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EADS : le premier champion européen Le poids du groupe

Chapitre Deux

II.3 EADS : le premier champion européen Le poids du groupe

EADS est un projet ambitieux, d’abord par sa taille. En tant qu’entité franco-allemande, le nouveau groupe aurait déjà été en troisième position mondiale de l’aéronautique et de défense avec 89 000 employés, un CA annuel de près de 20 milliards d’euros et un résultat d’exploitation d’un milliard d’euros en 199852. Elargi à CASA, EADS a plus de 95 000 employés et un CA de 21 milliards d’euros.

Grâce à la combinaison des participations respectives des trois groupes, EADS a un rôle central dans la plupart des programmes européens. Ces activités couvrent la totalité du secteur aéronautique et spatial :

L’aéronautique civile. Au sein d’Airbus, EADS détient 80% de la future société intégrée AIC et les lignes d’assemblage des avions. Cette activité représente près de la moitié du CA du nouveau groupe.

L’aéronautique militaire. EADS est présente dans les deux programmes militaires les plus importants en Europe. Aerospatiale-Matra apporte ses 45,76% de Dassault Aviation, alors que Dasa et CASA détiennent respectivement 30% et 13% d’Eurofighter. Ces 43% seront mis en commun avec les 19,5% d’Alenia dans EMAC (European Military Aircraft Company ou JV Co, nom provisoire), le nouveau joint venture 50/50 d’EADS et Finmeccanica qui détient ainsi avec 62,5% la majorité d’Eurofighter.

L’espace. En fusionnant les participations de Dasa et d’Aerospatiale-Matra dans la nouvelle société Astrium, EADS devient l’actionnaire de référence de cette société avec 75% du capital. EADS devient également

52 Les Echos, 15 octobre 1999.

le principal actionnaire privé d’Arianespace avec 25,9%. Une place prééminente qui pourrait être consolidée en cas de réorganisation du capital du leader mondial du transport spatial.

Les hélicoptères. Ayant déjà fusionné leurs activités respectives dans Eurocopter, la fusion des maisons mères ne change pas fondamentalement la donne dans ce secteur, mais facilite sans doute le mode de gestion du numéro un mondial des hélicoptères. De plus, l’intégration de CASA dans EADS pourrait permettre à l’Espagne de devenir partenaire de plein droit dans le programme Tigre.

Missiles. Aerospatiale-Matra apporte ses 50% dans Matra BAe Dynamics (MBD), l’activité missile de l’ex- Aerospatiale et sa participation dans Euromissile. De son côté, Dasa apporte également sa participation dans Euromissile ainsi que sa filiale LFK, dont MBD détenait déjà 30%.

En dehors de ces cinq principaux secteurs, les trois entreprises apportent d’autres activités ou participations : Dasa dans l’électronique de défense (valant presque 2 milliards d’euros par an) ; Aerospatiale-Matra ses activités dans les avions régionaux et Casa sa position de numéro un mondial sur le marché des avions légers de transport militaire53.

Un équilibre difficile

La structure capitalistique d’EADS est à deux étages :

Le premier étage concerne la partie française, qui sera une société contrôlée à parité par l’Etat et une structure commune entre Lagardère SCA (détenant 37%) et des investisseurs institutionnels français (13%), surtout la BNP.

Au deuxième étage, le holding français, DaimlerChrysler et Sepi forment un holding de contrôle, détenant 65,57% de la société EADS proprement dite. La partie allemande et française détient à parité 30%, Sepi 5,57%.

Les 34,43% restants sont cotés sur les bourses de Paris, Francfort et Madrid. Pour des raisons fiscales et faute d’un statut de société européenne, tant le holding de contrôle qu’EADS ont leur siège social aux Pays-Bas.

53 Le Monde, 16 octobre 1999.

Pour parvenir à la parité entre Dasa et Aerospatiale-Matra, DaimlerChrysler a retiré avant la fusion 700 millions d’euros en cash. Pour ramener sa part dans EADS à parité avec les 30% de la partie française, DaimlerChrysler a ensuite sorti de Dasa les activités de MTU ainsi que 2,7 milliards d’euros, ce qui correspond à 13% d’EADS. Puis, l’augmentation de capital de 2 milliards d’euros par l’introduction en bourse a dilué DaimlerChrysler à 30%. Du côté français, 15% d’EADS appartiennent au gouvernement, 11,1% au groupe Lagardère et 3,9% aux investisseurs institutionnels. Sepi apporte ses 99% de CASA en échange de 6,25% du capital d’EADS.

