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A. Origines de la vision : des cyanobactéries aux yeux camérulaires

3. Evolution de la vision chez les premiers vertébrés

a) Cinq lignées de photopigments

Les vertébrés forment une très large famille d'espèces au sein de laquelle la présence d'yeux simples associés à un système neuronal permettant la formation d'images est quasiment systématique. Les pigments visuels sont composés d'une apoprotéine, l'opsine, associée de manière covalente à un chromophore, dérivé de la vitamine A. On retrouve chez les vertébrés deux chromophores : le 11-cis retinal (celui présent chez l'Homme) et le 11-cis-3,4- dehydroretinal. La vision des couleurs repose sur deux éléments de base : la présence de récepteurs multiples dont les spectres d'absorption diffèrent et la présence de systèmes comparateurs. Les vertébrés actuels présentent une très grande diversité d'opsines, qui peuvent être classifiés en 5 groupes: SWS1, SWS2, RH1, RH2 et LWS (Yokoyama, 2002). Du groupe RH1 descendent les opsines présentes dans les bâtonnets. Les autres groupes d'opsines se retrouvent dans les cônes.

L'étude des lamproies, poissons du groupe des Petromyzoniformes, descendant des Agnathes (vertébrés sans mâchoire), nous informe sur les caractéristiques des formations

visuelles avant la divergence des Gnathostomes (vertébrés ayant une bouche possédant une mâchoire), il y a environ 430 millions d'années. Les lamproies possèdent l'ensemble des opsines appartenant aux 5 groupes retrouvés chez les gnathostomes (Collin et al., 2003), ce qui laisse supposer que les origines de ces groupes se situent avant la séparation de ces différentes branches. Concernant les photorécepteurs, le type primitif présent chez les premiers vertébrés a longtemps fait débat, depuis les premières propositions de Schultze en 1867 qui considérait que les cônes avaient évolué à partir des bâtonnets. Toutefois, l'apport de la génétique et des analyses moléculaires ont déterminé que les opsines du groupes RH1 étaient apparues plus tard, après la mise en place du groupe LWS, SWS1 et SWS2 (Hisatomi & Tokunaga, 2002, Figure 15). Ces résultats proposent donc que les opsines présentes dans les bâtonnet sont l'objet d'une évolution plus récente à partir d'opsines retrouvées dans les cônes. D'autre part, l'étude de lamproies de l'hémisphère Sud a démontré que ces espèces présentaient 5 types morphologiques de photorécepteurs, tous homologues à des cônes (Meyer-Rochow & Stewart, 1996; Collin et al., 1999). Ces éléments mènent donc au consensus actuel plaçant la vision photopique (vision diurne), assurée principalement par les cônes, comme plus ancienne que la vision scotopique (vision crépusculaire), permise par les bâtonnets, et dont l'origine des familles d'opsine remontre au Cambrien, il y a plus de 430 millions d'année.

Evaluer la présence et la nature des éléments permettant la comparaison des informations transmises par les divers photopigments au cours de l'évolution est un défi qui reste encore à être relevé. L'absence de marqueurs moléculaires ou paléontologiques concernant la manière dont les espèces percevaient les informations lumineuses fait que les connaissances à ce niveau sont encore très limitées. L'observation de comportements dépendant de certains spectres lumineux chez certains invertébrés tend à supposer que des systèmes de comparateurs rudimentaires existaient déjà avant la divergence des vertébrés. La vision des couleurs sous entend ensuite une capacité neuronale de codage et d'intégration. La rétine organisée en 3 couches (photorécepteurs, cellules bipolaires, cellules ganglionnaires) et la communication latérale au sein de ces couches assurées par les cellules horizontales et amacrines sont des structures très conservées chez les vertébrés terrestres. On date donc généralement la mise en place de ces systèmes neuronaux à 500 millions d'années environ, avant la sortie de l'eau des premiers vertébrés. L'organisation de la rétine s'est dessinée progressivement, en parallèle de l'évolution morphologique et fonctionnelle des yeux.

