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Introduction générale L’hétérochronie

1.2. Hétérochronie 1 Historique

1.2.4. Hétérochronie et évolution

L’hétérochronie concerne des changements de parcours ontogénétique se pro- duisant sur une échelle temporelle entre ancêtres et descendants. Des modifica- tions hétérochroniques peuvent mener à des différences subtiles mais aussi à des organismes radicalement différents sans nécessiter pour autant de forts remaniements génétiques (WEST-EBERHARD 1986, MCKINNEY & MCNAMARA 1991). Les changements seront d’autant plus importants que l’hétérochronie agit globalement sur l’organisme, qu’ils ont lieu précocement au cours du déve- loppement et que les différences de chronologie ou de taux de développement entre ancêtres et descendants sont importantes. Les sauts évolutifs seront parti- culièrement marqués en réponse à des changements rapides et prononcés de l’environnement. Lorsque les environnements se modifient faiblement, l’évolu- tion peut être plus graduelle. On peut ainsi observer des clines pédomorphiques (les morphologies adultes deviennent de plus en plus pédomorphiques – juvé- niles – dans une séquence évolutive) ou péramorphiques (les morphologies adultes deviennent de plus en plus péramorphiques – sur-développées – dans une séquence évolutive). Les hétérochronies de développement sont aussi atten- dues chez des organismes faiblement canalisés, c’est-à-dire libérés d’une contrainte de développement trop stricte. Lorsqu’ils sont possibles, les change- ments peuvent ainsi être rapides. Les espèces à cycle de vie complexe, tels les arthropodes, échinodermes ou amphibiens, sont particulièrement prédisposées à montrer des changements radicaux car la maturité acquise par leur stade lar- vaire ou juvénile peut mener à une forme adulte radicalement différente. L’évo-

INTRODUCTION GÉNÉRALE : L’HÉTÉROCHRONIE

unique dans chacune d’elles. En effet, en considérant tous les éléments d’un organisme, on peut constater des hétérochronies dissociées révélant une évolu- tion en mosaïque. Ainsi, certains éléments peuvent être surdéveloppés (péra- morphose), tandis que d’autres peuvent être sous-développés (pédomorphose) chez le même descendant (MCKINNEY& MCNAMARA1991).

Les exemples d’hétérochronie intra- et interspécifique ont été rapportés pour de nombreuses structures dans la plupart des groupes actuels et éteints. On peut ainsi citer la structure du crâne et la rétention pédomorphique des fentes branchiales des amphibiens branchiosaures (SCHOCH1995) et de nombreux uro- dèles actuels (WHITEMAN1994), la perte de phalanges chez les urodèles menant à des polydactylies variées (ALBERCH & BLANCO 1996), l’apparition précoce des membres chez les anoures à développement direct (ELINSON1990), la forme des membres chez les anoures (EMERSON 1986, 1987), la pédomorphose du crâne des anoures miniatures (TRUEB& ALBERCH1985), la structure des dents qui se serait modifiée par initiation précoce de la différenciation des amélo- blastes chez les vertébrés (SMITH1995), la pédomorphose de la forme de la queue des dipneustes (BEMIS 1984), la forme de la tête des cichlidés (MEYER 1987), la structure des valves d’ostracodes (OLEMPSKA1989), la forme des ron- geurs géomyoides (HAFNER & HAFNER 1988), les castes chez les insectes sociaux (HARVELL 1994), la choriogenèse chez les lépidoptères (REGIER & VLAHOS 1988), la structure de la coquille des rudistes (SIMONPIÉTRI & PHILIP 2000) et des ammonites (SWAN1988) ou encore la complexification péramor- phique des plaques phyllodales (MCNAMARA1985) et le passage des larves pré- datrices à non prédatrices (STHRATHMANN et al. 1992) chez les échinoïdes. Parallèlement à la comparaison de trajectoires ontogénétiques, les exemples d’hétérochronies ont aussi été appliqués aux trajectoires astogénétiques chez les bryozaires (ANSTEY1987, PACHUTet al. 1991).

