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Effet du type de travail du sol à moyen terme

Chapitre IV : Effet de différentes pratiques culturales sur la respiration du sol

2. Effet du type de travail du sol à moyen terme

Dans un premier temps, la répartition du carbone organique dans les 45 premiers centimètres de sol issue des prédictions du modèle a été comparée selon les types de travaux du sol après 20 rotations culturales (effectuées chacune avec le même type de travail du sol).

Sensibilité du modèle à la modification des coefficients de décomposition

Les travaux de Carvalho Leite et al. (2004) ont été effectués dans des conditions de sol et de climat totalement différentes de celles de Lamothe, en l’occurrence des sols défrichés en Amazonie tropicale. Une étude de sensibilité a alors été menée afin d’évaluer dans quelle mesure la modification des coefficients de décomposition au moment du travail du sol influençait les résultats de simulation sur le site de Lamothe (luvisol, climat tempéré).

La Figure IV-5 [a] et [b] montre que la modification des coefficients de décomposition sur une durée d’un mois pour modéliser le travail du sol n’a qu’une faible influence sur le contenu en carbone du sol et sur la respiration cumulée après 20 années de travail du sol identique.

Figure IV-5 : Contenu en carbone organique cumulé dans le profil de sol (45 cm) après 20 années culturales effectuées avec des pratiques culturales constantes (même travail du sol et mêmes apports durant 20 ans) - k

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Figure IV-5 [b] : Rh cumulée en fonction du type de travail du sol simulé. Le cumul est effectué sur la 20ème année culturale. Les 19 années culturales précédentes sont simulées avec le même travail de sol (k modulés sur une durée

d’un mois le cas échéant).

Dans cette étude de sensibilité, la principale hypothèse qui peut être formulée pour expliquer la très faible sensibilité du modèle à la modification des coefficients de décomposition correspond à la durée d’application de cette modification effectuée sur 1 mois. La sensibilité du modèle à cette durée d’application de la modification est discutée dans un paragraphe suivant. De plus, les conditions agro-climatiques tropicales dans lesquelles l’étude citée comme référence a été menée sont fondamentalement différentes des conditions tempérées pour lesquelles les même caractéristiques de modification ont été appliquées ici. Les évolutions de la matière organique des sols dans ces deux types de conditions y étant radicalement différentes, l’absence de sensibilité du modèle peut ici traduire une incompatibilité de la transposition de l’étude de Carvalho Leite et al. (2004) aux conditions agro-climatique de Lamothe.

Répartition du carbone dans le profil

En prenant l’hypothèse de l’augmentation des vitesses de décomposition durant un mois suite au travail du sol (Carvalho Leite et al. (2004)), la seule différence marquante dans le profil de carbone concerne le labour le plus profond 30R (Figure IV-6).

Avec un tel type de labour, le carbone apparait plus homogène sur le profil. Cette caractéristique d’un labour profond a déjà été relevée par plusieurs auteurs comme Alvarez et al. (1995) et Balesdent et al. (2000).

En ce qui concerne les autres travaux du sol testés, les seules différences remarquables, bien que faibles, se situent en surface et dans les 15 premiers centimètres de sol. Kern and Johnson (1993) ont réalisé un travail de synthèse d’études comparant différentes pratiques culturales aux Etats- Unis et les différences de concentration en carbone organiques sont spécifiquement observées dans les 8 premiers centimètres de sol alors qu’aucune différence n’est détectée en dessous de 15 cm. Sapkota et al. (2012) relèvent également des différences de quantité de carbone selon les types de travaux dans les 10 premiers centimètres de sol.

Effet de l’apport de fumier

L’effet de l’apport de fumier est remarquable. La différence de teneur en carbone entre les simulations sans apport et avec apport est considérable : ~ 500 gC/m² dans l’horizon 0 cm – 15 cm lorsqu’il y a apport. (Figure IV-6). Par ailleurs, les simulations avec apport montrent une augmentation des différences de concentration en carbone en surface et dans les 15 premiers centimètres de sol plus marquées suivant les différents types de travaux du sol testés.

Sensibilité du modèle à la durée de modification des coefficients

Figure IV-6 : Contenu en carbone des différents horizons de sol après 20 années culturales effectuées avec des pratiques culturales constantes (même travail du sol et mêmes apports durant 20 ans) – hypothèse : modification

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Figure IV-7 : Contenu en carbone des différents horizons de sol après 20 années culturales effectuées avec des pratiques culturales constantes (même travail du sol et mêmes apports durant 20 ans) – hypothèse : modification

des coefficients de décomposition pendant 3 mois suivant le travail du sol.

