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Hypothèse 1 : le burn out est néfaste pour l’empathie

Dès l'année 2002, L.M. Bellini, M. Baime, et J.A. Shea140 repèrent dans une étude de cohorte chez des étudiants de l'Université de Pennsylvanie, durant leur année d'internat, qu'un changement significatif d'humeur avec dépression et agressivité est associé à une diminution du score d'empathie sur l'échelle d’empathie IRI (Interpersonal Reactivity Index)40.

La même année, Shanafelt102 démontre un risque accru de prise en charge sous optimale du patient en cas de burn out dans une étude transversale portant sur 115 étudiants en médecine de l'université de Washington, affiliés à l'internat de médecine interne. Il s'intéresse notamment à l'attitude empathique de ces étudiants, par exemple avec l’item « je fais peu attention à l'impact social et personnel de la maladie de mon patient ». Cette question retrouve une forte corrélation avec la dimension dépersonnalisation. Cependant, aucune échelle d’empathie n’a été utilisée dans cette étude.

Graham et al.141;142, quant à eux, expliquent en 2002 les résultats de leur étude transversale élaborée en 1996 : le cynisme, que l’on peut assimiler à la dépersonnalisation, l'une des trois dimensions du burn out, est une stratégie défensive de coping, afin de préserver sa personne. Il risque néanmoins d'altérer la relation médecin-patient et aussi les relations confraternelles. Leur étude transversale ne permet pas toutefois d'établir un lien de causalité, point d'ailleurs critiqué par Mc Manus 143.

La même année, en France, D. Truchot 88, dans son étude transversale portant sur les médecins généralistes de Champagne Ardenne, trouve que le repli identitaire ainsi qu'une orientation de carrière « égoïste » exposent plus au risque de burn out. Pour cela, les trois dimensions de l'échelle de burn out MBI sont corrélées avec les différentes orientations de carrières décrites précédemment. Bien que l’empathie ne soit pas directement analysée, nous pouvons supposer que le repli identitaire et une orientation égoïste sont des processus où l’empathie est laissée de côté, ou en tout cas non prioritaire. Dans ce sens, il est probable que le burn out soit lié à une moindre empathie.

En 2007, la revue de littérature de C.P. West et T.D. Shanafelt82 conclue au déclin de l'humanisme et de l'empathie durant les études médicales, en partie en raison d'un stress professionnel intense, résultat retrouvé également chez les médecins. Il mentionne que certains traits de personnalité, ou plutôt certaines habiletés dans les relations interpersonnelles seraient en cause.

82 Toujours en 2007, M.R. Thomas14 démontre un lien significatif entre burn out et empathie ainsi qu’entre bien-être et empathie chez les étudiants en médecine dans une étude multicentrique portant sur 1098 étudiants de l'état du Minnesota. Le score d'empathie, mesuré par l'IRI, est plus élevé que dans l’échantillon de population générale du même âge. Les scores d'empathie émotionnelle et cognitive dans les deux sexes sont inversement corrélés au burn out, surtout concernant la dimension dépersonnalisation. L'épuisement émotionnel chez les hommes est corrélé de façon négative à l'empathie émotionnelle, ce qui n'est pas retrouvé chez les femmes. Enfin, il existe une relation positive entre accomplissement personnel et les deux types d'empathie, à savoir cognitive et émotionnelle. Cette étude souligne qu'il n'existe pas de relation significative entre dépression et empathie chez les hommes, mais que lien est bien présent chez les femmes. Puisqu'il n'existe pas de différence de résultat significative entre empathie cognitive et émotionnelle, les auteurs concluent à un lien entre l’empathie globale et stress professionnel.

En 2009, L’équipe de recherche de M. Hojat examine l'empathie dans une étude de cohorte chez 456 étudiants en médecine de 3ème année du Jefferson Medical College, à l'aide de l'échelle JSPE39. Plus les étudiants avancent dans le cursus médical, plus l’importance de la relation médecin-patient est présente, et plus les scores d’empathie diminuent. Les scores d'empathie sont plus élevés chez les femmes et dans les spécialités centrées sur le patient. Ils sont plus faibles dans les spécialités très axées sur la technologie comme la radiologie ou la chirurgie. Plusieurs facteurs de risque sont retrouvés pour expliquer ce déclin, comme l’attitude parfois peu professionnelle des médecins formateurs, un enseignement trop chargé, le manque de temps, les facteurs environnementaux, et les facteurs en rapport avec les patients. Les auteurs rapportent certaines remarques illustrant ce propos : « quand je rentre dans la chambre d'un patient, je me demande plus comment être efficace, plutôt qu'entrer en relation avec le patient »; « Etre trop occupé détruit l'empathie »; « Difficile d'être empathique quand les patients considèrent la médecine comme un simple business ». Ces témoignages reflètent les stigmates du burn out, avec déjà une surcharge de travail et une déshumanisation de la relation.

