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III.8 Reproduction expérimentale de la phase blanche

III.8.1 Etat de l’art

Plusieurs études ont pour objectif de reproduire de la phase blanche expérimentalement pour apporter des éléments de compréhension concernant les deux mécanismes de formation évoqués précédemment. Cependant, seules des phases blanches ont été formées à partir d’un mécanisme essentiellement thermique, probablement pour des raisons de commodité expérimentale. Récemment, Murugan étudie la formation de phases blanches au cœur du matériau par une approche thermomécanique sur machine Gleeble combinant échauffement et refroidissement, ainsi qu’une

930°C, et en les trempant tout en exerçant une pression atteignant 1.8GPa (Wu et al., 2016). Les phases blanches observées présentent une structure mêlant martensite et perlite, ainsi que de l’austénite résiduelle. De la phase blanche a également été formée par un processus purement thermique tel que le soudage par point (Carroll et Beynon, 2007). D’autres méthodes davantage motivées par la reproduction du roulement de contact sont utilisées avec des bancs bi-disques (Carroll and Beynon, 2007; Vargolici et al., 2016; Zhou et al., 2016a) ou roue sur rail (Bernsteiner et al., 2016). Toutefois, les conditions d’essais n’ont soit pas suffi à produire une phase blanche complète (Vargolici et al., 2016) soit occasionnent un glissement trop important qui favorise la formation d’une phase blanche purement thermique. Carroll et Beynon ont par exemple considéré un taux de glissement de -100% (creepage -200%) d’après la formule (18) (Carroll and Beynon, 2007), en faisant tourner les deux disques dans le même sens (les vitesses au point de contact exactement opposées). En revanche, Bernsteiner et al. obtiennent aussi un glissement de -100% avec un creepage de -300 et -3000% sur le banc linéaire de Leoben (Bernsteiner et al., 2016).

𝛾% =

𝑉1−𝑉2

|𝑉1|+|𝑉2| (18)

Dans ses travaux de 2016, Zhou réalise deux études parallèles sur machines bi-disques selon des conditions d’essais similaires, l’une portant sur l’analyse de la microstructure d’une phase blanche formée expérimentalement (Zhou et al., 2016a), et l’autre sur l’effet du glissement sur l’usure (Zhou et al., 2016b). Les auteurs affirment que de la phase blanche mécanique a été formée (Zhou et al., 2016a). Cependant, les résultats de ces deux articles semblent contradictoires sur cet aspect, puisque le second (Zhou et al., 2016b) semble indiquer la formation d’une phase qui s’apparente plus à une phase blanche thermique que mécanique.

Dans les deux articles, le même dispositif bi-disques est utilisé. Les disques sont de mêmes dimensions, constitués du même matériau et la vitesse de rotation est la même. La pression change légèrement mais les différences principales viennent du taux de glissement et du temps d’exécution de l’essai (nombre de cycles). Les conditions sont résumées dans le tableau suivant :

Tableau 11 Conditions d'essais de (Zhou et al., 2016a, 2016b)

Article (Zhou et al., 2016a)

(Zhou et al., 2016b)

Φ (Rgy) (m) 0.4 (Galet bombé Rgy14mm et galet cylindrique)

ω (rot/min) 500

PH (GPa) 1.5 1.2

𝛾% 5% 0.09% 0.46% 1.19% 2.28% 4.72%

Figure 93 Coupe longitudinale observé en microscopie optique a) Essai en 250 cycles à 5% de glissement (Zhou et al., 2016a) : présence de phase blanche b) Essai en 5000 cycles à 4.72% de glissement (Zhou et al., 2016b) : absence de phase

