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A - Un engagement extérieur excédant les contrats opérationnels des armées

Chapitre II

La mise en œuvre des opérations extérieures

Les OPEX ressortissent de la SOR, dont elles sont le volet « gestion de crise ». Les objectifs, déterminés, à ce titre, par le contrat opérationnel pour les trois armées, sont exposés ci-dessous.

Schéma n° 4 : représentation graphique du Livre blanc de 2013

Signification des acronymes : AEM : action de l’État en mer ; IA interarmées ; MJO = major joint operation ; PPS = posture permanente de sûreté ; SJO = smaller joint operation ; TN = théâtre national.

Source : Ministère de la défense, mars 2015

Pour l’armée de terre, il s’agit de faire face à la gestion de crise dans la durée en armant simultanément trois théâtres dans un cadre national ou en coalition, la France étant nation cadre46 pour l’un des théâtres, soit un total de 7 000 hommes répartis entre une brigade ou deux groupements tactiques interarmes (GTIA)47 pour un théâtre et deux GTIA pour les deux autres (soit un maximum de quatre GTIA). Armer signifie disposer d’une chaîne de commandement et de communication (C2) apte à garantir l’unité de la manœuvre et une force opérationnelle suffisante pour assurer l’ensemble des missions. Cette capacité de projection implique un niveau adapté de préparation à la projection opérationnelle et de relève (tous les quatre mois).

Pour l’armée de l’air, le contrat opérationnel prévoit : trois théâtres de gestion de crise à partir d’une base avant projetée ; le maintien d’une posture permanente de sûreté du territoire national ; un échelon de projection pour l’ouverture d’un quatrième théâtre dans un délai

46 Nation cadre, au sens de l’OTAN, désigne le pays responsable de la coordination d’une opération conjointe menée par plusieurs pays dans le cadre de l’Alliance ; ce pays est notamment celui qui fournit le dispositif militaire de base : logistique, centre de commandement, etc.

47 Unité de combat interarmes d’environ 500 hommes capable de manœuvrer tactiquement dans une zone d’activité déterminée.

compris entre 48 h et 10 jours (Rapace). Concrètement, est retenu le déploiement dans la durée de 25 appareils (12 chasseurs, 6 avions de transport, 2 ravitailleurs, 1 système de drone MALE).

Pour la marine, est demandé le déploiement sur un à deux théâtres.

La tenue dans la durée du contrat de gestion de crise nécessite la régénération des forces (matériels et personnels), la remise à niveau des stocks et de l’aptitude opérationnelle des unités à travers un effort d’entraînement et de préparation opérationnelle.

2 -Les trois armées sont engagées au-delà de la situation opérationnelle de référence et ne peuvent pleinement remplir leur contrat opérationnel

Depuis 2013, en volume comme en intensité, le seuil soutenable d’engagement est dépassé dans les trois armées, dès lors que le facteur le plus critique est le nombre des théâtres à armer simultanément. Sur la base de ce critère et de la disponibilité des moyens à engager, on peut faire le constat d’un dépassement des termes du contrat opérationnel.

L’armée de terre doit faire face à des engagements qui excèdent les termes du contrat opérationnel retenus par la SOR pour le contrat de gestion de crise, que ce soit en nombre de théâtres simultanés (cinq à sept) ou en nombre d’unités opérationnelles (sept GTIA en 2013 et 2014). D’autant que le seul théâtre Barkhane est en réalité l’agrégation de deux théâtres qui étaient distincts au moment de la rédaction de la LPM.

En 2016, l’armée de terre est engagée sur quatre théâtres, dont deux en tant que « nation cadre » et, compte tenu de ses autres engagements en métropole, elle y parvient en ne projetant qu’un effectif de 4 250 hommes, moindre que celui que le contrat opérationnel estimait nécessaire dans cette hypothèse (7 000 hommes).

Même si l’armée de terre réussit en définitive à assumer cette charge, elle le fait au prix d’un excès d’engagement de l’ensemble de ses capacités : structures de commandement, moyens et matériels, personnels, logistique, capacité de régénération et d’entraînement des forces. Les conditions d’exécution des OPEX se dégraderont du fait d’une moindre polyvalence des unités, en raison des lacunes de la préparation opérationnelle.