L’augmentation du capital dilue la participation espagnole à 5,57%, les autres actionnaires conservant leurs participations initiales par ajustement du nombre de titres qu’ils vendront sur le marché. Le capital flottant s’accroîtra à terme à 40% puisque Sepi s’est engagé à vendre ses 5,57% sur le marché.

Schéma : EADS - Structure capitalistique

13%

50%

37%

45.8%

45.8% 8.4%

50%

65.5%

34.5%

Invest. instit.

français

Daimler-Chrysler

Holding français SSeeppii

Bourse Holding

néerlandais

EADS

European Aeronautic, Defense and Space NV néerlandais

Gouvernement français

Invest. priv.

Lagardère

Avec cette structure de holding en cascade, les partenaires ont transposé au niveau des groupes les principales dispositions qui ont déjà figuré dans les joint ventures. L’objectif est de bien marquer l’égalité de droit des actionnaires principaux et d’organiser la codécision pour les questions clés (fusions et aliances avec des partenaires tiers ainsi qu’investissements supérieurs à 500 millions d’euros). Etant donné le poids respectif des acteurs, l’équilibre franco-allemand est, bien entendu, au cœur de la construction. Aucun des deux partenaires ne peut s’emparer du contrôle d’EADS, puisque « le principe de l’égalité de droits entre DaimlerChrysler et le partenariat français est intangible. Si l’un des actionnaires veut vendre, il ne peut le faire que sur le marché, et ceci ne modifie pas les pouvoirs au sein d’EADS. La répartition économique et la répartition des pouvoirs des actions ont en effet été découplées. En outre, des droits de préemption existent entre actionnaires français et allemands »54.

La structure de la direction est inspirée par le modèle d’entreprise anglo-saxon : il n’existe en effet pas de conseil de surveillance à la française ou à l’allemande, mais un conseil d’administration et un comité exécutif. La présidence bicéphale du conseil d’administration va à Jean-Luc Lagardère et Manfred Bischoff, les deux étant non-executive chairmen. Cinq directeurs, deux Allemands (nommés par DaimlerChrysler), deux Français (tous deux nommés par Lagardère et le gouvernement français) et un Espagnol (nommé par Sepi), les soutiendront. Siègeront également au conseil d’administration les deux chief executive officers (CEO) d’EADS et deux outside directors.

Pour empêcher que le directeur espagnol occupe au sein du conseil une position stratégique d’arbitre entre Français et Allemands, les règles de vote prévoient une majorité qualifiée de sept voix sur onze55.

Les activités du groupe seront réparties dans cinq divisions, dont deux dirigées par un Français (Airbus, espace), deux par un Allemand (aéronautique, systèmes civils et de défense) et une par un Espagnol (avions de transport militaire). Chaque entité sera pleinement responsable de ses performances et de ses résultats. Il y aura également trois directions fonctionnelles (finances, stratégie, marketing). Les chefs de division ainsi que les directeurs fonctionnels forment le comité exécutif, présidé par les deux CEO.

54 Philippe Camus dans Les Echos, 18 octobre 1999.

55 Les Echos, 3-4 décembre 1999.

Structure du Management

EADS – Conseil d’administration

2 chairmen (allemand et français)

5 Directeurs (2 DaimlerChrysler, 2 Holding français, 1 SEPI)

2 CEOs d’EADS

2 directeurs extérieurs

2 CEO’s (1 allemand, 1 français)

Espace F Trans Mil

E

Stratégie F

Syst. Civ.

& Défense A

Marketing

F

Aéronaut A

Finance G Holding néerlandais – Conseil d’administration

2 chairmen (allemand et français)

5 Directeurs (2 DaimlerChrysler, 2 Holding français, 1 SEPI))

2 CEO d’EADS

Airbus CEO

F

CFO A

Programmes F

Ressources humaines

Aéronaut.

Milit.

