• Aucun résultat trouvé

Avant d'aborder la description dans L'attentat et ses multiples transpositions, il convient de rappeler que ce procédé ne peut être réduit à la fonction de « pause

247 Dans la bande dessinée, contrairement au phylactère, un récitatif est un texte transposant

la voix intérieure du narrateur dans une case afin de fournir des informations au lecteur, que le dessinateur ne peut rapporter par le dessin.

143

descriptive »249, alors qu'il se manifeste dans le diégèse afin de servir la narration. D'une part, cette forme de mise en texte renvoie « à l'activité perspective d'un sujet, donc focalisée, elle est en fait narrativisée et donc ne fonctionne plus comme pause […]. »250 Par ailleurs, tout en étant considérée comme une pause pour le lecteur, ses

fonctions sont de plus en plus diverses : « décorative (la description du bouclier d'Achille) ou alors explicative et symbolique (les portraits chez Balzac) ; s'y ajoutent des fonctions de crédibilisation mimétique et d'indexation idéologique. »251 note

Oswald DUCROT. C'est en effet sur ce dernier point que notre analyse devrait montrer comment la description est constitution de la diégèse, elle participera de la constitution et de la conscience idéologique et philosophique du récit, qu'il soit romanesque, cinématographique, théâtral ou bédéique.

Afin de pouvoir analyser une séquence descriptive, il faut d'abord recourir aux travaux de Jean-Michel ADAM et RAVEZ. Dans leur ouvrage L'analyse des récits, ils mettent en évidence « un répertoire des opérations communes à toute procédure descriptive »252 (précisé ci-dessous)

Tableau 4 : Classement rhétorique des descriptions

Description de personnes Description des choses 1. Portrait moral ou Ethopée

2. Portrait physique ou Prosopographie 3. Portrait d'un type ou Caractère 4. Double portrait ou parallèle

1. Description de lieux (Topographe) 2. Description de temps (Chronographie) 3. Description d'animaux (Zoographie) 4. Description de plantes (Phytographie)

Et ces dernières fonctionnent en alternance avec des opérations de base exposées avec précision dans le tableau suivant, où « les descripteurs sont libres d'appliquer

249 Contrairement à Gérard GENETTE, selon lequel la pause descriptive qui constitue l'une

des quatre formes canoniques du tempo romanesque, « où à une longueur textuelle quelconque correspond à une durée diégétique nulle » (GENETTE, Figure III), Philippe HAMON a montré, que le domaine du descriptif ne pouvait être réduit à la fonction de pause. Décidément, on arrête de parler de la description en les mêmes termes vagues, sans aucune systématique dont particulièrement le cliché ; la description c'est pour reposer le lecteur.

250 DUCROT Oswald & SCHAEFFER Jean Marie, Nouveau dictionnaire encyclopédique

des sciences du langage, Éditions Seuil, Paris, 1995, p. 714.

251 DUCROT Oswald & SCHAEFFER Jean Marie, op. cit., p. 714.

252 ADAM Jean-Michel & REVAZ Françoise, L’analyse des récits, Éditions Aubin, Poitiers,

144

ou non telle ou telle de ces opérations et ils peuvent procéder selon un ordre de leur choix. »253

Tableau 5 : Les opérations descriptives de base (P. 32) Type d'opération Code Définition 1. Opération d'ancrage ou

d'affectation [a] Dénomination de l'objet de la description (tout). 2. Opérations d'aspectualisation [b] Fragmentation du tout [a] en parties [b].

[c] Mise en évidence de qualités ou propriétés du tout [a] ou des parties envisagées en [b].

3. Opérations de mise en

relation [d] Mise en situation temporelle (situation de [a] dans un temps historique ou individuel). [e] Mise ne situation spatiale (relations de contiguïté

entre [a] et d'autres individus susceptibles de devenir à leur tour l'objet d'une procédure descriptive, ou entre les différentes parties [b]).

[f] Assimilation comparative ou métaphorique qui permet de décrire le tout [a] ou ses parties [b] en les mettant en relation analogique avec d'autre objets- individus.

