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Les effets potentiels de la réforme annoncée, sur la motivation des arrêts de la Cour de cassation

française

La Cour de cassation française est engagée depuis la fin de l’année 2014, dans une vaste réflexion qui devrait aboutir à des réformes de fond, aussi bien que de pure forme. Le projet de réforme s’est imposé en France, sous l’influence conjuguée des réformes menées ces dernières années par les juridictions suprêmes de pays européens comparables. Des études comparatives ont été menées par le SDER concernant l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, la Suisse, l’Espagne et l’Italie. L’influence est aussi et surtout, issue de la jurisprudence de la CourEDH, ainsi que la CJUE 408.

Ainsi depuis 2014, sous l'impulsion de son Premier président409, et avec le soutien militant d’un auteur très influencé par le droit anglo-saxon410, et par ailleurs, fervent soutien de la réforme envisagée, la Cour de cassation a ouvert un grand chantier de réflexion sur l’évolution de ses missions et de son organisation411. Lesquelles ont abouti à des propositions contenues dans le rapport de Monsieur Jean-Paul Jean (président de la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation).

Depuis le mois d’octobre 2014, la commission a pu s’appuyer sur les contributions et échanges au sein de la communauté des juristes professionnels nationale et européenne (les membres de la Cour, les avocats aux Conseils, les universitaires et des représentants d’autres juridictions suprêmes françaises et étrangères412). Pour mener à bien ses travaux. Lesquels ont

408 La commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation, séance plénière du 28 mai 2015, Animée

par J.-P. Jean, « Filtrage des pourvois : séance plénière de la Commission de réflexion - débat sur un rapport

d’étape », [En ligne], Disponible sur : https://www.courdecassation.fr/cour_cassation_1/reforme_cour_7109/trav aux_commission_8180/filtrage_pourvois_7857/seance_pleniere_31874.html (Consulté le 1/12/2017).

409 B. Louvel, « Réflexions à la Cour de cassation », op. cit., p. 1326. ; S. Guinchard, « Procès équitable », RÉP.

PR. CIV., 2017, n° 249.

410 S. Guinchard, « Procès équitable », op. et loc. cit. ; Ph. Jestaz, J.-P. Marguénaud et Ch. Jamin, « Révolution tranquille à la Cour de cassation », D., 2014, p. 2061. ; Ch. Jamin, « Juger et motiver », RTD civ., 2015, p. 263. ; Ch. Jamin, « Motivation. - Cour de cassation : une question de motivation », JCP, 2015, Doct., n° 878. ; Ch. Jamin, « Cour de cassation : le fil et la pelote », D., 2015, p. 1641.

411 S. Guinchard, « Procès équitable », op. et loc. cit.

412 La commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation, séance plénière du 28 mai 2015, Animée par J.-P. Jean, « Filtrage des pourvois : séance plénière de la Commission de réflexion - débat sur un rapport

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d’ores et déjà, concrètement abouti à des mesures nouvelles contenues dans la loi J 21 et le décret du 24 mars 2017. D’autres mesures évoquées dans le rapport de Monsieur Jean-Paul Jean (président de la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation) devraient suivre413.

Avant de décrire les effets annoncés de cette réforme, il nous faut cependant brièvement rappeler sa genèse. Il s'agit pour l’essentiel, de lutter contre l'encombrement de la cour de cassation lié à son statut d'unique cour de cassation nationale. Les cours suprêmes se heurtent toutes au même écueil : l’étendue de leur compétence à tout le territoire national, est source d'envahissement autant que de pouvoir et de prestige.

Le contentieux au fond éclaté dans divers échelons engendre des milliers de décisions de justice, se trouve concentré entre les mains d’un seul juge. Même si les recours engagés en première instance ne sont pas, directement soumis au contrôle de la Cour de cassation. Ainsi, le nombre de pourvois devant la Cour de cassation est passé de 2 500 en 1840, à 5 226 en 1900, 9 105 en 1950 et 30 345 en 2000, mais il est resté assez stable depuis cette date puisqu'il s'est élevé en 2014 à 29 706. Pour pouvoir faire face à ce trop-plein de pourvois deux conceptions

s'opposent414. D’une part, celle d’essence aristocratique, incarnée par la Chambre des Lords du

Royaume-Uni et par la Cour suprême des États-Unis. Le rôle de la Cour suprême n'est pas de censurer les violations de la loi commises par les juridictions de fond, mais d'adapter le droit à l'évolution de la société. Selon le seul critère de l’affaire d’une particulière importance,

permettant de faire évoluer le droit 415. L'examen du pourvoi n'est pas fondé sur une question

de légalité (la loi a-t-elle été violée ?), mais sur une question d'opportunité (est-il utile, pour l'évolution du droit, d'examiner le recours ?). Il en résulte qu’elles ne sont pas submergées de pourvois, puisqu’elles choisissent discrétionnairement les affaires qui leur sont soumises.

