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Henri IV et l’édit de Nantes : bref aperçu historique

La composante religieuse

I.1 Henri IV et l’édit de Nantes : bref aperçu historique

Le XVIesiècle français est un siècle mouvementé, perturbé par les guerres de religion entre protestants et catholiques qui déchirent le royaume. Durant cette période, à partir des années 1550, les rois de France n’ont ni la volonté ni les finances pour tenter de prendre possession de terres dans le Nouveau Monde. Les dernières explorations ayant pour but de fonder un empire fran-çais datent de François Ier, avant le début des guerres de religion. Durant cette période troublée, tous les efforts sont mis en œuvre pour parvenir à une forme de paix dans le royaume72.

Les huguenots font office de contre-pouvoir face à la royauté catholique73. Leurs revendications sont à la fois religieuses et politiques74et menacent l’in-tégrité du royaume, raison pour laquelle les rois de France qui se succèdent sur le trône tentent tous de mettre un terme à ces conflits afin d’asseoir défi-nitivement leur pouvoir à l’intérieur de leurs frontières.

Pour mettre un terme à ces guerres, les rois de France promulguent des édits de pacification religieuse75. Ces édits royaux sont parfois des édits de tolé-rance, autorisant le protestantisme en France et prenant acte de l’existence de deux religions dans le royaume, parfois des édits de rétablissement de la re-ligion catholique qui interdisent totalement l’existence du protestantisme en France. Ces édits de tolérance ou de rétablissement, nombreux, s’alternent en fonction des victoires politiques et militaires des parties en conflit. Lorsque les huguenots réussissent à s’imposer, un édit de tolérance est promulgué.

Lorsqu’au contraire les catholiques obtiennent une victoire, ces édits de tolé-rance sont révoqués afin de rétablir une seule et unique religion en Ftolé-rance, le catholicisme76.

72 Le Roux, Nicolas,Les guerres de religion, 1559-1629.

73 Thomas, Danièle, « 1559-1598 : entre guerres et paix », in : Thomas, Danièle (éd.),L’Édit de Nantes : (texte intégral en français moderne), p. 14.

74 Garrisson, Janine, L’Édit de Nantes, Chronique d’une paix attendue, p. 67.

75 Le Roux, Nicolas,Les guerres de religion, 1559-1629, p. 6.

76 Gantet, Claire ; El Kenz,David,Guerres et paix de religion en Europe aux XVIe-XVIIesiècles, p. 112.

Ces guerres de religion sont un véritable frein au développement du royaume77. Il semble donc inévitable que les voyages d’exploration commen-cés sous François Ierdans le Nouveau Monde ne soient pas poursuivis. En outre, l’évangélisation des peuples de ces nouvelles terres où l’Espagne et le Portugal sont pleinement actifs semble, durant cette période mouvementée, impossible à réaliser. Le problème religieux doit d’abord être réglé en France avant de penser à une quelconque exportation du catholicisme au-delà des frontières.

Pour ce faire, il faut attendre la venue d’Henri IV sur le trône de France. Ce premier roi de la génération des Bourbons, sous le règne duquel auront lieu les premiers établissements coloniaux de l’Empire français, succède aux der-niers Valois qui décèdent sans descendance. Malgré son statut de beau-frère du dernier roi de France, Henri III, Henri IV est protestant. Il a pris part, bien que de manière relativement peu active, aux conflits religieux et est considéré comme le chef du parti protestant78.

Les catholiques n’approuvent pas la venue d’un roi protestant à la tête du royaume. Les conflits reprennent donc de plus belle malgré l’épuisement des deux partis qui désirent véritablement parvenir à une solution pacifique. Cette solution est initiée par Henri IV qui décide de se convertir au catholicisme afin de se faire accepter et reconnaître comme roi de France légitime79. À partir de ce changement de profession de foi, les troubles cessent peu à peu en France et les négociations pour parvenir à une paix entre catholiques et protestants débutent80. Henri IV endosse le rôle de médiateur dans les négociations de paix entre les deux partis et parvient à faire accepter un édit de pacification en 159881, l’édit de Nantes.

77 Souchon, Cécile, L’Édit de Nantes,p. 12.

78 Thomas, Danièle, « 1559-1598 : entre guerres et paix », in : Thomas, Danièle (éd..),L’Édit de Nantes : (texte intégral en français moderne), p. 21.

