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4 Propositions de stratégies

4.9 Favoriser la recherche en nutrition de santé publique

Depuis le lancement initial du PNNS, la recherche a toujours constitué un de ses éléments stratégiques. La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche n° 2010-874 du 27 juillet 2010 a inscrit dans les missions pérennes du PNNS « le développement de la formation et de la recherche en nutrition humaine ». Un volet transversal « Formation, surveillance, évaluation et recherche » a ainsi été inscrit comme volet transversal du PNNS 2011-201576 incluant 6 mesures qui, à part la première spécifiquement dédiée à la formation en nutrition, étaient fortement axées sur les aspects de recherche.

La mesure 2 visait à « Maintenir les outils nationaux de surveillance nutritionnelle et créer les outils nouveaux indispensables » : de fait de grandes enquêtes représentatives ont été renouvelées et des enquêtes plus spécifiques sur certains sous-groupes de population ont été initiées (telles que celle sur les bénéficiaires de l’aide alimentaire). Certaines de ces enquêtes ont donné lieu à des publications dans des revues internationales à Comité de lecture, soulignant les intrications fortes entre surveillance et recherche (qu’il faut évidemment pérenniser), garantissant la rigueur scientifique des études conduites, leur diffusion et leur reconnaissance internationale et valorisant le travail des équipes des agences sanitaires fortement mobilisées par ces travaux. Cela doit à l’évidence être poursuivi, mais les questions et propositions concernant la surveillance ont été analysées plus en détail dans le chapitre consacré à la surveillance nutritionnelle (cf. paragraphe 4.7).

La mesure 3 consistait à « Clarifier les enjeux, les intérêts, les besoins, les méthodes de l’évaluation ». Concernant l’action 42.4 « le pré-test et l’évaluation des campagnes de prévention », cette pratique a maintenant été systématisée pour les campagnes nationales ; son application au niveau locorégional devrait l’être.

La mesure 4 visait à « Contribuer aux orientations de la recherche en nutrition et santé publique », en promouvant une recherche pluridisciplinaire à travers « la formalisation de propositions aux organismes de recherche, en accord avec les orientations du PNNS, sur les déterminants biologiques, environnementaux, culturels, économiques et sociaux, relatives aux conséquences des pratiques et comportements sur l’état nutritionnel ainsi que l’évaluation de stratégies d’évaluation en population ». L’Agence nationale de la recherche (ANR) a soutenu pendant plusieurs plans triennaux (à partir de 2005) des recherches spécifiquement orientées sur la nutrition/alimentation. Les plans plus récents ont intégré ces aspects dans des approches plus générales, telles que « Vie, santé et bien-être », défi 4, composante du plan d’action 2017 où les aspects importants pour le PNNS pourraient être devinés sous le libellé de certains axes, tels que

« Axe 9 : Santé Publique : Inégalités sociales de santé en France : santé et prévention, soins primaires et services sociaux (axe conjoint avec le Défi 8). Axe 10 : Recherche translationnelle en santé ;… ».

Le HCSP regrette la discordance entre le soutien politique à un programme majeur de santé publique et l’absence de visibilité de ce programme comme sujet important de recherches.

D’autres agences ont cependant financé des programmes ou actions de recherches spécifiques, notamment l’INCa, Santé publique France ou l’ANSES.

Quel qu’ait été le niveau de réalisation de cette contribution aux orientations de la recherche, cette contribution doit être non seulement reconduite mais amplifiée. Inversement, certains organismes de recherche, et notamment l’INRA, ont soumis leurs projets de programmes pluriannuels de

76 Site du ministère chargé de la santé : http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/PNNS_2011-2015.pdf

recherche à des instances extérieures où les préoccupations du PNNS ont pu être exprimées, comme celles d’autres acteurs, tels que les organisations participant au Conseil national de l’alimentation (CNA). Ce conseil avait d’ailleurs fait à plusieurs reprises, et plus récemment dans son avis n°76, des recommandations recoupant les préoccupations du PNNS, par exemple la recommandation 67-10 (« Afin d’optimiser l’efficacité des mesures pratiques qui pourraient être mises en œuvre, le CNA recommande la poursuite et le renforcement des recherches sur les attentes, les utilisations et les compréhensions des mangeurs au regard des informations nutritionnelles délivrées aujourd’hui ») et la recommandation 76-50 « Mieux prendre en compte les résultats des études et travaux de recherche relatifs à la perception et à l’impact des différents types de messages lors de la définition des plans d’action gouvernementaux, notamment dans le cadre du PNA et du PNNS. ».

