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L’enseignement des questions socialement vives porte sur des problèmes complexes, ouverts, mal structurés, et sujets en débats. Enseigner les QSV pose différents défis. Les QSV sont porteuses d’incertitudes et de controverses, inter-disciplinaires par nature. Les médias, les débats publics, l’appartenance socio-culturelle et /ou religieuse influencent les points de vue des élèves. Les enjeux éducatifs des QSV peuvent être variés, il convient en premier lieu de les clarifier.

Que cherche l’éducateur ? Favoriser l’adhésion ? à quoi ? Par exemples, à l’utili-sation d’OGM permettant de réduire les taux de pesticides ou au contraire au développement de l’agriculture biologique ? On voit bien que la question est loin d’être triviale, et encore moins neutre. L’enseignant peut avoir aussi l’am-bition principale habituelle de faire construire des connaissances par les élèves.

D’autres enjeux peuvent être visés : la prise de décision argumentée (et de ses limites – faire préciser aux élèves à quelles conditions ils changeraient d’avis), la compréhension de la place du débat scientifique, des controverses, des incertitu-des, de l’instabilité des savoirs, l’analyse des relations Société-Technosciences-Environnement, la problématisation de questions environnementales, le déve-loppement de la « citoyenneté scientifique », l’émancipation des élèves, leur en-gagement, la modification de leurs comportements… L’agir communicationnel d’Habermas , fondé sur la compréhension mutuelle pour coordonner des actions planifiées, permet aux individus de développer des actions en vu d’un change-ment social ; l’enjeu de l’enseignechange-ment des QSV , de ce point de vue, devient un enjeu d’émancipation qui vise la capacité des élèves à transformer la société.

Une compétence à développer peut être le développement du raisonne-ment socio-scientifique (Sadler, Barab & Scott, 2006). Ces auteurs ont élaboré de façon théorique ce raisonnement à partir de quatre opérations souhaita-bles pour analyser les questions socio-scientifiques :

• l’analyse de la complexité inhérente à la question étudiée,

• l’examen de la question à partir de différents points de vue,

• la perception que la question doit être soumise à des recherches complémen-taires dans les champs scientifique et social,

• et l’expression de scepticisme vis-à-vis d’informations qui peuvent être biaisées.

Nous avons complété ce raisonnement par quatre opérations dans la perspective de l’analyse de questions liées au Développement Durable :

• l’identification des risques et incertitudes,

• la recherche et l’évaluation de savoirs produits par des producteurs de savoirs

non académiques, les autres « producteurs symboliques » de Bourdieu (groupes professionnels, associations, consommateurs…),

• la prise en compte des valeurs (valeurs potentiellement marquées par des élé-ments sociétaux ou médiatiques) ou principes moraux qui orientent les prises de position,

• l’analyse des modes de gouvernance et des rapports de force dans les orienta-tions locales ou globales (Simonneaux & Simonneaux, 2007).

La valorisation des QSV pose différents défis aux enseignants : ne plus se centrer sur les savoirs académiques mais devenir le porteur de projet, abandon-ner des pratiques individuelles en faveur de modalités collectives de travail, être capable de s’adapter aux contraintes et d’identifier les ressources existant au niveau local, s’intégrer dans un tissu social et non se replier derrière des savoirs, devenir régulateurs de débat au lieu d’être ceux qui savent et se positionner par rapport à la délicate question de la neutralité.

Pour ce faire, l’enseignant valorisera des compétences spécifiques :

• en socioépistémologie, c’est-à-dire sur l’interaction entre la construction des sciences et la société, sur les implications des développements technoscienti-fiques sur l’environnement. Il s’agit de saisir comment les sciences (les tech-nosciences) incorporent les contraintes sociales, éthiques, économiques et politiques qui forment les sociétés dans laquelle les sciences sont produites et agissent en retour sur cette société.

• sur l’analyse du système de représentations-connaissances des élèves, car sur ces questions les élèves ont des a priori fondés sur des représentations sociales, des résidus d’apprentissage scolaires antérieurs, des discours médiatiques,

• sur l’analyse critique de discours médiatiques contradictoires et sur leur uti-lisation en classe,

• sur la construction de stratégies didactiques adaptées, ouvertes et complexes,

• et sur le rôle particulier qu’ils jouent dans celles-ci (gestionnaire de débats et de conflits cognitifs et affectifs, animateur de l’analyse réflexive cognitive et affective à l’issue de l’enseignement, impact de leur posture plus ou moins neutre ou engagée, articulation interdisciplinaire, intégration du champ risqué des valeurs et des idéologies).