79 Garrisson, Janine, L’Édit de Nantes, Chronique d’une paix attendue, p. 34.

80 Ibid.,p. 23.

81 L’édit de Nantes connaît cependant des difficultés d’application de la part des parlements dans l’année qui suit sa promulgation par Henri IV. À ce sujet, voir : Chevalier, Françoise,

« Les difficultés d’application de l’édit de Nantes d’après les cahiers des plaintes (1599-1660) », in : Grandjean, Michel ; Roussel, Bernard,Coexister dans l’intolérance, L’édit de Nantes (1598).

L’édit de Nantes permet aux protestants de vivre dans le royaume et d’exercer leur foi sans être inquiétés. Il tolère l’existence du protestantisme comme seconde religion, en tant que minorité dans un État catholique82.

En effet, l’édit de Nantes permet aux protestants d’avoir une existence propre et de ne plus être poursuivis pour leurs différences religieuses83. Ils peuvent pratiquer librement leur religion dans les villes de tradition protestante84. Si nous abordons l’édit de Nantes dans notre chapitre dédié à la composante religieuse de l’Empire français, c’est parce que ce document est essentiel pour permettre de comprendre l’évolution du rôle du catholicisme dans les colonies.

L’édit de Nantes est certes une loi promulguée par le roi et validée par les parlements85, mais elle a davantage une fonction de traité de paix entre deux

82 Au sujet de l’édit de Nantes, voir par ex. : Barnavi, Elie, « L’édit de Nantes : le triomphe des Politiques » ; Benoist, Elie,Histoire de l’édit de Nantes; Bolle, Pierre,L’Édit de Nantes : un compromis réussi ? : une paix des religions en Dauphiné-Vivarais et en Europe ; Cham-peaud, Grégory,Le parlement de Bordeaux et les paix de religion (1563-1600) : une genèse de l’Édit de Nantes; Garrisson, Janine, L’Édit de Nantes, Chronique d’une paix attendue ; Ma-riéjol, Jean-Hippolyte,La Réforme, la Ligue et l’Édit de Nantes (1559-1598); Souchon, Cécile, L’Édit de Nantes ;Wanegffelen, Thierry (éd.),De Michel de l’Hospital à l’édit de Nantes : Poli-tique et religion face aux Églises; Whelan, Ruth ; Baxter, Carol (éd.),Toleration and religious identity : the Edict of Nantes and its implication in France, Britain and Ireland; Saupin, Guy, L’Édit de Nantes en 30 questions; Delumeau, Jean (éd.), L’acceptation de l’autre, de l’édit de Nantes à nos jours; Hubler, Lucienne ; Candaux, Jean-Daniel ; Chalamet, Christophe (éd.), L’édit de Nantes revisité : Actes de la journée d’étude de Waldegg (30 octobre 1998) ; Grand-jean, Michel ; Roussel, Bernard,Coexister dans l’intolérance, L’édit de Nantes (1598).

83 Édit de Nantes,avril 1598, art. VI : « Et pour ne laisser aucune occasion de troubles et différends entre nos sujets, avons permis et permettons à ceux de ladite religion prétendue réformée vivre et demeurer par toutes les villes et lieux de cestui notre royaume et pays de notre obéissance, sans être enquis, vexés, molestés ni astreints à faire chose pour le fait de la religion contre leur conscience, ni pour raison d’icelle être recherchés dans les maisons et lieux où ils voudront habiter, en se comportant au reste selon qu’il est contenu en notre présent édit. »

84 Ibid., art. VII : « Nous avons aussi permis à tous seigneurs, gentilshommes et autres per-sonnes, tant régnicoles qu’autres, faisant profession de la religion prétendue réformée, ayant en notre royaume et pays de notre obéissance haute justice ou plein fief de hau-bert, comme en Normandie, soit en propriété ou usufruit, en tout ou par moitié ou pour la troisième partie, avoir en telle de leurs maisons desdites hautes justices ou fiefs susdits, qu’ils seront tenus nommer devant nos baillis et sénéchaux, chacun en son détroit, pour leur principal domicile l’exercice de ladite religion, tant qu’ils y seront résidents […] ».