La Figure IV-7 montre les répartitions de carbone obtenues avec l’hypothèse d’un effet du travail du sol sur la modification des vitesses de décompositions durant 3 mois. Dans ce cas de figure, les différences de concentration observées dans les 15 premiers centimètres en fonction des types de pratiques testées sont bien plus marquées que sur la Figure IV-6. En effet, en cas d’apport, dans l’horizon 0 cm – 15 cm, il y a 300 gC/m² de différence (Figure IV-7) entre les pratiques influant sur les 15 cm (15R et 15) et les travaux du sol en surface (Griffe et NT) alors qu’il y a moins de 100 gC/m² de différence entre ces mêmes pratiques dans le cas d’une modification de la vitesse de décomposition d’une durée d’un mois (Figure IV-6).

Le modèle apparait alors très sensible à la durée de modification de la vitesse de décomposition. Cela s’explique par la forte sensibilité du modèle à la quantité de carbone du compartiment lent, qui est le plus fortement affecté par la modification des coefficient de décomposition (Carvalho Leite et al. (2004)).

Suite à une synthèse bibliographique, la durée de l’effet du travail du sol sur la minéralisation du carbone n’est pas définie. Ainsi, sur la base des travaux de modélisation de Carvalho Leite et al. (2004), l’hypothèse de modification des coefficients de décomposition pour une durée d’un mois sera retenue pour la suite.

Hiérarchisation des différents types de travaux du sol en fonction de leurs effets sur les stocks de carbone

Qu’il y ait ou non apport de fumier, la Figure IV-8 montre que plus le travail du sol est intrusif (30R > 15R > 15 > Griffe), plus il y a de différence de stockage avec une pratique culturale sans labour (NT).

Plusieurs mécanismes semblent avoir un effet sur la quantité de carbone présente dans le profil au bout de 20 rotations culturales.

Dans le cas de pratiques culturales sans apport de fumier, plus le labour est profond (30R vs 15R), plus la perte de carbone est considérable. Le retournement du sol au moment du labour amène également une perte de carbone par rapport à une simple destruction des agrégats sans mélange des couches de sol (15R vs 15).

Figure IV-8 : Contenu en carbone organique cumulé dans le profil de sol (45 cm) après 20 années culturales effectuées avec des pratiques culturales constantes (même travail du sol et mêmes apports durant 20 ans) –

hypothèse : modification des coefficients de décomposition pendant 1 mois suivant le travail du sol.

Malgré cette hiérarchisation des effets, les différences sont peu significatives entre NT et tous les autres types de travaux du sol sur l’ensemble du profil : au maximum, le modèle prédit 336 gC/m² de différence sur l’ensemble du profil entre NT et 30R après 20 rotations culturales. Ce résultat se rapproche des hypothèses émises par Alvarez et al. (1995) supposant que NT permet d’enrichir la surface du sol mais contribue à appauvrir la profondeur ce qui résulte en une différence non significative des stocks de carbone sur l’ensemble du profil entre les différentes pratiques. De plus, Li et al. (2013) n’observent pas de différence au niveau des stocks s’il n’y a pas d’apport de fumier ni incorporation de résidus (sur une expérimentation de 5 ans).

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Lorsqu’il y a apport de fumier, les différences de stock de carbone sont un peu plus marquées (532 gC/m² de différence entre NT et 30R). L’apport de fumier apparait donc comme un facteur non négligeable dans l’évaluation des pratiques culturales en lien avec les perspectives de stockage (Bayer et al. (2000)). D’après le modèle, l’effet du labour est d’autant plus défavorable, et donc les TCSL d’autant plus bénéfiques en termes de stockage en cas d’apport.

Effet sur les différents compartiments de carbone

Figure IV-9 : Contenu en carbone organique de chacun des compartiments du modèle dans les 45 premiers centimètres de sol au bout de 20 années culturales effectuées avec des pratiques culturales constantes (même

travail du sol et mêmes apports durant 20 ans).

Le compartiment de carbone lent apparait comme le plus affecté par les différentes pratiques, et se montre particulièrement modifié lors de l’application du labour 30R (Figure IV-9). Cette observation est liée aux mécanismes de décomposition de la matière organique : dans les horizons de sol, la matière organique se décompose d’autant plus facilement que les variables de température et d’humidité, dont l’effet est modélisé par les facteurs At et Aw (équations n° II-21

à II-25, au paragraphe 1.2.1), sont non limitants (pas de sécheresse et températures optimales). Or ces facteurs sont d’autant moins limitants que l’horizon est profond (annexe 5). En effet, At

varie entre 0,03 et 1 pour une moyenne de 0,52 en surface et entre 0,11 et 1 pour une moyenne de 0,58 dans l’horizon 15 cm – 30 cm ; Aw varie entre 0,01 et 0,99 pour une moyenne de 0,62 en

surface et entre 0,08 et 1 pour une moyenne de 0,81 dans l’horizon 15 cm – 30 cm.