Les bâtiments de la marine ont été projetés de manière quasi permanente sur cinq théâtres (et ponctuellement six). Ce dépassement, est en partie lié aux OPEX, qui représentaient 34 % de l’activité opérationnelle en 2015. Il a eu des conséquences opérationnelles : conduite de certaines missions par des unités non adaptées48 ; arbitrage entre les différentes missions de la marine, avec pour conséquence d’amoindrir certaines capacités ou la couverture de certaines zones (façade Atlantique par exemple) ; ponctuellement, une réduction du temps consacré à l’entraînement des équipages ; abandon de certaines manœuvres ou missions avec des nations alliées.

48Par exemple, certaines missions ont été assurées par des bâtiments en armement (i.e. non encore admis au service actif) et d’autres sans les bâtiments les plus adaptés (bâtiment de projection et de commandement absent de certaines actions conduites dans le cadre de l’opération Corymbe, dans le golfe de Guinée, où il était particulièrement adapté).

Les deux prochaines années (2017 et 2018) seront très difficiles pour la marine en termes de disponibilité de ses bâtiments, car elle est tenue de composer avec les effets du vieillissement de la flotte, au risque de réductions temporaires de capacité, dans l’attente de nouveaux navires et aéronefs, à quoi s’ajoutera l’immobilisation du porte-avions Charles de Gaulle qui sera en entretien (arrêt technique majeur) pour dix-huit mois dès 2017. La remontée d’activité est dès lors tributaire des ressources qui seront consacrées à l’entretien de ses matériels.

Pour l’armée de l’air, depuis plusieurs mois, le niveau d’engagement dépasse, en volume comme en intensité, le seuil défini par la SOR. Ce constat porte sur l’ensemble des capacités, à l’exception de quelques secteurs qui ne sont pas sollicités opérationnellement. Il est particulièrement marqué pour la capacité de transport, au-delà du contrat opérationnel.

En janvier 2015, les seules opérations dans la bande sahélo-saharienne (BSS), en RCA et au Levant ont mobilisé 21 chasseurs, 7 hélicoptères, 2 systèmes de drones MALE, 3 ravitailleurs, 6 avions de transport.

La très grande consommation d’heures de vol en OPEX a conduit à un nombre d’heures de vol d’entraînement en deçà des normes convenues.

L’adéquation entre les ressources disponibles et le niveau d’engagement très élevé impose une optimisation permanente de l’emploi des moyens, sur les théâtres comme en métropole, pour assurer à la fois conduite des opérations extérieures et régénération des capacités. Cette tension n’a pas entraîné d’impossibilité d’accomplir les missions demandées mais a débouché sur un ralentissement de la régénération et une mise en cause du potentiel et des capacités futures.

L’armée de l’air indique qu’elle n’a plus actuellement de possibilité d’engager une nouvelle intervention majeure à six mois sans une ré-articulation des autres théâtres. Compte tenu des pertes de compétences, 30 mois seraient nécessaires pour permettre la remise à niveau des effectifs préparés au combat aérien.

3 - Le contexte sécuritaire d’ensemble ajoute aux contraintes imposées par les OPEX Si à la fin de 2011 et au début de 2012 le désengagement d’Afghanistan, la fin des opérations en Libye et la normalisation de la situation en Côte d’Ivoire pouvaient faire espérer un reflux de l’activité en OPEX, dès la fin 2012 la situation dans l’espace sahélien et en RCA, comme au Proche et au Moyen-Orient, a occasionné au contraire une forte extension des engagements extérieurs.

En outre, les menaces auxquelles répond l’implication accrue en OPEX sont loin d’épuiser les autres. Depuis la mi-2015, les signes d’une tension renouvelée avec la Russie, par exemple, ont obligé à prendre à nouveau en compte l’existence de menaces en Atlantique, en Europe orientale ou dans la Baltique.