4. Opération de reformulation [g] Le tout [a] ou ses parties [b] peuvent être re-nommés en cours en fin de description.

III.1 La description dans le roman

À titre d'illustration, même si le décrit ne constitue pas un large étendu dans la narration, nous affectons successivement le portait des personnages, des objets ou lieux dans L'attentat d'une lettre correspondant à l'opération descriptive sous-jacente. Et ce à travers une alternance entre ces deux dernières grilles :

1. Description de personnages :

145

[Kim]. [a] On dirait une fée [f] surgissant d'une fontaine [e] de jouvence [c], avec ses cheveux [b] noirs [c] cascadant [c] dans son dos [b] et ses grands [c] yeux [b] soulignés [c] au crayon noir [c]. Elle [a] porte un pantalon [b] blanc [c] d'une coupe [b] impeccable [c] et une chemise [b] si légère [c] […]. Son visage [b] est reposé [c], et son sourire [b] radieux [c]. (P. 86)

Naveed descend de sa voiture [e]. Il porte un survêtement [b] frappé aux couleurs [c] de l'équipe nationale de football [c], des chaussures [b] de sport [c] neuves [c] et un béret [b] noir [c] tourné vers l'arrière. Son ventre [b] se déverse [f] sur ses genoux [e], énorme [c] et flasque [c], quasiment grotesque [c] […]. Naveed n'est pas fier de sa carrure [b] d'ours [f] mal [c] léché [c] […] ce qui confère à sa démarche [b] quelque chose de déglingué [c], compromettant ainsi le sérieux [c] et l'autorité [c] qu'il veut incarner. (P. 89)

[…] Yasser [a]. Désemparé [c], le cou [b] enfoui [c] sous son col [b] pourri [c] comme s'il s'attendait à recevoir le ciel sur la tête [d + e + f], il feint de se concentrer sur la chaussée [e] pour ne pas avoir à affronter mon regard [b] […]. La soixantaine [b] révolue [c], il n'est qu'une loque [c + f] aux yeux [b] rongés [c] et à la bouche [b] affaissée [c], capable de me claquer entre les doigts [b + c] au détour d'un froncement de sourcils [b + c + f]. P. 125

Un grand [c] gaillard [a1] aux allures [b] d'hercule [f] forain [c + f] m'invite à entrer

dans un salon [e] recouvert de tapis [b] de laine [c] où un jeune [c] homme [a2] en

kamis [b] noir [c] brodé [c] sur les manches [b] et sur le col [b] m'ouvre grand-ses bras. […] Son visage [b] ne me dit rien. Je ne pense pas l'avoir rencontré ou aperçu auparavant. Il est beau [c], les yeux [b] clairs [c] et les traits [b] fins [c] que fausse une moustache [b] trop fournie [c] pour être vraie ; il ne doit pas avoir plus de trente ans [g]. (P. 135)

146

En l'espace d'un quart d'heure [d], le hall [b + e] des urgences [e] se transforme en champ [e + f] de bataille [e + f]. Pas moins d'une centaine [b] de blessés [a] s'y entassent, la majorité [b] étalée à ras le sol [c]. Tous les chariots [b] sont encombrés [c] de corps [c] disloqués [c], horriblement [c] criblés [c] d'éclats [c], certains [b] brûlés [c] en plusieurs endroits [c + e]. Les pleurs [b] et les hurlements [b] se déversent à travers tout l'hôpital [c + e]. De temps en temps [d] un cri [b] domine le vacarme [c], soulignant le décès [c + d] d'une victime. (P. 20)

Dans le parking [e], des policiers [a1] vont et viennent dans une sorte de frénésie [c +

f] feutrée [c]. Le silence [a2] est rempli [b] des grésillements [c] de leurs postes [b]

radio [c]. Un officier [a3] donne des instructions [b] à partir d'un 4x4 [e], le fusil [b]

mitrailleur [c] sur le tableau [e] de bord [e]. (P. 24)

