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3. Economie politique des systèmes de certificats blancs

3.2 Economie des certificats blancs

La théorie économique s’intéresse principalement aux principes, aux modalités et aux avantages et inconvénients des différents types d’instruments politiques disponibles, notamment en termes d’efficacité et d’efficience. Ceux-ci sont traditionnellement divisés en trois grandes familles : les

27 instruments de type command an control (obligation, interdiction, etc.), les instruments économiques (taxes, subventions, création de marché, etc.) et les instruments d’information (campagne de sensibilisation, etc.) (cf. également le chapitre 3.3).

Dans ce cadre, l’instrument des certificats blancs appliqué au domaine des économies d’énergie (électrique) fait partie de la grande famille des « instruments économiques » et plus particulièrement de la catégorie « création de marché ». En ce sens, il est donc comparable et assimilable aux marchés européen du CO2 ou américain du SO2 par exemple. Ses principes de fonctionnement sont identiques à ces derniers.

• Fondements théoriques

Du point de vue de la théorie économique40, l’intervention de l’Etat dans un domaine (par exemple les économies d’énergie) est définie par la nécessité de corriger les défaillances d’un marché qui ne fonctionne dès lors pas à son optimum puisqu’il ne considère pas certains coûts (dits externes), par exemple ceux liés à la pollution. Un optimum économique (la meilleure allocation des ressources) est donc atteint par une intervention extérieure au marché qui consiste à internaliser ce type de coûts via un instrument : une taxe, un système de permis négociables, une subvention, etc. Le principe qui régit ainsi l’intervention de l’Etat est celui de l’internalisation des coûts externes.

De manière générale, les instruments économiques sont donc fondés sur un mécanisme de prix (montant d’une taxe, d’une subvention, etc.) qui représente un signal pour des acteurs qui orientent alors leurs comportements sur la base d’un calcul coûts/bénéfices (rationalité économique).

Les systèmes de marché de permis intègrent également une dimension liée aux droits de propriété.

Plus spécifiquement, la création et le fonctionnement de tels marchés (à l’image d’un marché du CO2) reposent sur le théorème de Coase (1960), un économiste britannique, lauréat du Prix Nobel d’économie en 1991, qui indique, dans les grandes lignes, que quelle que soit l’attribution initiale des droits de propriété entre les participants à un marché, un système d’équilibre général débouchera, en l’absence de coûts de transaction et de manière ex post, sur une allocation optimale des ressources (optimum). Dans le cas d’un nombre d’acteurs restreints, cette allocation peut se faire de manière volontaire alors que dans le cas d’un nombre d’acteurs plus conséquents, les coûts de transactions augmentent et l’intervention de l’Etat est alors nécessaire pour mettre en place un tel marché et donc prendre à son compte ces coûts de transaction.

Hors l’optimum peut être atteint par un tel système de deux manières différentes qui dépendent du choix de l’acteur à qui vont être octroyés les droits de propriété, soit aux pollueurs ou aux victimes de la pollution (cf. annexe 8, situations A et B).

Nous pouvons ainsi constater que l’allocation initiale des droits de propriété (pollueurs vs victimes) n’a pas de conséquence sur le niveau optimal de pollution, elle détermine uniquement la distribution des bénéfices et des coûts entre agents.

Nous pouvons également constater qu’un tel système comprend une certaine hiérarchie de valeurs au niveau de l’octroi des droits (choix entre les pollueurs ou les victimes) et qu’il permet de réduire la pollution à un optimum selon un critère économique, et non écologique.

40 Cf. économie de l’environnement, économie du bien-être et théorie de l’allocation optimale des ressources

28 Il est toutefois nécessaire de distinguer la logique des droits de celle des certificats dans le cas qui nous occupe. C’est dans cette perspective que nous considérons maintenant les mécanismes du Protocole de Kyoto

• Logique des droits vs logique de certificats(ou projets)

Très schématiquement, nous pouvons dire qu’il existe deux logiques inhérentes aux mécanismes de flexibilité définit dans le cadre du Protocole de Kyoto :

• une logique de droits (allowances) qui découlent des obligations de réduction d’émission contractées par les Etats (ou les entreprises en leur sein) ;

• une logique de certificats (certificates) qui découlent de la possibilité de faire valoir des réductions d’émissions liées à des projets (logique de projet).

La première logique est donc relative à une obligation de réduction d’émissions pour les Etats (logique de quantité). Elle fixée au niveau politique (logique négociée) et est mise en œuvre par l’octroi de droits d’émissions : si les droits d’émissions sont inférieurs aux émissions mesurées, l’Etat doit se mettre en règle en achetant des droits et si les droits d’émissions sont supérieur aux émissions mesurées, l’Etat peut vendre ses droits excédentaires. L’obligation d’un Etat est donc jugée remplie lorsqu’il y a équivalence entre ses émissions réelles et ses droits d’émissions (logique normative).