A

Astrium F

Astrium A

Astrium A

AM Lanceurs

F Eurocopter

A

Eurocopter F

A T R F

Sogerma/

EFW A

Sogerma/

EFW F

Socata A Electroniq.

défense A

Syst, Serv Telecom

F

Missiles MBD/AM F

Missiles MBD/AM F

Missiles/

LFK A Airbus COO

A

F : Français Comité Exécutif

A : Allemand

E : Espagne Participations

Nota : cette structure ne prend pas en compte la création d’EMAC qui aura des répercussions sur la division aéronautique Arianespace Dassault

Airbus GIE

AMC

A cette direction opérationnelle s’ajoute une structure de direction qui regroupe 22 autres responsables. L’organisation centrale sera totalement intégrée, sauf les trois fonctions « affaires politiques » (responsables des contacts avec les gouvernements nationaux), « intégration » (chargée de gérer la fusion et donc limitée dans la durée de son existence) et

« ressources humaines » (qui doivent prendre en compte des règles juridiques propres à chaque pays, et assurer le dialogue avec les représentants du personnel). En cas de désaccord au niveau du management opérationnel, la question remontera au conseil d’administration du holding de contrôle, puis aux présidents des deux entreprises actionnaires, Jean-Luc Lagardère et Jürgen Schrempp56.

Pour mettre en place EADS, les partenaires ont été obligés de faire des concessions majeures : le côté allemand a « avalé la couleuvre » (M. Bischoff) de la présence d’actionnaires publics dans le capital du groupe. Tandis que la participation de Sepi est modeste et transitoire, l’Etat français reste un actionnaire important d’EADS et son engagement n’a aucune limite de durée. En plus, les statuts du holding français lui garantissent des droits particuliers en matière d’acquisition, d’alliance stratégique et d’augmentation de capital. Il existe également un droit de contrôle sur des modifications de capital – notamment pour tout franchissement de seuil supérieur à 10% – inscrit dans les statuts d’EADS.

Enfin, ces dispositions sont appuyées par une convention (de droit français et soumise à la juridiction française) qui donne à l’Etat des garanties spécifiques sur les activités liées à la dissuasion nucléaire. Selon le ministère français de la Défense, ces garanties sont les mêmes que celles données par l’action spécifique dont l’Etat a disposé dans le capital d’Aerospatiale-Matra : un droit de contrôle sur les opérations concernant la capacité de maîtrise d’œuvre, de conception et d’intégration des missiles balistiques du groupe ainsi que sur quatre filiales liées à cette activité57. De leur côté, les Français ont dû accepter la parité des Allemands.

Psychologiquement, cela n’allait pas de soi : de nombreux responsables à Paris ont toujours considéré l’aéronautique allemande comme un allié mineur qui ne dispose pas du même savoir-faire technologique que

56 Air & Cosmos n. 1721, 22 octobre 1999, pp. 11-15.

57 CILAS (lasers), SODERN (études et réalisations nucléaires), NUCLETUDES (ingénierie nucléaire) et COSYDE (conception de système de défense).

l’industrie française. De plus, le poids de Dasa en termes d’activité est bien inférieur à celui d’Aerospatiale-Matra : fin 1998, Dasa affichait un CA de 8,77 milliards d’Euros, tandis que les comptes (pro forma) d’Aerospatiale-Matra faisaient état d’un CA de 12,3 milliards d’Euros. En 1999, la proportion entre les deux CA reste la même (9,2 contre 12,9 milliards), mais Aerospatiale-Matra dépasse largement son fiancé allemand dans les commandes (15,4 milliards, soit +19%, contre 9,9 milliards, soit -29%). Ce calcul ne prend cependant pas en considération tous les aspects politiques et financiers. D’abord, il fallait ancrer Dasa au pôle aéronautique français avant que le groupe allemand ne soit séduit par d’autres partenaires, laissant l’industrie française isolée58. Ensuite, les CA des deux partenaires ne sont pas tout à fait comparables : en fait, Aerospatiale-Matra a consolidé proportionnellement sa quote-part (37,9%) du CA réalisé par le GIE Airbus Industries, ce que Dasa n’a pas fait59. Enfin, Aerospatiale-Matra n’affiche qu’une marge d’exploitation bien inférieure à celle de Dasa (4,0% contre 7,1% en 1998 et 3,7% contre 8% en 1999)60. Du point de vue de la rentabilité, les valorisations des deux sociétés faisaient donc ressortir un net avantage de Dasa61.

Les Espagnols, enfin, étaient obligés de jouer un rôle relativement modeste.

La répartition des responsabilités correspond pourtant à la différence de taille des trois partenaires. En tant que membre fondateur d’EADS, Sepi sera toutefois représenté au niveau du holding néerlandais ainsi qu’au sein du Conseil d’administration et au comité exécutif d’EADS. Les Espagnols obtiendront également le leadership dans le secteur des avions de transport militaires, ainsi que 10% de la charge de travail sur l’Airbus A3XX. L’Etat espagnol entre dans le capital d’EADS, mais son désengagement est programmé et il ne détient pas de droits spéciaux comparables à ceux de l’Etat français. De plus, la représentation espagnole au sein des Conseils d’administration du holding néerlandais et d’EADS lorsque Sepi aura vendu ses actions sur le marché est une question qui reste ouverte62.