blanche

Plus particulièrement, suite à l’essai de 30s (Zhou et al., 2016a) avec un taux de glissement important de 5%, les auteurs ont pu observer en microscopie optique, en dessous d’une couche de phase blanche de 10µm d’épaisseur, une sous-couche fortement déformée suivant un écoulement plastique concordant avec le sens du glissement Figure 93. Un gradient de déformation de la perlite est observé en microscopie électronique jusqu’à 40µm de profondeur sous la phase blanche. Les colonies de perlite ne sont pas discernables entre 10 et 30µm de profondeur et sont très déformées entre 30 et 40µm. Le gradient de déformation est généralement observé pour des phases blanches formées mécaniquement, alors que pour les phases blanches thermiques (toutefois obtenues avec glissement), on constate à plusieurs reprises une séparation assez franche entre la phase blanche et une sous couche peu déformée. Les analyses de composition de la phase blanche reproduite par Zhou indiquent une disparition de la cémentite et la présence de nano-cristaux de martensite et de ferrite. A noter aussi que les auteurs ne trouvent pas de traces d’austénite résiduelle au sein de la phase blanche. Ce gradient de déformation ainsi que la composition sans traces d’austénite résiduelle semble indiquer une phase blanche formée mécaniquement. Cependant plusieurs éléments peuvent permettre d’avoir des réserves à ce sujet. En effet, un taux de glissement de 5% est une valeur très élevée pour du contact ferroviaire et très dommageable pour le rail. En effet, les systèmes d’anti enrayage, tels que ceux déployés à la RATP, se déclenchent pour un taux de glissement de 2% (Simon, 2014). Cela se confirme par le fait que dans ces conditions, seulement 500 cycles ont permis une telle déformation du rail. Or la formation mécanique de la phase blanche implique une réponse en fatigue par un phénomène qui s’apparente à une accommodation plastique nécessitant un nombre de cycles élevé. Il s’accompagne par une déformation de la ferrite, une dissolution de la cémentite et la migration des atomes de carbone. Ainsi, un essai à 5% de glissement de 30s et 500 cycles peut sembler, d’une part rapide pour un tel mécanisme, et d’autre part propice à provoquer un échauffement de température élevé, susceptible d’atteindre une température d’austénitisation abaissée en présence de la pression hydrostatique importante de 1.5GPa. Par exemple, Saulot calcule numériquement une élévation de température de l’ordre de 150-200°C au passage d’une roue, pour une pression de 1GPa et un taux de

1.5GPa, E à 210GPa et ν à 0.27 pour les deux galets), ce qui est très faible et favoriserait un refroidissement rapide en surface et un effet similaire à une trempe.

Dans l’étude menée parallèlement à la précédente (Zhou et al., 2016b), un temps de cyclage plus important a été considéré dans des conditions similaires. La pression de contact et le taux de glissement sont légèrement plus faibles (1.2 contre 1.5GPa et 4.72% contre 5%) mais toutefois ces valeurs sont relativement proches. L’essai a été arrêté à 5, 50, 100 et 200 milliers de cycles (correspondant respectivement à 10, 100, 200 et 400 minutes d’essai), pour différentes analyses. En premier lieu, on remarque que lors de ces arrêts aucune phase blanche ne semble être observée en microscopie optique. Le constat est le même sur les images en microscopie électronique et ceci même après 100 000 cycles. La plupart des analyses suivantes ont été effectuées à 50 000 cycles. On peut donc supposer qu’une phase blanche initialement formée sur 10µm d’épaisseur a été usée en 5000 cycles, en témoignent les profils d’usure à 50 000 cycles de 10µm de profondeur (Zhou et al., 2016b). Cependant, on peut émettre l’hypothèse que lors de la formation mécanique de la phase blanche, l’accumulation croissante de déformation plastique du fait de l’augmentation du nombre de cycles, aurait pour conséquence d’accroitre l’épaisseur de la phase blanche. Cet accroissement semblerait plus rapide que la vitesse d’usure (10µ d’usure pour 50 000 cycles et 10µm de phase blanche formée en 250 cycles). Pour autant, il est probable que l’usure ne soit pas linéaire et que les couches de phases blanches s’arrachent de toute leur épaisseur régulièrement. Une nouvelle phase blanche pourrait alors se former. Cela ne peut être déterminé sur la base des informations disponibles dans ces études. En revanche, dans l’hypothèse d’une formation thermique de cette couche initiale de phase blanche, on peut supposer que le processus de formation thermique s’estompe avec l’échauffement global et progressif des échantillons, ne permettant alors plus le refroidissement rapide de la surface en dehors de la zone de contact. L’usure ayant dû retirer la phase blanche de la surface en moins de 5000 cycles. Ainsi, il semble plus probable que lors de l’essai présentant une phase blanche, celle-ci ait été formée davantage par un mécanisme thermique. Cependant, il convient de rappeler que les deux processus peuvent agir en même temps et qu’il est intéressant de remarquer dans cet essai la présence d’une couche déformée sous la phase blanche probablement thermique. Cela pourrait s’expliquer par un volume de matière impacté plus en profondeur par la déformation plastique que par la sollicitation thermique induite par le roulement avec glissement.

Ceci montre que la reproduction de phase blanche en laboratoire peut se faire relativement aisément via un mécanisme de formation principalement thermique. Pour autant, il est plus compliqué d’en former par un mécanisme principalement mécanique, en témoigne la quasi absence d’exemples dans la littérature.

Il serait toutefois pertinent d’analyser plus en détails les éprouvettes de (Zhou et al., 2016b) en particulier les essais avec un taux de glissement plus faible. Ainsi l’échauffement thermique devrait être moindre et on peut espérer une usure plus faible et l’accumulation de déformations plastiques plus progressive, en lien avec le nombre de cycles réalisés plus élevé.