Il s’agit d’une éducation «sur» et «pour» l’action qui met en jeu des valeurs, des savoirs et des compétences sociales, qui suppose une approche affective (iden-tifier ses émotions), une approche éthique (iden(iden-tifier les principes sous-jacents), une approche cognitive (mobiliser des concepts structurants, identifier et évaluer des critères scientifiques, cerner les orientations socio-économico-politiques), la maîtrise de et l’analyse critique de l’argumentation. Il s’agit d’une éducation in-terdisciplinaire intégrant sciences humaines et sciences expérimentales.

La question de la « distance » affective et socio-culturelle ; son influence sur les processus d’apprentissage

On connaît l’importance des registres émotionnels, sociaux ou moraux, des valeurs dans l’éducation au développement durable. Un point souvent mis en exergue est la pertinence d’analyser avec les élèves des situations locales et authentiques. Il s’avère que le choix des situations n’est pas anodin et la distance affective vis à vis de la situation joue un rôle clef dans le processus d’apprentissage. Les résultats de la recherche ne donnent cependant pas tou-jours des résultats convergents. Dans une recherche récente, le raisonnement socio-scientifique d’étudiants sur trois questions liées au Développement Du-rable, deux questions locales (la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées, la présence du loup dans le Mercantour) et une question globale (le changement climatique) (Simonneaux, Simonneaux, sous presse) a été comparé. La « proxi-mité », sur le plan socio-culturel et des valeurs, de la question traitée est grande avec les étudiants, plus l’apprentissage scientifique (analyse critique de leurs conceptions, appropriation de connaissances, réflexion socioépistémologique sur les savoirs impliqués, raisonnement) s’avère faible. Tant l’emporte la sur-expression de l’affect. Mais parfois la mobilisation de l’affect favorise la recher-che de contre arguments scientifiques pour réfuter des positions divergentes.

Cela a été le cas dans l’analyse faite par Jimenez-Aleixandre (2006) à propos de l’apprentissage scientifique d’élèves Galiciens confrontés au naufrage du Prestige et à la marée noire qui en a résulté. Dans ces résultats apparemment contradictoires, on retrouve la prégnance des valeurs dans l’apprentissage. Si la situation proposée aux étudiants s’oppose à leur système de valeurs, l’affect peut freiner le raisonnement critique, les « aveugler » ; si au contraire elle leur permet de défendre des positions socio-culturelles auxquelles ils adhérent, elle stimule leur analyse critique.

Comment gérer une bonne « distance » favorisant la motivation, la prise de distance par rapport aux a priori, l’émergence du besoin chez les individus de savoirs scientifiques et « sociaux » sur lesquels il convient de procéder à une analyse critique ?

Bien que la contextualisation soit supposée améliorer la cognition située et favoriser l’apprentissage scientifique en lui donnant du sens et le rendant opérationnel, on a vu dans cette étude les limites d’une contextualisation locale trop impliquante. Toutefois l’analyse de questions vives locales ou globales à di-mension environnementale peut favoriser la mobilisation intégrée de concepts interdisciplinaires et promouvoir la citoyenneté scientifique des élèves On peut espèrer relier alors démocratisation scientifique, problématisation et action.

Bibliographie

Legardez A. & Simonneaux L., 2006, L’école à l’épreuve de l’actualité - Enseigner les questions vives, Issy-les-Moulineaux : ESF.

Funtowicz S. O., & Ravetz J. R., 1993, Science for the post-normal age. Futures, 25(7), 739-755.

Mappin M. & Johnson E.A., 2005, Changing perspectives of ecology and education. In environmental education. Chapter 1 E. A. Johnson and M. Mappin, editors.

Kolsto S.D., 2005, The relevance of values for coping with socioscientific issues in science education. Paper presented at the ESERA conference 2005 in Barcelona, Spain.

Berr E., Harribey, J-M., 2005, Le concept de développement en débat, économies et Sociétés, Développement, croissance et progrès, 43(3), 463-476.

Sadler T. D., Barab S.A. & Scott B., 2006, What do students gain by engaging in socioscientific inquiry? NARST, April 3-5, San Francisco.

Simonneaux L., Simonneaux J., sous presse. Students’ socio-scientific reasoning on controversies from the viewpoint of Education for Sustainable Development, Cultural Studies in Science Education.

Jimenez-Aleixandre M.-P., 2006, Les personnes peuvent-elles agir sur la réalité ? La théorie critique et la marée noire du Prestige. Sous la direction de A. Legardez & L.

Simonneaux, L’école à l’épreuve de l’actualité - Enseigner les questions vives, Issy-les-Moulineaux: ESF.

Les modélisations d’accompagnement,