85 Garrisson, Janine, « L’Édit de Nantes », in : Hubler, Lucienne ; Candaux, Jean-Daniel ; Chala-met, Christophe (éd.),L’édit de Nantes revisité : Actes de la journée d’étude de Waldegg (30 octobre 1998),p. 11.

factions, celle des catholiques et celle des huguenots. Ce traité de paix met fin à des jeux de pouvoir entre deux religions qui tentent de s’imposer en France.

Grâce à cet édit, les guerres religieuses cessent, mais le catholicisme n’a plus le monopole qu’il avait au début du XVIesiècle.

Cependant, si l’édit de Nantes est révolutionnaire parce qu’il tolère l’existence d’une seconde religion dans le royaume, il n’est en aucun cas une autorisation pour le protestantisme de se développer en France86. Au contraire, les droits des huguenots sont limités et ils n’ont aucune possibilité de s’étendre davan-tage. L’édit de Nantes n’est pas, contrairement à ce qu’estiment de nombreux chercheurs87, un édit en faveur du protestantisme, mais bel et bien un édit de rétablissement du catholicisme dans le royaume. Ce traité de paix tolère l’existence d’une seconde religion qui doit rester l’apanage d’une minorité. En outre, elle n’est possible qu’en attendant la réunification des deux Églises en une seule et unique vraie religion :

« […] et s’il [Dieu] ne lui a plu permettre que ce soit pour encore en une même forme de religion, que ce soit au moins d’une même intention et avec telle règle qu’il n’y ait point pour cela de trouble et de tumulte entre eux […] »88.

L’édit de Nantes est donc un document provisoire, en attendant que les deux religions parviennent à se mettre d’accord sur leurs différends afin de n’en former plus qu’une. L’édit s’empresse, de surcroît, de rétablir le catho-licisme dans le royaume89. Après deux articles imposant une amnistie pour

86 Thomas, Danièle,L’Édit de Nantes : (texte intégral en français moderne), p. 29.

87 Benoist, Elie,Histoire de l’édit de Nantes; Garrisson, Janine, L’Éditde Nantes, Chronique d’une paix attendue; Grandjean, Michel ; Roussel, Bernard (éd.),Coexister dans l’intolérance, L’édit de Nantes (1598) ;Le Roux, Nicolas, Les guerres de religion, 1559-1629 ;Saupin, Guy, L’Édit de Nantes en 30 questions ;Souchon, Cécile, L’Édit de Nantes ;Wanegffelen, Thierry, L’Édit de Nantes, Une histoire européenne de la tolérance ;Delumeau, Jean (éd.), L’accep-tation de l’autre, de l’édit de Nantes à nos jours,Gounelle, André, « L’édit de Nantes » ; Hu-bler, Lucienne ; Candaux, Jean-Daniel ; Chalamet, Christophe (éd.),L’édit de Nantes revisité : Actes de la journée d’étude de Waldegg (30 octobre 1998).

88 Édit de Nantes, avril 1598, préambule.

89 Hubert Bost traite de l’importance de considérer l’édit de Nantes dans son contexte, au moment de sa promulgation, et non avec une vision à-posteriori, lors de sa révocation.

Bost, Hubert, « Les 400 ans de l’édit de Nantes : oubli civique et mémoire historique », in : Hubler, Lucienne ; Candaux, Jean-Daniel ; Chalamet, Christophe (éd.),L’édit de Nantes revi-sité : Actes de la journée d’étude de Waldegg (30 octobre 1998),p. 63.

les crimes et délits commis sous le couvert des guerres de religion, l’art. III encourage le retour du catholicisme là où les guerres l’ont mis à mal :

« Ordonnons que la religion catholique, apostolique et romaine sera re-mise et rétablie en tous les lieux et endroits de cestui notre royaume où l’exercice d’icelle a été intermis pour y être paisiblement et librement exercé sans aucun trouble ou empêchement […] »90.

L’édit tolère certes la religion protestante dans le royaume, mais lorsque l’on se penche de plus près sur les différents articles de ce traité de paix, l’on remarque que l’exercice de cette religion est extrêmement cadré. Si l’art. VII permet aux huguenots de pratiquer leur foi sans entrave sur les terres de seigneurs protestants91, tel n’est pas le cas dans le reste du royaume. L’art.