La seconde logique est quant à elle de nature « évaluative » dans la mesure où elle introduit la notion de projets (programmes, etc.) de réduction d’émissions puisque ceux-ci doivent pouvoir permettre de mesurer des quantités d’émissions évitées.

Ces deux logiques (droits et certificats/projets) introduisent l’idée de compensation : dans le premier cas, au travers de la possibilité pour un Etat d’acheter des droits d’émissions excédentaires pour compenser la non réalisation de son objectif et, dans le second cas, par le fait de pouvoir faire valoir des réductions d’émissions réalisées dans le cadre de projets certifiés au titre de son engagement (cf.

également chapitre 6.2).

Ce principe de compensation permet d’introduire une certaine flexibilité au système et ainsi d’effectuer une partie de ses obligations à l’étranger où les coûts de réductions sont moindres comme nous allons le constater ci-dessous.

Dans le cadre du Protocole de Kyoto, ces deux logiques sont mises en œuvre par l’intermédiaire de trois instruments de flexibilité (Bürgenmeier, Greppin et Perret, 2007) :

• l’échange international de droits d’émissions (« International Emissions Trading (IET) ») entre pays industrialisés qui permet l’institution d’un marché d’échange entre pays industrialisés ;

• la mise en œuvre conjointe (« Joint Implementation (JI) ») qui permet à certains pays industrialisés de faire des réductions dans d’autres pays industrialisés ou en transition vers une économie de marché41 sous la forme de projets conjoints ;

• le mécanisme pour un développement propre (« Clean Development Mecanism (CDM) »), qui permet aux pays industrialisés de mettre sur pied des projets communs de réduction dans les pays en développement.

41 Dans lesquels les réductions des émissions ont un coût inférieur.

29 De manière schématique et simplifiée, les deux premiers mécanismes permettent ainsi aux Etats des pays industrialisés (ou en transition) de faire le commerce de droits et de certificats d’émissions (logique des droits et logique des certificats/projets). De cette manière, les Etats qui ont de la difficulté à atteindre leur engagement ont la possibilité de ne pas réduire directement leurs émissions mais de les obtenir indirectement dans un autre pays industrialisé ou en voie de transition (logique ce compensation).

Le troisième mécanisme, quant à lui, permet de réaliser des projets de réduction d’émissions dans les pays en développement et de faire valoir ces réductions dans le cadre des engagements des pays industrialisés (logique de compensation et logique de projets/certificats). Il permet ainsi d’associer les pays en voie de développement aux efforts de réduction par l’intermédiaire d’un transfert de technologie42.

Dans le cadre du Protocole de Kyoto, nous pouvons ainsi faire une distinction entre les certificats (certificates) qui désignent les quotas d’émission découlant des projets de mise en œuvre conjointe (JI) et du mécanisme de développement propre (CDM) et les droits d’émissions (emission allowances) qui désignent les quotas alloués aux Etat industrialisés dans le cadre des objectifs du Protocole de Kyoto, puis redistribuer par ces derniers selon leur modalités spécifiques, en Suisse aux entreprises avec engagements formels.

Aussi, nous pouvons avancer que les systèmes de certificats blancs suivent une logique de projets et de compensation, mais, dans l’absolu, ne semblent pas suivre une logique de droit (il n’existe pas d’échange des obligations d’économie d’énergie en tant que telle). Cette différence implique que seul la logique évaluative est pris en compte pour mesurer l’atteinte des obligations dans un systèmes de certificats blancs, logique qui pousse à définir le référentiel pris en compte pour mesurer l’atteinte des obligations uniquement au niveau des projets et donc sur la base d’hypothèses et d’un certain niveau d’incertitude (mesure des consommations évitées, cf. chapitre 6).

Par ailleurs ce référentiel est normalement définit par le secteur privé ou sur la base des informations qu’il fournit. Hors, dans le cadre du système défini sous Kyoto, la logique des droits introduit un référentiel normatif et politique, certes négociés, mais qui permet de mesurer l’atteinte ou non des objectifs contraignants majoritairement sur la base des émissions mesurées, et non évitées, exception faites des mesures de compensation qui sont toutefois soumises à des limitations (principe de la priorité aux mesures sur territoire national).

• Principes et conditions de fonctionnement

Pour qu’un marché de certificats blancs existe, il est nécessaire que se rencontrent une offre et une demande en économie d’énergie.

