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Introduction générale L’hétérochronie

1.3. Pédomorphose chez les urodèles 1 Etendue de la pédomorphose

1.3.2. Facteurs abiotiques et biotiques influençant la réponse pédomorphique

La pédomorphose est un trait d’histoire de vie extrêmement complexe dont l’apparition et le maintien dans telle ou telle proportion vis-à-vis de la méta- morphose peuvent dépendre de nombreux facteurs, tant abiotiques que bio- tiques, chaque espèce, et même chaque population d’une même espèce ne réagissant pas de la même manière aux mêmes circonstances. L’influence de certains facteurs a été démontrée de façon expérimentale. Elle a aussi été déduite à partir d’observations directes sur le terrain.

Effet de la densité. SE M L I T S C H (1987) a mis en élevage des larves d’Ambystoma talpoideum dans des bacs expérimentaux, à différentes densités depuis leur éclosion. Il a ainsi pu montrer que de basses densités étaient asso- ciées à un plus grand nombre de larves devenant pédomorphes (réponse pédo- morphique plus importante), du moins lorsque le milieu était permanent. La même tendance a été montrée par HARRIS (1987) chez un salamandridé, Notophthalmus viridescens. Cette situation semble donc pouvoir être généralisée.

Références : 1ABRAMI1966, 2ANDREONE& DORE1991, 3BRANDON& BREMER1966, 4BRANDON

1976, 5BRANDONet al. 1986, 6BRANDON1989, 7BRIEGLEB1962, 8BRUCE1976, 9BRUCE1979, 10CHIPPINDALEet al. 2000, 11CLERGUE-CASEAU1974, 12COLLINS1981, 13COLLINSet al. 1993, 14DELY1967, 15DOLMEN 1978, 16DZUKICet al. 1990, 17EAGLESON1976,18FUHN 1963, 19GABRIONet al. 1977,20GASCet al. 1997, 21KALEZICet al. 1994,22KANKI& WAKAHARA1999, 23KEZER1952, 24KRENZ& SEVER1995, 25LICHT1992, 26LITVINCHUKet al. 1996, 27PETRANKA 1998,28SEMLITSCHet al. 1990, 29SHAFFER& VOSS1996, 30SKET& ARNTZEN1994, 31THORN 1968, 32VANGELDER1973.

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Ainsi, en situation de basse densité, les larves ont un plus haut taux de crois- sance, lequel est vraisemblablement dû à une moindre compétition pour les res- sources et un nombre d’interactions agressives réduit. Les larves ont ainsi davantage tendance à rester dans le milieu aquatique en tant que larve mature.

Effet d’un prédateur. La présence de poissons, en condition expérimentale, diminue la réponse pédomorphique d’Ambystoma talpoideum (proportion de larves devenant pédomorphes) mais augmente le nombre d’immatures. Quoiqu’une métamorphose permettrait d’éviter tout risque de prédation, les béné- fices d’une maximalisation de la croissance en condition aquatique pourraient favoriser les individus ne se métamorphosant pas (JACKSON& SEMLITSCH1993).

Effet de la nourriture. Quelle que soit la densité de nourriture, la réponse pédomorphique reste identique chez Ambystoma gracile (LICHT 1992) et Ambystoma talpoideum (SEMLITSCH1987). Néanmoins, VOSS (1995) constate une influence du taux de nourriture en déterminant la réponse pédomorphique de descendants de croisements en «retour» (backcross) hybride A. tigrinum x A. mexicanum avec A. mexicanum sous différents régimes environnementaux. Ses résultats montrent que les larves fortement nourries avaient plus tendance à devenir métamorphes, du moins lors des traitements où la température était éle- vée (aucun effet observé à basse température). En présence d’une nourriture abondante, davantage de larves devenaient aussi pédomorphiques dans des expériences menées par SPRULES(1974b) sur la même espèce que celle étudiée par LICHT(1992).

Effet de l’assèchement. Davantage de larves d’Ambystoma talpoideum deviennent pédomorphiques en milieu artificiel permanent qu’en condition d’assèchement simulé (SEMLITSCH & GIBBONS 1985, SEMLITSCH 1987, SEMLITSCH et al. 1990). Même, suite à une sélection artificielle pour la pédo- morphose (élimination à chaque génération des descendants métamorphes), lorsque les descendants sont élevés en milieu temporaire, une majorité d’indivi- dus se métamorphosent (SEMLITSCH & WILBUR 1989). Des différences inter- populationnelles ont été mises en évidence quant à la tendance à se métamor- phoser en conditions stables et instables. Cependant, elles n’ont pas été reliées à l’historique du milieu où avaient été prélevés les animaux (SEMLITSCH et al. 1990). Dans une situation où la pédomorphose n’est jamais adaptative, comme, par exemple, dans un étang temporaire, la métamorphose devrait être sélectionnée et la plasticité contre-sélectionnée. Il pourrait ainsi y avoir une fixation de la condition métamorphique, comme chez Ambystoma maculatum (SEMLITSCHet al. 1990).