VIII précise que :

« Es maisons des fiefs où ceux de ladite religion n’auront ladite haute justice ou fief de haubert, ne pourront faire ledit exercice que pour leur famille tant seulement […] »92.

Ainsi, dans les villes où les protestants ne détiennent pas la haute justice, l’exercice public de la religion est interdit. En outre, le même article interdit également aux protestants de pratiquer leur religion dans des :

« villes, bourgs ou villages appartenant à des seigneurs hauts justiciers catholiques autres que nous esquels lesdits seigneurs catholiques ont leur maison […] »,

sauf en cas d’autorisation expresse des seigneurs catholiques. De même, l’exercice de la religion protestante est interdit à la cour du roi de France, dans la ville de Paris93et dans l’armée94. L’art. XIII réduit encore les possibi-lités d’expansion du protestantisme puisqu’il précise que l’exercice de celui-ci

90 Édit de Nantes, avril 1598, art. III.

91 Ibid.,op. cit.

92 Ibid., art. VIII.

93 Ibid., art. XIV : « Comme aussi de faire aucun exercice de ladite religion en notre Cour et suite, ni pareillement en nos terres et pays qui sont delà les monts, ni aussi en notre ville de Paris, ni à cinq lieues de ladite ville […] ».

94 Ibid., art. XV : « Ne pourra aussi l’exercice public de ladite religion être fait aux armées, sinon aux quartiers des chefs qui en feront profession, autres toutefois que celui où sera le logis de notre personne. »

n’est permis que dans les lieux cités par l’édit de Nantes. Dans tous les autres lieux non mentionnés par cette loi, le protestantisme est, de fait, interdit95. De plus, l’édit insiste sur le respect des fêtes catholiques. Durant les jours fériés indiqués par le calendrier religieux, les protestants n’auront pas la pos-sibilité de travailler96. Même s’ils appartiennent à une autre profession de foi, les huguenots doivent respecter le calendrier catholique. Il n’en va pas de même des catholiques qui n’ont aucune obligation envers les fêtes protes-tantes. En matière de droit canon, notamment, les protestants doivent conti-nuer à respecter les lois liées aux mariages97et doivent également s’acquitter des impôts ecclésiastiques aux curés98. Les catholiques, de leur côté, ne sont pas tenus d’entretenir les pasteurs protestants.

Les articles cités nous permettent de constater que le catholicisme est et reste la religion du royaume. Le protestantisme est toléré, dans certaines li-mites et dans certains lieux99. Tel ne sera pas le cas, ainsi que nous allons le voir dans les pages qui vont suivre, des colonies de l’empire. Ne faisant pas partie des possessions françaises lors de la signature de l’édit de Nantes, ces nouveaux territoires tombent sous le coup de l’art. XIII. Ne s’agissant pas de villes détenues par des seigneurs huguenots, le protestantisme n’y est pas le bienvenu.

95 Ibid., art. XIII : « Défendons très expressément à tous ceux de ladite religion faire aucun exercice d’icelle tant pour le ministère, règlement, discipline ou instruction publique d’en-fants et autres, en cestui notre royaume et pays de notre obéissance, en ce qui concerne la religion, fois qu’ès lieux permis et octroyés par le présent Edit. »

96 Ibid., art. XX : « Seront tenus aussi garder et observer les fêtes indictes en l’Eglise catho-lique, apostolique et romaine, et ne pourront ès jours d’icelles besogner, vendre ni éta-ler à boutiques ouvertes, ni pareillement les artisans travailéta-ler hors leurs boutiques et en chambres et maisons fermées, esdits jours de fêtes et autres jours défendus, en aucun métier dont le bruit puisse être entendu au dehors des passants ou des voisins, dont la recherche néanmoins ne pourra être faite que par les officiers de la justice. »

97 Ibid., art. XXIII.

98 Ibid., art. XXV.

99 Frank Lestringant estime même que l’édit de Nantes est un instrument de reconquête ca-tholique. Lestringant, Frank, « La résistance huguenote à l’édit de Nantes : le cas d’Agrippa d’Aubigné », in : Hubler, Lucienne ; Candaux, Jean-Daniel ; Chalamet, Christophe (éd.),L’édit de Nantes revisité : Actes de la journée d’étude de Waldegg (30 octobre 1998),p. 20.

I.2 Catholicisme et empire : la justification religieuse de