Dans la pratique, le principe d’un tel marché est fondé sur la présence d’une obligation légale d’économie d’énergie à laquelle s’ajoute une certaine flexibilité : la possibilité de réaliser les mesures d’économie là où elles sont le moins coûteuses via un marché43. Ceci implique notamment, comme

42 Pour une vue synthétique du système des mécanismes de Kyoto, de ses avantages et inconvénients, nous renvoyons le lecteur à Bürgenmeier, Greppin et Perret, 2007.

43 Le système repose donc sur une approche par la quantité (la norme, l’obligation) et par les coûts (qui définissent la flexibilité).

30 nous l’avons vu plus haut, la mise en place d’un système de certification, de comptabilisation, d’échange, de contrôle, de sanction, etc.

Ainsi, pour pallier aux défaillances du marché dans ce domaine (gaspillage, surconsommation, etc.) c’est donc bien l’Etat qui crée un marché (création de rareté artificielle) en permettant à une demande (via des objectifs d’économie d’énergie contraignants) et à une offre (via la certification de projets d’économies d’énergie) en économies d’énergie de se matérialisé.

Sur un tel marché (idéal), le prix d’équilibre des certificats dépendent donc théoriquement des coûts marginaux d’économie d’énergie, le principe étant qu’un acteur va acheter un certificat d’économie d’énergie si son coût propre pour réaliser l’économie est supérieur au prix d’achat du certificat et un acteur va vendre un certificat d’économie d’énergie si le prix qu’il peut obtenir est supérieur à son coût de réalisation de l’économie. Le prix équilibre est donc fixer théoriquement sur la base des coûts marginaux d’économie d’énergie des acteurs du systèmes, coûts qui se doivent donc d’être significativement différents entre certains acteurs pour qu’il puisse y avoir des acheteurs et de vendeurs44.

Toutefois, le prix d’échange des certificats sur un marché varient en fonction de beaucoup de critères parmi lesquels, à l’exemple des prix du CO2 (cf. Chevallier et Alberola, 2009), des considérations économiques et politiques (par exemple : négociations politiques sur les périodes à venir, notamment aux échéances et sur le niveau et la distribution des contraintes, publications des résultats en cours, modifications ou clarifications des règles du jeux, prix des énergies primaires, etc.) et les conditions climatiques.

Selon Guardiola et all. (2004) et Gayral (2005, citant Moisan 2004 et Quirion, 2005), les conditions de fonctionnement d’un tel système sont notamment :

• la présence de coûts marginaux d’économie d’énergie différents entre acteurs (plus la différence est grande plus grand est le potentiel d’économie d’énergie réalisé au moyen des échanges, plus forte est l’incitation à l’échange, et donc à un marché actif)

• un nombre d’acteurs assez grand pour que le marché soit actif et « parfait » ;

• un potentiel d’innovation ;

• la fixation et la distribution des économies d’énergie par l’autorité régulatrice selon des critères explicites et en terme de quantité et non de taux ;

• le fait que les échanges doivent porter sur un seul type d’économie d’énergie, l’utilisation d’indices d’équivalence risquant d’être complexe ;

• des règles de fonctionnement du système simples et transparentes ;

44 Imaginons ainsi une région lambda sur le territoire de laquelle il existe deux entreprises A et B. L’entreprise A fournit de l’électricité à l’entreprise B qui la consomme (200 kWh/an). L’Etat décide de réduire la consommation d’électricité de 50 % (100 kWh/an) et oblige le fournisseur (entreprise A) à atteindre cet objectif et permet à l’entreprise B de faire certifier des économies d’énergie et de les vendre au fournisseur pour qu’ils puissent les faire valoir au titre de son objectif de réduction. Si ce dernier n’arrive pas à atteindre son objectif il devra payer des pénalités par kWh/an en trop. Ainsi, le fournisseur d’électricité va acheter à l’entreprise B des certificats d’économies d’énergie pour autant que la pénalité infligée soit d’un coût supérieur à l’achat des certificats. De l’autre côté, l’entreprise consommatrice d’électricité va réaliser des économies d’énergie tant que le prix payé par certificats sera supérieur à son coût marginal de réduction de sa consommation d’électricité. Appliqués à plusieurs producteurs et consommateurs d’électricité sur un territoire, ce système mène à un marché des certificats et à des économies d’énergie certifiées (notamment dans les secteurs où les économies sont le moins chères à réaliser).

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• une simplicité dans l’appareillage de « mesure » des actions d’économie d’énergie ;

• un nombre d’acteurs « obligés » restreint pour permettre contrôle et suivi des obligations ;

• la possibilité de transfert les coûts des mesures d’économie d’énergie aux consommateurs finaux.

