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Expositions financières dues aux politiques menées et aux fonctions assumées

Dans le document LES FINANCES DES BANQUES CENTRALES (Page 70-73)

Quelles sont les répercussions financières des politiques et des fonctions dont la banque centrale assume seule la responsabilité ?

De l’avis général, la maîtrise indépendante de ressources financières devrait refléter les responsabilités déléguées, sur le plan stratégique et fonctionnel, qui nécessitent ces ressources. En temps normal, il est relativement simple de déterminer le volume de ces ressources financières108. La difficulté survient lorsqu’il s’agit d’évaluer le volume qui sera nécessaire en période de crise. Il se pose trois difficultés principales.

107 Cette définition rejoint celle de Stella (2008), pour qui la solidité financière est « le fait qu’une entité ne soit pas limitée par sa situation financière dans la poursuite de ses objectifs et de ses politiques stratégiques », mais, point crucial, Stella restreint cette définition en ne l’appliquant qu’aux objectifs et stratégies placés sous la responsabilité indépendante de l’institution.

108 La banque centrale des Pays-Bas, entre autres, utilise les techniques de VeR (valeur en risque) et de GAP (gestion actif-passif) (Bakker et al. (2011)).

Premièrement, la banque centrale peut avoir l’entière responsabilité de la mise en place d’une assurance systémique. Les fonctions de prêteur en dernier ressort – qu’il s’agisse d’apport de liquidités, de soutien en fonds propres ou de tenue de marché – peuvent impliquer des expositions financières considérables. L’ampleur potentielle d’interventions de dernier ressort et la nature des risques financiers associés pourraient être sans précédent dans l’histoire, bien que l’expérience de différents pays puisse probablement être exploitée plus activement qu’elle ne l’est actuellement.

Il est rare que le degré de responsabilité de la banque centrale concernant ces fonctions d’assurance systémique soit explicité clairement, que ce soit dans ses statuts ou ailleurs, ce qui constitue une pierre d’achoppement. Même lorsque la banque centrale est chargée de fournir un soutien de liquidité en urgence (prêteur en dernier ressort), cette fonction est souvent restreinte par une disposition, ou du moins un accord tacite, selon lesquels une telle mesure ne s’applique que dans des situations où le risque de crédit est négligeable109. Or, lors de crises de liquidité systémiques, le risque de crédit n’est plus négligeable110.

Pour obtenir une estimation approximative raisonnable, il pourrait être nécessaire de définir plus clairement les responsabilités relatives à la mise en œuvre indépendante des fonctions d’assurance systémique. Cela peut sembler contraire à l’ordre naturel des choses – de telles déclarations devraient de toute façon exister dans l’intérêt d’une bonne gouvernance. Mais la décision de déléguer cette autorité d’exécution indépendante devrait aussi prendre en compte les répercussions financières potentielles, faute de quoi sa légitimité et sa viabilité pourraient être mises en cause. Il est donc impossible de définir de telles responsabilités indépendantes sans en évaluer les conséquences financières éventuelles.

Deuxièmement, les crises modifient les caractéristiques, en termes de risque financier, des fonctions conventionnelles, comme lorsque la politique monétaire sert à poursuivre un objectif de stabilité macroéconomique. L’assouplissement quantitatif, par exemple, consiste à soustraire du marché le risque de taux d’intérêt pour le reporter sur le bilan de la banque centrale, et il peut aussi impliquer l’acquisition de risques de crédit, ce qui peut avoir des répercussions budgétaires.

Troisièmement, les mécanismes classiques de gestion du risque peuvent entrer en conflit avec les objectifs stratégiques (comme indiqué dans la partie B). La banque centrale peut être amenée à élargir la gamme des titres admis en garantie, pour éviter d’étouffer l’offre d’instruments à faible risque et pour ne pas se voir accusée de se protéger au détriment des créanciers moins sûrs. Elle peut être confrontée à l’impossibilité de fermer des lignes de crédit ; elle peut même être obligée de les développer afin de ne pas exacerber une situation déjà difficile.

L’essentiel est que, lorsque la banque centrale assume des responsabilités indépendantes, il faut en intégrer les répercussions financières potentielles dans l’évaluation du niveau de solidité financière adéquat. De plus, comme le montre l’historique des crises, de plus en plus nourri, l’exposition aux évènements extrêmes doit être prise en compte, puisque c’est dans ces situations-là que les finances des banques centrales entrent en jeu de façon critique. Si la responsabilité indépendante de la banque centrale s’étend aux fonctions d’assurance systémique, celles-ci, ainsi que les risques financiers associés, devraient alors, dans toute la mesure du possible, entrer en ligne de compte dans l’évaluation des besoins financiers de la banque centrale.

109 Rares sont les lois qui expriment directement de telles restrictions (un exemple est fourni par la banque centrale du Guatemala, qui ne prête « que pour résoudre des déficits temporaires de liquidité, sur présentation par la Commission de réglementation des banques d’un rapport sur la situation des fonds propres et le portefeuille de la banque demandeuse »).

