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R´eseaux complexes et neuro-imagerie

Les mesures issues des r´eseaux complexes ont ´et´e appliqu´ees `a des donn´ees neurophy-siologiques. Selon la nature des donn´ees, on peut utiliser les diff´erentes mesures d´ecrites pr´ec´edemment pour caract´eriser l’anatomie (c.`a.d. les liens physiques existants entre diff´erentes zones, ou entre diff´erents neurones) ou la dynamique (c.`a.d les corr´elations ou les interactions existantes entre diff´erents sites d’enregistrement). Il est suffisant de construire une matrice d’adjacence `a partir des donn´ees que l’on souhaite ´etudier.

7.2.1 Niveau anatomique

Tout d’abord, pour le r´eseau neuronal du C. elegans, un ver dont toutes les connexions entre les neurones sont identifi´ees, Watts et Strogatz (1998) ont montr´e que le r´eseau des liens entre les neurones v´erifiait les propri´et´es de petit-monde, mais pas de distribution invariante d’´echelle de degr´es.

Sporns et Tononi (2002) ont ´etudi´e les donn´ees de Felleman et Essen (1991) sur les connexions entre les diff´erentes aires du cortex visuel chez le macaque, au niveau topologique. Il en ressort que le r´eseau des connexions entre les 32 aires corticales pr´esente ´egalement une structure petit-monde, mais pas de distribution invariante d’´echelle de degr´es.

Une autre ´etude (Scannell et al., 1999; Hilgetag et al., 2000) s’int´eresse aux connexions thalamo-corticales - presque compl`etes - chez le chat. En minimisant les distances topolo-giques entre les nœuds (aires c´er´ebrales), on retrouve la structure modulaire qu’il semblait logique d’attendre entre les diff´erentes zones fonctionnelles (aires visuelles, auditives, fron-tales, etc..).

Sporns et al. (2005) ont propos´e de mettre en place une base de donn´ees regroupant les liens anatomiques recens´es au sein du cerveau humain, le “connectome”. En plus des difficult´es m´ethodologiques pour connaˆıtre les liens anatomiques existant dans un cerveau en fonctionnement, ils soul`event la difficult´e de l’´echelle `a laquelle r´ealiser cette ´etude.

En effet, l’´echelle microscopique implique une quantit´e gigantesque de donn´ees,

impli-quant des coˆuts de calcul impossible `a gerer actuellement. De plus, il existe une grande

variabilit´e inter-individuelle au niveau des connexions `a cette ´echelle. Quant `a l’´echelle macroscopique, si les liens entre les diff´erentes aires sont relativement bien conserv´es par l’existence de faisceaux de projections, la grande difficult´e est de d´eterminer ce qu’est une aire c´er´ebrale (histologique ? fonctionnelle ?). En effet, au sein des aires classiquement ad-mises (i.e. les aires de Broadmann), il existe une grande disparit´e dans la connectivit´e entre neurones, certains ayant des types de connexions que des neurones dans une autre partie de la mˆeme aire n’auront pas.

R´ecemment, He et al. (2007) ont cherch´e `a caract´eriser les motifs de connectivit´e anatomique `a grande ´echelle dans le cerveau humain `a partir de donn´ees acquises en IRM anatomique. Deux zones sont consid´er´ees comme connect´ees si elles pr´esentent une corr´elation significative au niveau de la densit´e corticale, une mesure qui refl`ete la densit´e des tissus et l’arrangement des cellules. Les r´esultats, `a partir de scans r´ealis´es chez 124 personnes, montrent de mani`ere significative les propri´et´es petit-monde de tels r´eseaux. De mani`ere int´eressante, ils montrent ´egalement que les mesures petit-monde obtenues sont plus proches des donn´ees de Achard et al. (2006) obtenues chez l’homme `a partir de donn´ees fonctionnelles (voir ci-dessous) que des r´eseaux anatomiques obtenus par Hilgetag et al. (2000) chez le chat, ou par Sporns et Tononi (2002) chez le macaque.

7.2.2 Niveau dynamique

Un certain nombre d’´etudes en neuro-imagerie utilisent la th´eorie des r´eseaux com-plexes pour ´etudier les propri´et´es de graphes construits `a partir de dynamiques d’activa-tion. Nous aborderons tout d’abord les r´esultats obtenus en IRMf, puis ceux obtenus en EEG/MEG.

