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CHAPITRE 2 : LE CLASSIFICATEUR BU (CL. 14)

1 Emplois comme classificateur nominal

Bu (cl. 14) apparaît, sous la forme d’un préfixe, dans les noms. Dans ce contexte, il est utilisé comme un classificateur nominal qui définit la valeur des notions qu’il repère. Pour comprendre la valeur qu’il induit, nous commencerons par faire un inventaire exhaustif des nominaux dans lesquels il est utilisé. Nous reprenons, à cet effet, la liste proposée par François Lumwamu qui tient également compte des appariements :

sg. luwá lwa luboté « un bon champignon »1

pl. buwá bwa bubote « de bons champignons »

Soit en résumé : sg. 10 lu- / pl. 12 bu-.

Mais dans 12 bu- s’inscrivent aussi des nominaux pluralisables en 5 ma- :

sg. bwá:tu bwa bunené « une grosse pirogue » (12) butá » « un gros fusil » (12)

pl. má:tu ma manené « de grosses pirogues » (5) matá ma manené « de gros fusils » (5)

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Le schème obtenu est : sg. 12 bu- / pl. 5 ma-.

Dans 12 bu-, on recense encore et surtout des nominaux non pluralisables, tels que :

buboló « paresse »

bukí:ndi « courage »

bunsá:ná « tristesse », « désolation »

bwí:mi « avarice »

Il faut ajouter des nominaux qui n’ont pas de singulier ou du moins des nominaux dont le singulier est inusité de sorte qu’on a le schéma :

sg. 12 - / pl. bu- . Exemples :

buluundu « espèce de champignon »

bunsakala-nkozia « espèce de champignon » (Lumwamu 1973 : 103)

Notre informatrice a également cité le cas de bunkaanká « sorte de champignon ». Pour certains, bu (cl. 14) constitue une monoclasse alors que les exemples ci-dessus prouvent le contraire. C’est d’ailleurs ce que fait remarquer François Lumwamu qui écrit qu’ « on ne saurait donc affirmer avec Laman que ‘the bu- class is a singular class’ (Grammar …, n° 82 et 56) puisque dans 12 bu- nous identifions, du point de vue du nombre, au moins trois sous-classes lisibles dans le tableau ci-après ».

(Lumwamu 1973 : 103)

Tous ces lexèmes peuvent être regroupés en quatre sous-catégories :

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une deuxième composée des termes tels que buluundu « espèce de champignon », bunsakala-nkozia « espèce de champignon » qui ne sont ni au singulier, ni au pluriel ;

une troisième qui comprend des noms concrets tels que butá « fusil », bwáatu « pirogue » ;

et enfin un quatrième constituée de noms abstraits tels que buboló « paresse », bwíimi « avarice », etc.

Pour isoler la valeur induite par bu (cl. 14), dans ces unités, il faut déterminer les ou la caractéristique(s) commune(s) qu’elles partagent. Les sous-catégories qui viennent d’être dégagées manifestent, à première vue, qu’elles n’ont rien en commun car, en effet, elles semblent être différentes, à tout point de vue, les unes par rapport aux autres. On y trouve aussi bien des termes concrets qu’abstraits, des termes pluralisables que non pluralisables, etc. La question que l’on pourrait se poser est celle de savoir comment, dans ces conditions, établir un lien entre elles ? Nous allons voir comment, grâce aux outils de la démarche méthodologique que nous avons choisie, il est possible de sortir de cette impasse.

Il convient tout d’abord de remarquer que la première et la deuxième sous-catégorie peuvent être ramenées à une seule. En effet, qu’il s’agisse de búwa « champignons », de buluundú « espèce de champignon » ou de bunsákálá-nkozya « espèce de champignon », ils expriment tous la notion de /champignon/ ; il se dégage donc, de toute évidence, une continuité à travers leurs valeurs notionnelles. Cependant, il faut partir du raisonnement selon lequel le champignon représente un aliment de qualité, dans la société, pour établir le lien avec les unités des sous-catégories restantes. On peut tirer, de la notion de /champignon/, la caractéristique ayant trait à la qualité. Elle permet le rapprochement avec la notion véhiculée par butá « fusil » (cl. 14), d’une part, et avec celle exprimée par bwáatu « pirogue » (cl. 14), d’autre part, du fait qu’ils expriment cette même propriété par le luxe qui leur est associé1. En effet, le prestige qu’ils dénotent traduit aussi une valeur notionnelle de qualité. De là, le lien entre ces unités et le terme abstrait buboló « paresse » qui détermine une propriété, donc de la qualité, peut être établi. On dit alors que ces unités ont un fonctionnement qualitatif de type compact, car « Dans le cas du compact, le type ne joue pas de rôle prépondérant, c’est la construction d’un gradient qui est fondamental. On a affaire à de l’homogène. La stabilité provient de l’attracteur. La seule singularité possible est d’ordre qualitatif. » (Culioli 1999 vol. 3 : 14).

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Ce raisonnement permet de poser les relations suivantes :

Classificateurs Occurrence de notion Fragmentation Termes construits

bu- (cl. 14) ‘wa’ /champignon/ compact ˃ búwa « champignon » bu- (cl. 14) ‘ta’ /fusil/ compact ˃ búta « fusil » bu- (cl. 14) ‘ími’ /avarice/ compact ˃ bwíimi « avarice »

Les occurrences des notions ‘wa’/champignon/, ‘ta’ /fusil/ et ‘ími’ /avarice/ ne deviennent véritablement des mots que lorsque bu- (cl. 14) les repère, cela veut dire que ‘wa’/champignon/, ‘ta’ /fusil/ et ‘ími’ /avarice/ ne sont incarnés que lorsqu’ils sont en relation avec bu- (cl. 14). Ils deviennent respectivement búwa « champignon », búta « fusil », et bwíimi « avarice » grâce à cette opération de détermination effectuée par bu- (cl. 14). Au cours de ce processus, il induit la valeur notionnelle véhiculant la qualité et attribue à toutes ces unités, ainsi qu’à cette opération, un fonctionnement qualitatif dit compact. Par ce mécanisme de « fragmentation » qui fait entrer ‘wa’/champignon/, ‘ta’ /fusil/ et ‘ími’ /avarice/ dans la même classe 14, bu- (cl. 14) fonctionne comme un classificateur, nominal en l’occurrence, puisqu’il est utilisé comme un marqueur de quantification et de qualification1, qui contribue à construire des noms par le repérage qu’il effectue. Bu- (cl. 14) intervient donc à un niveau pré-lexical, niveau où ‘wa’/champignon/, ‘ta’ /fusil/ et ‘ími’ /avarice/ ne sont encore que de notions.

On retiendra donc que la valeur notionnelle de bu- (cl. 14), lorsqu’il fonctionne comme un classificateur nominal, est son fonctionnement qualitatif dit compact, qui renvoie à l’abstrait ou au non palpable associé à sa notion.

Bu- (cl. 14) fonctionne comme un classificateur nominal lorsqu’il construit des noms en repérant les bases de leurs notions. Il exprime, au cours de ce processus de détermination, la valeur de qualité.