Cependant, dans plusieurs cas, la loi associe le pouvoir d’accorder des prêts d’urgence avec des « problèmes de liquidité temporaires ». Dans la plupart des cas, les restrictions figurent dans des documents de politique génerale, ou sont tacites.

110 Cela est notamment expliqué dans le rapport Ingves « Gouvernance de banque centrale et stabilité financière » (Mai 2011), plus particulièrement dans l’encadré des pages 38-39.

La situation de la Banque d’Angleterre, des banques centrales de l’Eurosystème et de la Réserve fédérale – examinée plus haut – illustre bien ces différents facteurs, surtout en ce qui concerne les mesures de politique non conventionnelle adoptées en réaction à des circonstances inhabituelles.

Au Royaume Uni, la situation est très claire111. En cas de crise financière pouvant faire peser un risque sur les fonds publics, la décision de mettre en œuvre des mesures non conventionnelles (non prévues par le cadre courant) revient aux responsables politiques et n’est pas déléguée ; les conséquences financières, positives ou négatives, sont, de même, directement répercutées sur les deniers publics. Dans de tels cas, la responsabilité de la Banque d’Angleterre est essentiellement opérationnelle et elle se comporte comme un agent du gouvernement.

Dans la zone euro, la BCE et les BCN de l’Eurosystème s’exposent à des risques de crédit en tentant de continuer à faire fonctionner les mécanismes de transmission monétaire dans la zone euro. La BCE et les BCN supporteraient les pertes initiales sur leur part des réductions de valeur des avoirs de l’Eurosystème et, pour ce qui est des BCN, toute perte supplémentaire sur la fraction de leur propre portefeuille non couverte par des accords de partage des pertes. Les BCN pourraient également supporter des pertes supplémentaires si elles devaient renoncer à des revenus monétaires en faveur de la BCE112. Toutes choses étant égales par ailleurs, une telle situation nécessiterait une plus grande solidité financière que dans le cas de la Banque d’Angleterre113.

Aux États-Unis, lorsque, dans la première phase de la crise des crédits hypothécaires à risque, la Fed a fait usage de ses pouvoirs en vertu de l’article 13(3) pour accorder des prêts à des établissements non bancaires, les législateurs se sont interrogés sur la maîtrise des décisions qui induisent un risque financier et des effets de répartition de fortune. Les pouvoirs de la Fed ont donc par la suite été circonscrits par la loi Dodd-Frank, et sont désormais soumis à une décision du secrétaire au Trésor.

Le Comité de politique monétaire conserve toutefois un pouvoir décisionnaire indépendant en matière d’assouplissement quantitatif. Les risques financiers sont avant tout associés à l’exposition aux taux d’intérêt, mais ils pourraient aussi comporter un risque de crédit dans certaines situations (par exemple lors d’achat d’effets privés).

La Fed a évalué l’impact financier potentiel d’une hausse rapide des taux d’intérêt qui pourrait être envisagée pour maîtriser l’inflation pendant la phase de sortie de l’assouplissement quantitatif. Elle en a conclu que, dans certains scénarios, les pertes pourraient atteindre un montant qui absorberait les autres revenus114. Néanmoins, elle estime que sa capacité bénéficiaire normale, associée à sa faculté de capter tous les excédents futurs si nécessaire, suffit à assurer sa solidité financière même en de telles circonstances. (En raison du changement de méthodes comptables exposé plus haut, la question de l’impact sur les fonds propres ne se pose plus, puisque les fonds propres comptables ne seraient pas touchés par une chute temporaire de la valeur nette économique.)

111 Par exemple, l’assouplissement quantitatif a été essentiellement mené par la filiale ad hoc de la Banque (le BEAPFF). C’est le ministre des Finances qui définit le niveau maximum du BEAPFF et donc aussi l’ampleur de l’assouplissement. En contrepartie, le BEAPFF (et la Banque elle-même) sont indemnisés par le Trésor à ce titre. Cette répartition des responsabilités est désormais explicitée dans le protocole d’accord sur la gestion de crise financière prévu par la loi de 2012 sur les services financiers.

112 Comme décrit précédemment, l’année où survient une perte, la BCE peut s’approprier le revenu monétaire qui devrait normalement revenir aux BCN, sous réserve de l’accord des gouverneurs des BCN concernées faisant partie du Conseil des gouverneurs. Cela revient à reporter sur les BCN la quasi-totalité de la tâche de reconstitution des fonds propres.

113 La solidité financière de la BCE a été augmentée suite à une décision de 2010 visant à accroître ses fonds propres, expressément en réponse à une hausse de la volatilité du marché et donc du risque de marché. Cependant, cette augmentation a porté les fonds propres de la BCE au maximum autorisé par ses statuts, et les simulations ont sans doute accordé une faible probabilité au risque de crédit, absent de l’historique.

114 Bernanke (2011).

Dans le document LES FINANCES DES BANQUES CENTRALES (Page 70-73)