Selon la théorie économique (voire par exemple de manière générale Bürgenmeier, 2005, 2008 ou plus particulièrement concernant les certificats blancs Bertoldi et Ressezy, 2006, 2009 et Guardiola et all. 2004), un tel système, en tant qu’instrument fondé sur des mécanismes de marché, minimisent les coûts pour la société pour atteindre un objectif donné (efficience statique) et créent des incitations à l’innovation et améliore la performance (efficience dynamique). En effet, le marché est ici sensé introduire une flexibilité qui permet de réaliser des économies aux meilleurs coûts (dans le cadre d’un périmètre géographique donné) comparativement aux autres instruments et notamment aux normes uniformes (cf. démonstration dans l’annexe 9).

Cependant, la démonstration de l’efficacité supérieur d’un système de certificats sur une norme uniforme n’étant que purement théorique, les économistes se sont également penchés sur les avantages et les inconvénients «plus ou moins pratiques » des différentes catégories d’instruments dont font partie les normes et les systèmes de certificats.

• Avantages et inconvénients (théorico-pratiques)

Il ressort de la littérature spécialisée (cf. par exemple Bürgenmeier et al., 2007 ; Guardiola et all.

2004) que les avantages d’un système d’échange de certificats sont :

• une approche par les quantités qui permet de déterminer a priori le niveau de pollution via le nombre de droits distribués (ou d’obligations dans le cas des certificats blancs) ;

• la stimulation de l’innovation (technologique) par une augmentation des prix des certificats ; et la diffusion de la technologie

• une ouverture à différents acteurs, par exemple aux associations environnementales qui peuvent retirer des certificats du marché (démarche volontaire) ;

• une possibilité de coupler des systèmes régionaux ;

• un potentiel d’atteindre de multiples acteurs du domaine de manière assez simple (sociétés de services énergétiques, consommateurs, distributeurs d’équipements, etc.) et donc une diffusion très large de la thématique des économies d’énergie et la possibilité de s’attaquer aux gisements diffus

• une valorisation des actions d’économie d’énergie entreprises (par la valeur du certificat).

Aussi et comparativement à de nombreux programmes traditionnels d’économies d’énergie de nature sélective et difficilement quantifiable, ce type d’instrument peut paraître attirant. Cependant, un tel système possède également certaines limites (cf. par exemple Bürgenmeier et al., 2007 ; Finon 2008 ; Gayral, 2005 ; Guardiola et all. 2004) liés :

• aux coûts de transaction et à sa complexité (notamment liés à la nécessité de mesurer, vérifier, certifier et échanger) ;

• aux risques économiques et aux risques de marchés auxquels sont confrontés les obligés (fournisseurs) ;

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• à la possible présence d’un effet richesse ;

• des risques économiques liés à l’incertitude sur le prix des certificats ;

• au nombre de certificats échangeables (qui doit être assez élevé), à la taille du marché (qui doit être assez grande) et à la quantité d’économie d’énergie attachée à chaque certificat (qui doit être assez petite) ;

• à la possible absence de concurrence (qui induit une allocation inefficace) et à des prix trop bas ;

• la durée de validités des certificats (qui se doit d’être déterminée) ;

• la couverture sur un territoire donné ;

• la difficulté d’évaluer le coût marginal d’économie d’énergie ;

• la relative jeunesse du système (mal ou peu connu), sa complexité administrative (création d’instances et de comptabilité) ;

• à ses mécanismes de sanctions et de contrôle ;

• à l’incertitude (liés à l’octroi des certificats pour les projets, aux hypothèses employées pour le mesure des économies certifiées, etc.) qui rend un tel système peu stable dans le temps (la modification des règles est négative pour les acteurs) ;

• la qualité des certificats (qui n’est pas un facteur déterminant dans l’achat : prix vs qualité)

• l’acceptabilité sociale du système en tant que tel (étiquettes, préjugés sur ces « permis/droits de polluer »).

Cependant, nous pouvons relativiser en quelque sorte ces inconvénients liées au mécanisme de marché dans la mesure où « l’important dans ces dispositifs est en fait le caractère contraignant de l’obligation […] et non pas le mécanisme d’échange qui ne joue qu’un rôle d’ajustement, contrairement à ce que suggère la façon classique de les désigner sous le nom de

‘’marchés de certificats‘’ »(Finon, 2008, citant Legris, 2006, p. 11).

Seul des retours d’expériences sur une certaine durée pourront nous dire s’ils ont plus d’avantages que d’inconvénients (cf. chapitre 4).

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