Les compartiments correspondants aux résidus de culture et au fumier (le cas échéant) sont également impactés en fonction des différentes pratiques étudiées, mais dans des proportions moindres que le compartiment lent.. Les différences de quantité de carbone trouvent leur

explication dans l’enfouissement des résidus qui sont plus facilement décomposables en profondeur car les facteurs At et Aw y sont moins limitants.

Dans le cas des labours avec retournement (30R et 15R), le carbone microbien de surface a disparu mais a été reporté dans un compartiment spécifique du sol (carbone microbien litière) créé pour modéliser son enfouissement.

Effet sur la respiration du sol cumulée

Les différentes émissions cumulées de CO2 sur la 20ème rotation apparaissent opposées aux variations de stockage de carbone observées après 20 rotations effectuées sous un même travail du sol. En effet, le labour le plus intrusif (30R) provoquerait les émissions les plus faibles durant la 20ème rotation (Figure IV-10). En fait, les pertes observées sont liées à la quantité de carbone du sol (Figure IV-8) : plus les sols sont riches (NT, griffe), plus ils émettent de CO2 (Figure IV-10). Cet effet est cohérent avec les observations de Hendrix et al. (1998) et Sapkota et al. (2012) qui mesurent des flux plus forts en cas d’absence de labour.

Cette observation est cependant contradictoire avec l’idée que les sols sous TCSL contiendraient plus de carbone passif et stable et qu’ils contribueraient à réduire les émissions de CO2 (Metay et

al. (2009)). D’ailleurs, la Figure IV-9 montre que la fraction passive du carbone organique dans le

profil est similaire quel que soit le type de travail du sol testé. Les différences observées dans les émissions de CO2 sont, d’après le modèle, en lien avec les différences de stockage du carbone

lent et du carbone des résidus qui sont les compartiments de carbone impactés par le type de travail du sol effectué.

Figure IV-10 : Rh cumulée en fonction du type de travail du sol simulé. Le cumul est effectué sur la 20ème année culturale. Les 19 années culturales précédentes sont simulées avec le même travail de sol.

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Par ailleurs, les émissions sont d’autant plus contrastées qu’il y a apport de fumier dans les pratiques culturales testées. En effet, les émissions cumulées du scenario sans labour sont supérieures de 22 gC/m² à celles du scenario avec labour profond, en cas d’apport de fumier (+ 11 gC/m² sans apport de fumier).

Bilan des effets à moyens termes

Finalement, des différences entre TCSL et labour sont observées (dans des proportions plus importantes lorsqu’il y a un apport de fumier) alors qu’elles ne sont pas toujours évoquées dans la littérature du fait (Metay et al. (2009)) :

- d’alternance des TCSL avec des labours épisodiques,

- de différences d’apport de matières organiques parfois trop faibles dans les études pour observer les effets,

- d’échelle de temps d’études et d’application des TCSL variables.

Cette étude préliminaire comporte cependant différentes limites qui préconisent une certaine prudence vis-à-vis des résultats :

- Les 20 rotations résultent de la succession de la même année climatique et de la même culture de blé. L’intégration d’autres types de cultures et de résidus avec des qualités biochimiques différentes (teneur en lignine plus élevée pour du maïs par exemple) pourrait amener un stockage de carbone plus important.

- Le seul intrant est du fumier. Il n’y a pas de prise en compte d’épandage de lisier qui aurait un impact sur les vitesses de décomposition suite à l’humidification du sol, ni d’autres intrants minéraux car le fonctionnement azoté du sol n’est pas formalisé dans le modèle.

- La tenue d’un même travail du sol sur 20 rotations n’est plus observée en pratique aujourd’hui mais constitue la base de l’étude théorique.

- Les modifications des conditions hydriques et thermiques dues à la présence de différentes quantités de matière organique (créant de la macroporosité amenant de la rétention d’eau) qui favorisent l’uniformisation de l’évolution des stocks sur le profil (Alvarez et al. (1995), Mary et al. (1996), Metay et al. (2009)) ne sont pas considérées car la même année climatique est répétée 20 fois.

Ces différentes hypothèses mises en place ont une forte influence sur la quantité de carbone présent dans les différents compartiments au bout de 20 ans. Elles conditionnent de fait les observations effectuées en termes de flux. Afin de réduire les biais liés à ces hypothèses lors de l’utilisation du modèle, les scenarii étudiées dans la suite se placent dans les conditions des études évoquées par Metay et al. (2009) (alternance labour/TCSL, différence d’intrant) et ne sont étudiées qu’à court terme (quelques semaines à un an après le travail du sol).