De plus, le risque du terrorisme sur le territoire national a conduit à la mise en place en 2015 de l’opération Sentinelle, qui a achevé de déséquilibrer un système déjà sollicité au-delà des prévisions. Son déclenchement a contraint l’armée de terre à ne plus pouvoir assurer de façon satisfaisante l’échelon national d’urgence (ENU), qui constitue pourtant le socle de tout engagement militaire de projection d’une force en cas de nécessité de réaction rapide.

Aujourd’hui sont préservées dans le contrat opérationnel les fonctions « prévention » et

« protection », au détriment de la dimension « alerte » de la projection, la capacité de projection étant difficilement maintenue.

Compte tenu du poids conjugué des OPEX et de Sentinelle, il y a lieu de s’interroger quant à la compatibilité du niveau d’engagement actuel avec un besoin de réaction d’urgence en cas de nouvelle menace. La résilience dans la durée ne semble plus en adéquation avec les scénarios du contrat opérationnel.

Comme cela sera détaillé, les différents maillons qui assurent cette résilience sont de fait affaiblis dans les trois armées : préparation opérationnelle dégradée, dispositif de maintenance des matériels sous-dimensionné par rapport aux besoins, stocks trop étroits.

4 -L’appui des forces alliées, élément indispensable des OPEX

L’état-major ne dispose pas de données globales sur les concours apportés par les pays alliés, qui s’avèrent cependant essentiels aux déploiements.

Ainsi que l’a démontré l’opération Serval, la capacité d’« entrée en premier »49 de la France, si elle demeure vérifiée, n’a cependant été possible qu’avec l’appui de ses alliés, aussi bien pour assurer la logistique de la projection et le ravitaillement en vol que pour certains types de matériels (drones, renseignement aéroporté). Selon l’EMA, lors du lancement de l’opération, les vecteurs américains, canadiens, britanniques, danois allemands et belges ont convoyé plus de 50 % du fret nécessaire et permis 70 % du ravitaillement en vol.

Sur le théâtre de l’opération Barkhane, seul l’appui des moyens de transport aérien tactique de certains pays européens permet d’assurer les flux logistiques de cet immense

« archipel » de bases et d’implantations. La coopération avec les États-Unis est active. Dans le cadre de son engagement en zone sahélienne, la France a ainsi bénéficié d’un appui logistique en transport aérien qui peut être évalué à 65 M$. À côté de l’Allemagne, qui contribue au soutien de Barkhane avec un C160, on peut relever plusieurs exemples de coopération européenne tels que la Belgique, le Danemark ou l’Espagne (mise à disposition d’un Casa 235). Il faut également mentionner l’aide du Canada (40 heures de vols de gros porteur C17 Galaxy offertes en 2015).

Au Levant, les opérations des armées françaises bénéficient du soutien d’un avion ravitailleur allemand et d’un australien.

Les coopérations interalliées, qui prennent des formes très diverses outre la mise à disposition de moyens, sont également prometteuses dans d’autres domaines relevant du soutien (cf. II A).

49« Ensemble des opérations interarmées de projection de force et de puissance, sur, à proximité ou au-dessus d’un territoire étranger ou occupé, de durée limitée, face à une opposition armée plus ou moins marquée ou dans une zone difficile d’accès, avec ou sans accord préalable des autorités locales. Cette action vise à sécuriser une zone d’intérêt en milieu non permissif afin d’établir un dispositif à partir duquel des forces plus nombreuses peuvent opérer pour mener à terme des actions ultérieures » d’après le centre interarmées de concepts, de doctrine et d’expérimentations.

L’interopérabilité en OPEX avec les partenaires de l’OTAN, et singulièrement américains, a connu des avancées notables dans le domaine maritime. Elle se sont confirmées lors de l’opération Chammal. Lors de son engagement en Méditerranée et dans le Golfe Persique, de la fin de 2015 au début de 2016, le groupe aéronaval français (GAN), constitué autour du porte-avion Charles de Gaulle, a été engagé au sein de la Task force 50.

Habituellement dévolu aux États-Unis, le commandement de cette force a pour la première fois été confié au chef français du GAN qui avait l’autorité sur l’ensemble des forces alliées, y compris le groupe aéronaval américain. Cette intégration des forces aéronavales américaines et françaises a débouché sur des opérations combinant les moyens des deux groupes (« dual carrier operations »).

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