Tout comme l’hétérochronie a été proposée pour expliquer des transi- tions d’espèces à espèces, elle l’a aussi été pour les exemples de macro-évolu- tion menant à des groupes plus larges, tels des tyrannosaures depuis leurs ancêtres maniraptores par le surdéveloppement du crâne et des membres posté- rieurs joints à la réduction des membres antérieurs (LONG& MCNAMARA1995), des ratites et carinates depuis leurs ancêtres ailés par pédomorphose de la cein- ture pectorale (LIVEZEY1992, 1995) et des hydroïdes sessiles pédomorphiques depuis leurs ancêtres pélagiques (CUNNINGHAM& BUSS1993). Même des chan- gements de phylum sont supposés s’être produits par hétérochronie (MCKINNEY & MCNAMARA1991), telle l’apparition des vertébrés depuis des larves de tuni- ciers devenues adultes par pédomorphose (GARSTANG 1929), des amphibiens depuis des ostéolépiformes par pédomorphose crânienne et péramorphose des membres (LONG1990), des oiseaux depuis des dinosaures théropodes (LONG& MCNAMARA 1995) ou encore des acanthocéphales depuis des priapulides pro- génétiques (CONWAYMORRIS & CROMPTON 1982). Les analyses génétiques amèneront certainement des éclaircissements sur ces relations.

Une voie de validation de ces hétérochronies est de rendre compte de leur caractère adaptatif (GOULD 1977, MCKINNEY & MCNAMARA 1991),

CHAPITRE 1

quoique certains auteurs considèrent que l’évolution par hétérochronie puisse se produire sans action de la sélection (EMERSON1986). Parmi les adéquations de nouvelles structures, la signification adaptative de celles liées au système de prise de nourriture sont parmi les plus faciles à montrer. Les pinsons de Darwin présentent différentes allométries de croissance de leur bec, leur conférant des avantages en terme d’utilisation des ressources. Les altérations de leurs par- cours ontogénétiques ont produit au cours du temps de nouveaux morphotypes capables d’occuper des pics adaptatifs (MCKINNEY & MCNAMARA 1991), quoique l’hétérochronie ne soit pas toujours évoquée pour rendre compte de ces spécialisations (GRANT 1986). Le rôle de l’hétérochronie a aussi été crucial dans l’occupation de nouvelles niches alimentaires des échinoïdes avec comme exemple particulièrement prononcé, la perte pédomorphique de la lanterne d’Aristote (MCKKINNEY& MCNAMARA1991). Alors que cet appareil est utilisé par les échinoïdes réguliers pour râper des algues, sa réduction chez nombre d’espèces d’échinoïdes irréguliers offre la possibilité de nouvelles stratégies ali- mentaires. En addition aux adaptations conférant des avantages dans l’utilisa- tion des ressources trophiques, l’hétérochronie peut aussi mener à des formes adaptées à de nouveaux environnements. On constate aussi une tendance pédo- morphique chez différentes espèces de brachiopodes rhynchonellides qui abou- tit à une augmentation de la taille du pied et une réduction de la taille du lopho- phore, deux adaptations favorisant la survie sous des régimes hautement hydrodynamiques et ainsi l’occupation de nouveaux habitats, les formes ances- trales se rencontrant dans des zones plus profondes et calmes (MCNAMARA 1983). Des transitions d’habitats sont aussi rencontrées dans d’autres groupes. Il en est ainsi des bivalves chez lesquels une rétention pédomorphique du bys- sus permet une vie épifaunale (STANLEY1972). Les ostracodes montrent aussi des variations hétérochroniques liées aux régimes océaniques (zones stables ou fortement variables par up-wellings ou sédimentation active) (BERTHOLON 1997). L’évitement des prédateurs semble aussi avoir favorisé des modifica- tions hétérochroniques menant à des morphologies permettant un enfouisse- ment chez les trilobites ou un camouflage chez les ammonoïdes (MCKINNEY& MCNAMARA 1991). Les changements hétérochroniques peuvent aussi être induits par sélection pour des stratégies d’histoire de vie. La progenèse a ainsi été liée à des stratégies plutôt de type r (reproduction précoce, petite taille,…) tandis que la néoténie le serait à des stratégies plutôt de type K (reproduction tardive, grande taille,…) (GOULD1977).

1.3. Pédomorphose chez les urodèles