Même si en pratique, elles n’échappent toujours à l’encombrement416. Car même s’il leur est

possible de ne choisir que les affaires exceptionnelles permettant de faire évoluer le droit,

d’étape », [En ligne], Disponible sur : https://www.courdecassation.fr/cour_cassation_1/reforme_cour_7109/trav aux_commission_8180/filtrage_pourvois_7857/seance_pleniere_31874.html (Consulté le 1/12/2017).

413 L. Cadiet, « Cour de cassation : la réforme à pas comptés », Procédures, 2017, repère n° 5.

414 J. Boré, « Cour de cassation », RÉP. PR. CIV., 2015, n° 175.

415 Ibid., n°176.

416 A. Tunc, « Synthèse, partie d'un numéro thématique : La cour judiciaire suprême. Enquête comparative », RID

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encore faudrait-il définir cette notion. Ce système est surtout le plus injuste à l'égard des justiciables, et suppose par ailleurs, de la part des juges du fond, une soumission volontaire à la

jurisprudence de la Cour suprême417. D’autre part, l’autre conception démocratique, notamment

illustrée, par la Cour de cassation française et par plusieurs autres cours suprêmes européennes. L'examen du pourvoi est ici fondé sur une question de légalité et non d'opportunité. Tout justiciable, aussi modeste soit-il, peut obtenir, en principe, un contrôle de la légalité de la décision dont il a fait l'objet. Cependant, ces juridictions n'exercent qu'un contrôle limité sur les décisions qui leur sont déférées. Elles ne contrôlent pas les appréciations de fait des juges du fond, mais uniquement les questions de droit. Dans cette dernière conception, la Cour suprême ne décide pas ce qu'elle veut juger, mais doit tout juger. Et si les moyens invoqués par le recours

portent sur des éléments de fait qui échappent à son contrôle, il doit le rejeter pour ce motif418.

Ce système est une invention française et il a été adopté par la Cour de justice de l'Union européenne, lorsqu'elle intervient comme juge de cassation des décisions du Tribunal de première instance. Ce caractère démocratique recèle cependant ses propres défauts, puisque qu’elle aboutit à un encombrement de la Cour de cassation lequel a conduit en partie, aux réformes annoncées. Visant, - rappelons-le – à limiter le nombre de pourvois, pour pouvoir juger les affaires dans un délai raisonnable. Au moyen de divers procédés, mis en place, avant 2014. Lesquels se sont révélés efficaces puisqu'en 2014, les délais de jugement devant la Cour de cassation ont été, en moyenne, de 380 jours en matière civile et de 166 jours en matière pénale419.

La réflexion initiée en 2014, porte sur plusieurs points dont les plus significatifs sont : l’éventuel renforcement du filtrage des pourvois, sur le modèle d’autres Cours suprêmes étrangères. Et surtout la nécessaire évolution qualitative de la motivation, et de la rédaction des arrêts. Ces débats visent plus généralement à anticiper, voire accompagner l’évolution du mode de contrôle, exercé par la Cour de cassation, sous l’influence décisive de la jurisprudence de la CourEDH 420.

417 J. Boré, « Cour de cassation », op. cit., n° 176.

418 Ibid., n° 177.

419 Ibid.

420 J.-P. Jean, « Commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation : séance d’ouverture », SDER, 17 octobre 2014, [En ligne], Disponible sur : https://www.courdecassation.fr/institution_1/reforme_cour_7109/trav aux_commission_8180/reforme_cour_30358.html (Consulté le 10/02/2017).

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En vue de cerner les possibles contours futurs de la motivation et du contrôle dont il est l’objet, nous focaliserons notre étude sur les conséquences potentielles des réformes annoncées. D’abord sur la forme de la motivation (chapitre 1). Ensuite sur le fond de la motivation. En prenant comme cas d’école l’évolution de la procédure de filtrage en droit comparé (chapitre 2). Dans un troisième axe, nous tenterons enfin de tracer les perspectives futures du contrôle exercé par la CourEDH sur la Cour de cassation française. Dans son triple aspect (de légalité, de proportionnalité et de conventionalité (chapitre 3).

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Chapitre I : Les effets potentiels des réformes