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Les grilles pour un oral jugé difficile

PARTIE 1. Du terrain au laboratoire…

2. La linguistique descriptive

2.3. L’exploitation des grilles syntaxiques

2.3.1. Les grilles pour un oral jugé difficile

Nous avons mis à l’épreuve cette technique sur les corpus de locuteurs aphasiques :

[8] Loufrani, Claude & Roubaud, Marie-Noëlle. 1998. Les grilles d'analyse des corpus aphasiques : un outil nécessaire. Glossa, 62 : 4-13.

Par sa souplesse d'utilisation, sa plasticité à absorber tous les discours, la mise en grille rend compte des phénomènes pathologiques qui seraient passés inaperçus. Elle visualise par écrit la construction du discours sur les deux axes et le temps passé à son élaboration. Elle met en évidence l’ossature syntaxique des propos du locuteur :

(19) Thérapeute : qu'est-ce qui va mieux

Locuteur : la parole peut-être + mais également la le reste c'est-à-dire également + la le non pas le langage ça c'est + mais également il y a la langue les + les + ah + ah comment qu'on dit c'est ah + pour les chèques et tout ça (Favet, I, 10, 1)

la parole peut-être

mais également la

le reste c'est-à-dire également la

le

non pas le langage ça c’est

mais également il y a la langue les les ah

ah comment qu'on dit

c’est

ah pour les chèques

et tout ça

18. Mise en grille de l’exemple (19)70

Une analyse en groupes fonctionnels donnerait moins de perspective (Granier, 1993-1994) en ramenant le discours à la phrase, outil peu adapté à une analyse de l'oral. Dans l’exemple ci-dessus, la mise en grille met en évidence l’organisation du texte produit par le patient répondant à la question du thérapeute (Qu’est-ce qui va mieux ?) : elle montre que la place

70 Exemple extrait de l’article [8], p. 6.

complément est la plus touchée par la recherche lexicale71. Le locuteur aphasique doit faire face au manque de mot et pour compenser son trouble, utilise des stratégies pour répondre au thérapeute, comme dans l’exemple ci-dessus : emploi du pronom ça, recours à un syntagme approximatif (et tout ça) lui permettant de clore sa recherche, fréquence de c’est ou il y a pour démarrer les syntagmes. Nous avons détaillé ces stratégies palliatives dans l’article suivant :

[3] Roubaud, Marie-Noëlle & Loufrani, Claude. 1993. « La syntaxe, c'est ce qui reste quand on a tout oublié ». La syntaxe comme outil de description syntaxique. Recherches Sur le Français Parlé, 12 : 85-113.

La prise en compte d’un contexte large nous a permis de caractériser, dans les productions des locuteurs aphasiques, trois grands types d’organisations discursives.

 La découverte d’organisations discursives

Nous avons identifié deux types d’organisations discursives, correspondant aux deux axes du langage : une organisation de type lexical où la syntaxe est pauvre, la recherche du mot se concentrant sur l’axe paradigmatique et l’autre, de type syntaxique où la priorité est accordée à la syntaxe, le lexique faisant défaut. Dans ce dernier cas, nous avons affiné la description syntaxique en établissant une échelle graduée d’évaluation des troubles, comportant cinq niveaux de difficulté ([8],p. 9) :

Difficulté maximale

Difficulté minimale

1. Reprise des syntagmes du thérapeute 2. Production d'un syntagme isolé

3. Production d'un syntagme en réponse au thérapeute 4. Production d'une construction en c'est ou il y a 5. Production d'une construction : SVO

19. Échelle d’évaluation des troubles du locuteur aphasique

Cette échelle apporte au thérapeute une évaluation fine des productions langagières des locuteurs aphasiques. La mise en grille ouvre ainsi de nouvelles voies à la rééducation.

Cet outil de description nous a fait découvrir un troisième type d’organisation discursive, non identifiable à l'écoute et à la lecture, que nous avons appelé « lexico-sémantique » :

[9] Roubaud, Marie-Noëlle & Loufrani, Claude. 1999. Éclairage des corpus de type aphasique par les grilles. Recherches Sur le Français Parlé, 15 : 41-57.

Cette organisation de type lexico-sémantique échappe au locuteur et à l'interlocuteur et seule la mise en grille en démonte le mécanisme. En voici un exemple ([9], p. 53) :

(20) Exemple de la chauve-souris

Thérapeute : hum bien hier nous avons vu euh nous avons examiné ce qu'était une chauve-souris hum est-ce que vous pouvez m'expliquer là Locuteur : alors la chauve la chauve-souris euh c'est une souris c'est une c'est un oiseau qui la elle est + elle est beaucoup plus grande hein elle a des ailes + immenses puisqu'elle a des ultrasons qu'on peut appeler + et ces ces ailes immenses peut les avoir euh des propriétés euh nouvelles + parce que + parce que elles + ça ça lui permet d'a- d'arrêter son son travail + c'est-à-dire qu'elle peut s'arrêter de voler elle peut s'arrêter de chasser pour ne pas faire du bruit et puis et puis et puis elle peut s'arrêter ainsi de faire quelque chose quoi (NOLOT,II,71-7)

La mise en grille visualise l’organisation du discours du locuteur tentant de définir ce qu’est une chauve-souris ; elle permet d’accéder à la dimension sémantique :

1. alors la chauve

la chauve-souris c'est une souris c'est une

c'est un oiseau qui la

2. elle est

elle est beaucoup plus grande

elle a des ailes immenses puisqu'elle a des ultrasons […] 3. et ces

ces ailes immenses peut les avoir des propriétés nouvelles parce que parce que elles

4. ça

ça lui permet d'a-

d'arrêter son son travail 5. c'.-à-d. qu' elle peut s'arrêter de voler

elle peut s'arrêter de chasser pour ne pas faire du bruit et puis

et puis

et puis elle peut s'arrêter ainsi de faire qq. chose quoi

20. Mise en grille de l’exemple de la chauve-souris

La définition d’une chauve-souris par le locuteur repose sur l’agencement de cinq structures syntaxiques (indiquées par des chiffres dans la grille et séparées par des traits horizontaux) qui, chacune à son tour, caractérisent l’animal et correspondent à autant de thèmes majeurs que nous schématisons de la façon suivante :

Identification zoologique Classification zoologique Caractérisation zoologique Construction 1 Dénomination de la catégorie animale Animal terrestre

Animal volant Description Construction 2

Propriétés de cet animal

Particularités physiques Énumération Construction 3 Propriétés et capacités Propriétés Construction 4 Capacités Construction 5

21. Organisation textuelle de l’exemple de la chauve-souris

Avec de tels exemples et grâce à cet outillage puissant, nous avons pris la mesure des configurations au sens où Claire Blanche-Benveniste les définit en 1990 :

Configurations : sortes d’organisations qui s’étendent au-delà des unités de macrosyntaxe et qui structurent des unités équivalents à des paragraphes. (Blanche-Benveniste, 1990, glossaire p. 289)

Nous avons montré que si l’analyse en grille éclaire l'architecture fonctionnelle du discours, elle permet aussi d'apercevoir le potentiel cognitif de chaque locuteur non pas en terme de déficit mais en terme de dynamique, comme en témoigne l’exemple ci-dessus.