Bethléem [a] a beaucoup changé [c] depuis mon dernier passage [d], il y a plus d'une décennie [d]. Engrossée [c + f] par les cohortes [c] de réfugiés [b] désertant leurs contrées [e] devenues des stands de tir [e], elle [a] propose de nouveaux [c] fatras [b + f] de taudis [b] en parpaings [c] nus [c + f], dressés [c] les uns contre les autres [e] comme des barricades [c] - la plupart [b] encore au stade de finition [c], recouverts [c] de tôle [c] ou hérissés [c] de ferraille [c], avec des fenêtres [b] hagardes [c + f] et des portails [b] grotesques [c]. (P. 113)

Six jours et six nuits [d] en fermé [c] dans un trou [e + f] à rat [c + f] pestilentiel [c], livré [d + e] aux puces [b] et aux cancrelats[b], à me nourrir de soupe [b] froide [c] et à me limer les vertèbres [b] sur un grabat [b] dur [c] comme une pierre [c +f] tombale [c + f]! […] Le septième jour [d], un commandeur [a] sous bonne [c] escorte [b] me rend visite dans la cave [e]. (P. 210)

Janin [a] n'est plus qu'une ville [g] sinistrée [c], un immense [c] gâchis [f] ; elle [g] ne dit [f] rien qui vaille et a l'air [b] aussi insondable [c] que le sourire [b] de ses martyrs [b] dont les portraits [b] sont placardés [c] à chaque coin de rue [e]. Défigurée [g] par les multiples [c] incursions [b] de l'armée [b] israélienne [c], tour à tour clouée [c] au pilori [b] et ressuscitée [c] pour faire durer le plaisir, elle [g] gît dans ses malédictions [b], à bout de souffle [b] et à court d'incantations... (P. 203)

Le recours à l'une ou l'autre de ces opérations n'est jamais fortuit, le nombre de fois où le narrateur détourne son attention sur le physique des personnages, les objets ou les lieux, malgré la brièveté des passages parfois alternées par de portraits doubles, ce n'est pas uniquement pour déterminer une description aux valeurs explicative. En revanche, il accorde plus d'importance à l'aspect extérieur du décrit, particulièrement le côté vestimentaires, comme c'est le cas des passages ci-dessus, parce que quand il évoque de façon métaphorique la corpulence imposante de Naveed, l'ami juif, et son survêtement aux couleurs du drapeau israélien qui prennent effet sur le narrateur, le col répugnant de Yasser, le kamis noir - pourquoi pas blanc - du Cheikh, la description établit ainsi une correspondance entre l'intérieur et l'extérieur des personnages. Ce qui renvoie à une métonymie de la Palestine occupée et son peuple, et la description constitue moins dans ce cas de figure, une rupture du temps de la fiction, un ornement, qu'une vision.

147

Ainsi, dans le texte topographie, chronographique notamment, les lieux évoqués introduisent une tension entre le choix de la mise en évidence des propriétés [c] et leur assimilation comparative et métaphorique [f] qui n'est pas sans conséquence. Le narrateur tend par métonymie toujours et un champ lexical exploité à caractériser « Le hall des urgences qui se transforme en champs de bataille », alors que le vrai lieu de lutte et où se déploie l'action est celui de Janin et Bethléem, se trouve « changée et engrossée », aux yeux du narrateur à cause des réfugiés qui s'y déversent. Nous pouvons dire que la fonction diégétique de la description dans L'attentat de Yasmina KHADRA se double d'une fonction expressive.

III.2 La description dans le film

L'arbitraire de la description dans le récit filmique a souvent été souligné, étant toujours vue comme un moyen d'expression propre au texte littéraire. Or, techniquement, dans le cinéma, elle est prise en charge par ce que l'on appelle l'échelle des plans qui, regroupés en trois catégories (illustrations ci-dessous), est très variables d'une langue à l'autre. Cette typologie contient : les plans larges/descriptifs, les plans moyens/dramatique montrant l'action et finalement plans rapprochés à valeur psychologique. Traiter de la question de description dans le film, le réalisateur DOUEIRI a eu recours principalement aux plans larges. Dans la terminologie française, ces derniers renvoient au plan général et au plan d'ensemble, illustrés dans les cadres suivants :

III.2.1 Plans larges ou descriptifs