En 2009 également, comme nous l’avons évoqué précédemment à propos des techniques de formation à l’empathie et dans la prévention secondaire du burn out (cf. p. 33 et p. 79), M.S. Krasner56 publie une étude prospective portant sur 871 praticiens généralistes rémunérés du Greater Rochester à New York. Il démontre l'efficacité d'un programme d'éducation à la « Mindful Communication », consistant à développer l'attention du médecin par trois techniques sur l'amélioration de l'empathie et la diminution du burn out. Ces trois techniques sont la « mindfulness meditation », l’« appreciative inquiry », et la narration.

83 Cependant, il ne réalise pas de corrélation entre les résultats du burn out et ceux de l’empathie. Nous observons uniquement que le programme améliore l’empathie, et diminue le burn out. La méthodologie altère l’impact des résultats, du fait qu’elle soit non randomisée, avec une population non représentative.

En 2010, Dyrbye98 étudie le lien entre le burn out et le professionnalisme chez 2682 étudiants, dans une étude multicentrique dans sept écoles de médecine. Elle utilise l’échelle MBI de burn out et des échelles explorant les comportements professionnels. Certains comportements peu professionnels tels que la tricherie, une attitude peu altruiste sont retrouvés de façon plus fréquente chez les étudiants ayant un score élevé de burn out.

L'équipe de C. Brazeau41 réalise une étude transversale réalisée sur le mode volontaire portant sur les étudiants de quatrième année de la New Jersey Medical School. Le taux de participation est de 71,8%. Elle démontre un lien entre burn out mesuré par la MBI, et l'empathie, mesurée par la JSPE, ainsi qu'avec le professionnalisme, mesuré par une échelle de mesure de professionalisme, la PCI (Professionalism Climate Measurement). En effet, le burn out est corrélé à des scores d'empathie plus faible, ainsi qu'à un moindre professionnalisme. L’analyse statistique retrouve également une relation significative entre empathie et professionnalisme chez les étudiants en médecine. Cependant, on ne peut conclure à un lien de causalité entre burn out et empathie du fait de la transversalité de l’étude.

En 2011, D. Truchot13 réalise une étude, portant sur 270 médecins généralistes. Cet échantillon de médecins a répondu à un questionnaire rapportant un cas clinique de médecine générale d'une personne âgée dans un cas compliante, et dans l'autre, peu compliante, afin d'évaluer la réaction des professionnels et leur degré d'engagement vis-à-vis du patient. Les médecins en burn out, mesuré par l'échelle MBI, se désengagent de la relation, adoptant des attitudes moins coûteuses en énergie et en temps, démontrant ainsi que le retrait psychologique est lié au burn out. Ce lien est d'autant plus important que le patient est peu compliant.

Enfin, la revue de la littérature de M. Neumann38, montre et confirme le déclin de l'empathie durant les études médicales. Il souligne le peu d'approfondissement sur les origines de cette diminution. Il montre que l'âge et le sexe n'influencent pas les variations d'empathie. En revanche, pratiquement toutes les études citées montrent que le burn out est un facteur significatif de retentissement sur le degré d'empathie, ainsi que certains traits de personnalité, de façon moins significative. Il est intéressant de souligner que le déclin est très prononcé au moment où les étudiants atteignent la phase clinique, moment où la relation avec le patient s'intensifie : à ce stade, les étudiants s'identifient plus aux patients et deviennent plus

84 vulnérables. Ils développent des stratégies de protection, en déshumanisant le patient par exemple, ou en ayant recours à la dépersonnalisation et au cynisme.

En 2011, S.A. Passalacqua et C. Segrin22 réalisent une étude prospective, unicentrique, chez 93 internes. Ils évaluent l'évolution du burn out, de l'empathie, de la communication centrée sur le patient et du stress durant les gardes pouvant durer entre 24 et 30 heures. Deux hypothèses sont évoquées alors, testant le lien de causalité entre burn out et empathie : le burn out entraîne le déclin de l'empathie, ou le déclin de l'empathie entraîne le burn out. Cette étude longitudinale permet de conclure à une diminution significative de l'empathie pendant la garde, et de conclure au fait que le stress perçu entraîne le burn out, qui lui-même entraîne la diminution de l'empathie. Ce dernier est responsable d'une diminution de la communication centrée sur le patient. Cette étude permet donc d’établir l’incidence de l’empathie sur le burn out, mais la relation inverse n’est pas éliminée pour autant. Elle reste néanmoins à démontrer.