IRMf

A partir de donn´ees en IRMf, Egu´ıluz et al. (2005) ´etudient les corr´elations d’activit´e du signal BOLD dans le temps, entre les voxels, pour des tˆaches cognitives relativement

simples. Une matrice de corr´elation M est ensuite construite, la composante mij

indi-quant la corr´elation entre le voxel i et le voxel j. Les valeurs de cette matrice sont ensuite seuill´ees, en fonction de diff´erentes valeurs critiques, afin de produire une matrice d’ad-jacence (1 si la corr´elation est au-dessus du seuil, 0 si elle est inf´erieure). Cette matrice d’adjacence est ensuite ´etudi´ee `a l’aide des outils topologiques d´evelopp´es pr´ec´edemment, et les auteurs montrent l’existence d’une distribution invariante d’´echelle des degr´es.

Au niveau de l’interpr´etation, cela signifie que pour une tˆache cognitive donn´ee, l’ac-tivit´e de quelques voxels seulement est corr´el´ee avec celles d’un grand nombre d’autres voxels, tandis que l’activit´e de la grande majorit´e des voxels est corr´el´ee avec peu d’autres voxels. Ceci est d’autant plus int´eressant que l’identit´e de ces hubs dynamiques varie selon la tˆache cognitive consid´er´ee. Cette m´ethode permet de remettre en cause le paradigme

localisationniste couramment utilis´e dans les ´etudes d’IRMf, o`u l’on consid`ere seulement

les r´egions dont l’activit´e est la plus grande pour une tˆache cognitive donn´ee comme ´etant le support neuronal de cette tˆache. Dans l’optique de la m´ethode de post-traitement des

donn´ees IRMf d´evelopp´ee par Egu´ıluz et al. (2005), les vortex hubs sont plus importants pour la r´ealisation de la tˆache parce qu’ils sont corr´el´es avec un grand nombre de vortex distribu´es dans le reste du cerveau. Ceci permet, tout en consid´erant que le cerveau fonc-tionne d’abord en r´eseau, de reconnaˆıtre le rˆole de certaines zones dans la r´ealisation de processus cognitifs.

Ces r´esultats ont ´egalement une grande implication pour la neuropsychlogie qui ´etudie les effets des l´esions c´er´ebrales sur le fonctionnement cognitif. On sait que des l´esions de certaines zones c´er´ebrales sont toujours associ´ees `a un mˆeme d´eficit cognitif. D`es lors, si une zone c´er´ebrale, correspondant `a un hub dynamique pour la r´ealisation d’une fonction cognitive donn´ee, est l´es´ee, alors on peut expliquer le d´eficit cognitif observ´e, sans faire ap-pel `a une correspondance directe entre substrat anatomique localis´e et fonction cognitive. En suivant une m´ethodolgie bas´ee sur la corr´elation des signaux IRMf dans certaines bandes de fr´equences, Achard et al. (2006) trouvent des r´esultats relativement proches, c.a.d. la caract´erisation d’un r´eseau petit-monde et une distribution invariante d’´echelle, tronqu´ee par une exponentielle, pour les degr´es. Dans ce cas, les sujets sont au repos, ils n’effectuent pas de tˆaches cognitives pr´ecises. Il est `a noter que les nœuds de cette ´etude correspondent `a des aires c´er´ebrales, chaque nœud correspond donc `a une zone du cerveau plus ´etendue qu’un voxel dans Egu´ıluz et al. (2005). L’int´erˆet de cette approche est de pouvoir tracer le r´eseau fonctionnel des aires les plus connect´ees entre elles dans les diff´erentes bandes de fr´equences. Le fait que ce r´eseau au repos soit proche du r´eseau anatomique chez l’homme (voir la discussion dans He et al. (2007)) montre que l’activit´e au repos, mesur´ee en IRMf, poss`ede les mˆemes propri´et´es que la connectivit´e anatomique entre les aires corticales.

Enfin, plus r´ecemment, en suivant une m´ethodologie comparable, Achard et Bullmore (2007) ´etudient les r´eseaux d’activation en IRMf chez deux populations, correspondant `a des personnes ˆag´ees et `a des personnes jeunes. Les r´esultats, au niveau des mesures d’efficacit´e (voir section 6.2.2), montrent une diminution avec l’ˆage des valeurs des effica-cit´es locale et globale. Les auteurs en concluent que la plus grande rapidit´e des processus cognitifs observ´es chez les personnes jeunes trouve son origine au niveau de l’efficacit´e des r´eseaux observ´es.

EEG/MEG

Dans une ´etude en MEG, o`u les sujets sont au repos, Stam (2004) ´etudie un r´eseau de

synchronisation entre ´electrodes. Le r´eseau ´etudi´e correspond aux coefficients de corr´elation entre chaque paire d’´electrodes, les signaux de chaque ´electrodes ´etant filtr´es dans une certaine bande de fr´equence. Comme en IRMf, la matrice d’adjacence construite avec cette technique est obtenue apr`es un seuillage bas´e sur un coefficient de corr´elation cri-tique. L’auteur montre que seuls les r´eseaux obtenus dans les bandes de fr´equences γ et θ montrent des propri´et´es petit-monde. Cependant, l’´etude ´etant r´ealis´ee sur 5 sujets, il est difficile d’en tirer des enseignements g´en´eraux.