Au cours des dernières années, une problématique a pris une importance cruciale, celle de l’influence des conflits d’intérêts en nutrition (comme dans de nombreux autres domaines), qu’il s’agisse d’intérêts économiques (financements industriels, les plus étudiés) ou idéologiques (influence des associations militantes, moins étudiés et donc sous-estimés). Depuis les publications initiales de l’équipe de Lesser [207], de nombreuses publications ont confirmé l’influence de la source de financement sur le résultat des recherches, à travers la nature des questions posées et les méthodologies mises en œuvre [218]. Illustrant l’importance de cette thématique, le Journal de l’Association américaine de médecine (Journal of the American Medical Association, JAMA, une des revues majeures de la recherche biomédicale) a consacré cette année un numéro entier à la question des conflits d’intérêt [171]. S’il est légitime qu’une recherche partenariale compétitive ou pré-compétitive soit encouragée pour favoriser la compétitivité et le développement de filières, comme cela a été fait à travers plusieurs programmes de l’ANR, il est indispensable qu’une recherche totalement indépendante puisse continuer à être conduite, et même être amplifiée, dans des champs de la nutrition susceptible d’avoir des impacts négatifs sur certaines filières fortes (exemple de l’impact des boissons sucrées - incluant maintenant les jus de fruits - sur la santé).

La mesure 5 visait à « Promouvoir l’expertise française au niveau européen et international » notamment à travers « la constitution d’une base de données des experts français du champ de la nutrition et la valorisation de cette base auprès des instances européennes et internationales. », qui n’a de fait pas encore été constituée. Le HCSP note cependant que le travail d’expertise des experts français devrait d’abord être mieux reconnu par leurs agences d’évaluation et surtout par les comités en charge de la promotion des chercheurs. Par ailleurs, il est évident que la sélection des experts français au niveau national comme au niveau européen ne dépend pas que de leurs compétences scientifiques évaluées à travers les publications mais aussi de leur souhait explicite de participer et donc de candidater à ces instances, ce qu’il faut absolument encourager. Le rapport de 2009 du Pr Laville77 incluait comme une des forces de la recherche française le continuum entre les disciplines mobilisées et le continuum de la recherche avec l’expertise.

La mesure 6 concernait l’évaluation du programme national nutrition santé et du plan obésité, à réaliser par l’IGAS, et par l’AERES pour ce qui concerne la partie recherche. L’AERES est devenu HCERES, Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, mais ce bilan n’a pas été réalisé à ce jour.

Dans le cadre des préconisations actuelles du HCSP contenues dans le présent rapport, et concernant des domaines à fort retentissement tels que régulation de la publicité ou la taxation des

77 Rapport disponible sur le site Internet : http://docplayer.fr/9858387-Rapport-orientations-strategiques-pour-la-recherche-en-nutrition-humaine.html

produits, il est impératif que des travaux de recherche soient conduits sur ces aspects très spécifiques : impact sur les comportements des nouvelles formes de publicité qui se développent sur les réseaux sociaux pour contourner les régulations progressivement mises en place sur les moyens traditionnels ; aspect potentiellement régressif et discriminatoire des mesures de taxation, régulièrement mis en avant pour s’opposer ou limiter de telles mesures, si bien que des recherches visant à améliorer les méthodologies d’évaluation et de prédiction de ces mesures sont absolument nécessaires.

Le HCSP recommande :

► de renforcer le financement public exclusif des recherches concernant la nutrition et la santé publique :

- de renouveler le bilan exhaustif de la recherche en nutrition en France, tel qu’il avait été conduit par la mission du Pr. LAVILLE sous l’égide de l’INRA et l’INSERM et publié en 2009, afin de pouvoir mieux analyser les évolutions : un nouveau rapport en 2019 (et donc avec un pas de temps de 10 ans) permettrait d’évaluer les tendances de fond et de faire des propositions plus détaillées, pragmatiques et réalistes ;

- que les actions de surveillance des consommations alimentaires et du statut nutritionnel (et de santé en lien avec la nutrition) déjà mises en œuvre en lien avec la recherche soient poursuivies.

► un soutien plus affirmé à la recherche interventionnelle, interdisciplinaire, définie comme une recherche apportant des connaissances pour les interventions et les politiques publique :

- aussi bien sur les impacts de nouveaux outils de prévention (régulation de la publicité numérique, taxation, ..) que sur l’ensemble des « déterminants biologiques, environnementaux, culturels, économiques et sociaux » qui s’opposent à, ou au contraire favorisent, l’adoption de comportements alimentaires favorables à la santé. Elle inclut aussi la recherche méthodologique sur l’évaluation d’impact en santé, permettant la mise au point de méthodes acceptables par les acteurs et rapides, tout en développant des abords quantitatifs.

- la valorisation des nombreuses expériences d’intervention dans les différents territoires et collectivités territoriales. Elle requiert plusieurs étapes : recensement des interventions, identification d’actions prometteuses. Après cette phase, un travail long devrait être expérimenté, visant à identifier avec les acteurs les éléments clés théoriques de ces interventions, susceptibles d’être transférés dans un autre contexte. Cette analyse est un processus long qui a été expérimenté mais dont la faisabilité mérite d’être confirmée et expérimentée.