Effet de la température et de la luminosité. Certains tritons paraissent luci- fuges ; tel est le cas de Triturus alpestris montenegrinus, qui reste cantonné en grande profondeur durant la journée. L’absence de lumière de ce microhabitat, jointe à une basse température, est considérée comme étant à la base de la pédo- morphose dans cette population (BREUIL& THUOT 1983). L’influence des basses températures a aussi été invoquée par BIZER (1978) pour expliquer les cas fréquents de pédomorphose chez les Ambystoma tigrinum de haute altitude

INTRODUCTION GÉNÉRALE : L’HÉTÉROCHRONIE

(3000 m). Cet auteur considère que les basses températures entraînent un faible taux de croissance et une métamorphose à une plus grande taille que dans les populations de basse altitude. ROCEK (1995, 1996a), quant à lui, constate des parallélismes entre la présence d’espèces pédomorphiques fossiles et le refroi- dissement général ayant eu lieu durant l’Oligocène supérieur. En condition expérimentale, il a été montré qu’à basse température davantage de sala- mandres devenaient pédomorphes qu’à haute température (SPRULES 1974b). SVOB(1965) en concluait de même avec Triturus alpestris pour de basses tem- pératures associées à des conditions d’obscurité, l’obscurité à température plus élevée menant à la mort des animaux.

Hostilité du milieu terrestre. Plusieurs espèces ou populations d’urodèles pédomorphiques ont été observées dans des milieux aquatiques entourés d’un habitat terrestre considéré comme hostile. Ainsi, BRUCE (1976) explique la pédomorphose obligée d’Eurycea neotenes par l’environnement terrestre extrê- mement sec du plateau d’Edwards au Texas. Le même auteur (1979) considère aussi que la pédomorphose peut être une adaptation à la vie cavernicole où le milieu terrestre est inhospitalier. Il se base sur les espèces du genre Gyrinophilus, dont une est épigée et se métamorphose normalement, et les deux autres hypogées, une étant pédomorphique et l’autre retardant sa métamorphose et acquérant sa maturité sexuelle juste après. La pédomorphose en altitude serait due à l’avantage du milieu aquatique sur le milieu terrestre hostile (fluc- tuations de température, basse humidité, absence de couverture arborée) (SPRULES1974a, WILBUR& COLLINS 1973). Toutefois, des milieux aquatiques peuplés par des pédomorphes sont aussi entourés de milieux terrestres semblant favorables. Ainsi, PATTERSON (1978) constate la présence de pédomorphes Ambystoma talpoideum dans des milieux aquatiques bordés d’un environne- ment terrestre favorable (la plaine côtière du sud-est américain est chaude et humide). BREUIL (1992) fait aussi cette constatation chez Triturus alpestris dans le sud de l’Europe.

Effet de l’altitude. SPRULES(1974a) constate que la pédomorphose est plus fré- quente dans les populations d’altitude, tel est le cas pour Ambystoma mexica- num, A. ordinarium et A. gracile. Aussi, en élevage, les larves d’A. gracile pro- venant de populations de haute altitude ont moins tendance à se métamorphoser que celles de basse altitude. Cette influence de l’altitude serait à associer à celle d’un environnement terrestre hostile. Cependant, SPRULESsignale quand même l’existence de populations pédomorphiques à basse altitude. COLLINS (1981) quant à lui ne constate pas de différence dans la réponse pédomorphique entre populations d’Ambystoma tigrinum de basse et haute altitude et LICHT (1992) obtient les mêmes pourcentages de pédomorphes et métamorphes en situation expérimentale que les populations proviennent de basse ou de haute altitude. La liaison à l’altitude ne paraît donc pas claire.

Effet de la thyroxine. En présence d’extrait thyroïdien ou de thyroxine, plu- sieurs espèces d’urodèles pédomorphes entreprennent une métamorphose, que la pédomorphose soit facultative ou apparemment obligatoire : Eurycea neo-

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tenes (KE Z E R 1952, BR U C E 1976), Eurycea tynerensis (KE Z E R 1952), Ambystoma dumerilii (BRANDON 1976) et Triturus alpestris (SVOB 1965). L’absence de métamorphose chez ces espèces est ainsi due à une perturbation de la production de thyroxine et non de la sensibilité des tissus à cette hormone.

L’environnement a ainsi une influence prépondérante sur les parcours de développement des urodèles. Les salamandres et les tritons sont capables d’extraire de leur environnement des indices-clés leur permettant de s’adapter au mieux aux caractéristiques de l’habitat. D’une manière générale, la pédo- morphose devrait particulièrement évoluer dans des milieux permanents, dépourvus de poissons, où les densités de conspécifiques sont faibles, à basse température et lorsque l’environnement terrestre est contraignant. Bref, lorsque le milieu aquatique est plus favorable que le milieu terrestre (WILBUR & COLLINS1973). Cependant, ce modèle ne semble pas général. En effet, la pédo- morphose existe également dans des environnements ne présentant pas ces caractéristiques.