Une ´etude du mˆeme type a ´et´e men´ee en MEG avec des signaux issus de diff´erentes ´electrodes, cette fois-ci dans une tˆache cognitive impliquant une r´eponse digitale `a l’ap-parition d’un stimulus (Bassett et al., 2006). Les diff´erentes bandes de fr´equences

corres-pondent approximativement aux bandes γ, β, α et δ chez l’homme. Les r´esultats montrent que le r´eseau fonctionnel correspondant `a la bande γ est sp´ecifiquement modifi´e lors de la tˆache, compar´e aux r´eseaux obtenus lorsque le sujet est au repos. En revanche, les r´eseaux correspondant aux autres bandes de fr´equences ne sont pas modifi´es, que le sujet effecue la tˆache ou soit le sujet est au repos. D’autre part, les auteurs montrent que le r´eseau des activit´es dans la bande γ implique des liens `a longue-port´ee lors de la tˆache, et des liens `a courte-port´ee lorsque le sujet est au repos. Enfin, les hubs du r´eseau des activit´es dans la bande γ lors de la tˆache sont localis´es dans le cortex visuel et dans le cortex pr´emoteur, c.`a.d les zones impliqu´ees classiquement dans ce type de tˆache. Les auteurs concluent que les propri´et´es du r´eseau obtenus dans la bande γ permettent une fl´exibilit´e rapide pour la r´eorganisation du r´eseau en fonction de la tˆache cognitive `a r´ealiser, par l’´emergence sp´ecifique de liens entre des zones distantes. Cette ´etude permet pour la premi`ere fois de visualiser la synchronisation large-´echelle, sp´ecifique de la bande de fr´equences γ, au niveau du cortex dans son ensemble.

Applications `a la pathologie :

Inspir´ees pas les ´etudes reliant fonctions cognitives et propri´et´es de r´eseaux, des tra-vaux r´ecents ont appliqu´es les outils de la th´eorie des r´eseaux complexes pour caract´eriser en quoi les fonctions cognitives de patients atteints de pathologies diff´erent de celles des sujets sains. Micheloyannis et al. (2006) comparent, dans une tˆache de m´emoire de travail en EEG, les r´eseaux obtenus `a partir de la synchronisation d’´electrodes pour diff´erentes bandes de fr´equences chez des patients schizophr`enes et chez des sujets sains. Ils montrent que les r´eseaux obtenus pour les sujets sains ont tous des propri´et´es petit-monde, tandis que seul le r´eseau correspondant `a la bande de fr´equences θ pr´esente des propri´et´es petit-monde chez les patients schizophr`enes. Ce r´esultat est mis en relation avec l’“hypoth`ese de d´econnection” de la schizophr´enie, qui supposent un d´eficit d’int´egration des informations chez les patients.

R´ecemment, Stam et al. (2007) ont utilis´e les outils des r´eseaux complexes pour com-parer les propri´et´es des r´eseaux obtenus `a partir de synchronisations d’´electrodes en EEG avec des patients atteints de la maladie d’Alzheimer et des sujets sains. Le r´esultat fonda-mental de cette ´etude est l’observation d’une diminution nette du diam`etre du r´eseau chez les patients, en comparaison des sujets sains. Mˆeme si cette ´etude pr´esente des r´esultats relativement simples, elle apparaˆıt comme importante pour montrer l’utilisation des outils issus de la th´eorie des r´eseaux complexes dans l’´etude des d´eficits cognitifs caract´erisant les diff´erentes pathologies.

Le traitement de donn´ees EEG, MEG et IRMf grˆace aux outils des r´eseaux complexes est encore relativement nouveau. N´eanmoins, on entrevoit `a travers ces diff´erentes ´etudes les avantages de ce type de traitement, pour avoir une approche fonctionnelle orient´ee r´eseau, plutot qu’une ´etude de localisation comme dans la plupart des exp´eriences r´ealis´ees avec les m´ethodes de neuro-imagerie.

D’autre part, les ´etudes portant sur la dynamique des mod`eles de r´eseaux de neu-rones ayant une topologie de r´eseaux complexes permettent de mieux appr´ehender les ph´enom`enes qui se produisent en neurobiologie, au niveau microscopique.

7.3 R´eseaux complexes et Neurosciences