Figure 15 : Arbre phylogénétique des opsines retrouvées chez les vertébrés, élaboré à partir des

séquences d'acide aminé en utilisant la méthode de Neighbour Joining. L'échelle représente le taux de substitution de chaque acide aminé. Modifié, d'après Hisatomi & Tokunaga, 2002.

b) Formation du globe oculaire

Les vertébrés ont en commun la présence d'yeux cavitaires situés en position cervicale latérale et présentant un certain nombre d'annexes permettant une vision précise et adaptée au mode de vie. La séquence évolutive de ce type d'yeux pose encore de nombreuses questions aujourd'hui. Les premières observations embryologiques et morphologiques menaient à des hypothèses d'origine polyphylique des yeux : une morphologie commune mais pas de lien génétique donc reposant sur des évolutions parallèles. Toutefois, ces hypothèses mettaient en jeu 40 à 60 évolutions pour arriver aux structures observées aujourd'hui, ce qui était difficilement compatible avec les principes de sélection naturelle. Les découvertes récentes portant sur le gène Pax6, commun à l'ensemble des vertébrés et semblant diriger la formation

des yeux, a fortement favorisé une idée d'origine monophylique des yeux : tous les yeux camérulaires des vertébrés présenteraient un ancêtre commun et une base génétique identique.

Les yeux des lamproies sont très similaires à ceux retrouvés chez les gnathostomes : camérulaires, avec un cristallin, un iris et des muscles extraoculaires. Leur rétine présente également une structure identique. Au stade larvaire en revanche, les lamproies présentent des yeux de petite taille, coniques, sans cornée ni iris ni cristallin et enfoncés sous une peau dépigmentée et équipés d'une rétine peu différenciée. Ces yeux sont aveugles (ne forment pas d'image) et servent surtout au rythme circadien de la larve. Or ce même type d'yeux est retrouvé chez les Myxines (Myxinidae), groupe d'agnathes dont l'origine est encore plus ancienne que les lamproies. Le développement des yeux vers un stade adulte est ensuite très lent. En 5 ans, la rétine va se différencier dans un ordre identique à celui observé au cours de l'organogenèse de l'œil des vertébrés : cellules ganglionnaires, horizontales et amacrines, photorécepteurs et enfin cellules bipolaires. Au moment de la métamorphose, la rétine termine sa différenciation complète, le cristallin se développe en s'invaginant à partir d'une placode qui lui est dédiée, la cornée se forme en deux couches (une sclérique et une dermique) et les muscles extraoculaires apparaissent. Cet enchainement d'évènement menant d'un type d'œil présent chez les myxiniformes à un œil semblable à celui des vertébrés pourrait s'approcher de la séquence évolutive à l'origine des yeux des vertébrés actuels.

Le rôle du gène Pax6 dans le contrôle de l'organogenèse des yeux est depuis longtemps établi, dès l'association de divers mécanismes moléculaires et cellulaires aboutissant à une fonction visuelle primitive. De quelle manière la structure et le fonctionnement des yeux se sont complexifiés jusqu'aux stades observés aujourd'hui ? Différentes hypothèses encadrent ces mécanismes. Dans un premier temps, les duplications et divergences de gènes engendrent une diversité telle que celle observée pour les opsines et les diverses capacités d'absorption. Un second phénomène, identifié comme étant responsable, entre autres, de l'apparition du cristallin, met en jeu des séquences régulatrices, des amplificateurs, à la base d'un recrutement de gènes aboutissant à la formation de structures plus complexes. Ainsi, l'intercalation de gènes codant pour divers enzymes et protéines courtes sous le contrôle d'un même amplificateur a permit la formation de nouvelles protéines créant un milieu translucide, adapté au passage des ondes lumineuses. L'avantage évolutif en résultant, associé à un recrutement de gènes de plus en plus nombreux ont aboutit à la formation d'un cristallin de plus en plus complexe et organisé (Piatigorsky & Wistow, 1989). Ce modèle est applicable à l'apparition

d'autres composants de l'œil, tel que l'iris ou encore les muscles intrinsèques permettant l'accommodation du cristallin.

Figure 16 : Proposition de séquence des principaux stades évolutifs menant à la formation de yeux camérulaires sur la lignée de mammifères. (adapté d'après

B. Vision des couleurs chez les Mammifères