58 Libération, 15 octobre 1999.

59 Chaque membre d’Airbus est à la fois « actionnaire » et « sous-traitant » du GIE. Il gagne donc de l’argent à deux occasions : lorsqu’il vend à Airbus ses pièces d’avion, et lorsque le GIE vend un avion à une compagnie aérienne. La première fois, une marge de 100% lui revient, la deuxième fois, il récupère sa quote-part du bénéfice réalisé.

60 La Tribune, 9 mars 2000.

61 Les Echos, 18 octobre 1999.

62 Ibid.

Les défis

Pour l’avenir d’EADS, il est certainement avantageux que les partenaires se connaissent bien et soient habitués à travailler ensemble. En effet, plus de 70% de leurs activités ont déjà été organisées dans des joint ventures communs. La disparition des divergences entre maisons mères et l’intégration des activités combinées ne peuvent qu’améliorer l’efficacité économique et industrielle. Il n’empêche que les « vrais » problèmes vont commencer maintenant. L’intégration des maisons mères est en effet un défi d’une autre ampleur que la coopération par métier.

Dans le domaine militaire, la rationalisation industrielle à travers les frontières restera probablement limitée du fait d’une forte complémentarité entre les trois partenaires :

dans les missiles, la rationalisation concernera avant tout la part française de MBD et l’ex-division missile d’Aerospatiale. Par rapport à ces deux entités, LFK est un acteur mineur. Même s’il y a des duplications entre les trois, EADS hésitera sans doute à les supprimer chez LFK, sachant que toute réduction de l’implantation en Allemagne risquerait de réduire l’accès au marché allemand ;

dans l’électronique de défense, seul Dasa dispose d’activités. Par conséquent, les synergies entre les partenaires sont quasiment nulles dans ce domaine ;

dans le domaine des avions de combat, les synergies potentielles sont très importantes, mais impossibles à exploiter tant que Dassault Aviation et EMAC, le nouveau joint venture d’EADS et Finmeccanica, restent des entités distinctes ;

la situation est similaire dans les avions de transport et de mission, deux domaines ou la division espagnole d’EADS et la filiale italienne d’EMAC regroupent certains types d’avion similaires.

Par ailleurs, les modalités des programmes communs (missiles, hélicoptères) concernant la répartition des tâches sont déjà réglées dans des MoU intergouvernementaux qui ne seront sans doute pas modifiés. Par conséquent, la rationalisation industrielle ne pourra pleinement jouer qu’avec l’arrivée de nouveaux programmes. Les premiers domaines concernés seront sans doute les avions de transport et de mission ainsi que les missiles, deux activités ou d’importants projets (l’Airbus A400 M et le

Meteor) sont sur le point de démarrer. Dans les autres domaines militaires, l’avantage de la fusion semble se limiter, dans un premier temps, à la réduction des coûts administratifs et indirects et à la mise en commun du marketing. La commercialisation des systèmes à l’étranger en profitera également. Dans ce contexte, la participation simultanée d’EADS au Rafale et à l’ Eurofighter est particulièrement avantageuse : elle double ses chances de l’emporter sur les marchés d’exportation et crée la base d’une standardisation de l’équipement des deux appareils pour leur modernisation.

En même temps, EADS réunit le savoir-faire des deux programmes sous un seul toit et se donne ainsi un atout technologique pour le développement de l’avion de combat de la prochaine génération.

Dans le domaine civil, les synergies sont beaucoup plus importantes. La création d’EADS a été en effet largement motivée par la volonté de simplifier la coopération au sein d’Airbus. La réduction du nombre de partenaires a été effectivement la condition sine qua non de l’accord sur la transformation du GIE, finalisé fin juin 2000, et sera à l’avenir la meilleure garantie pour un bon fonctionnement de la société intégrée. La création d’AIC mettra fin à une organisation qui entraîne opacité et gaspillages.

Enfin, elle permet de rendre les coûts de production transparents, de centraliser les achats, et d’intégrer la conception et la production des avions.

Les synergies annuelles attendues par la création d'AIC sont ainsi estimées à 350 millions d'Euros à compter de 200463. En même temps, des considérations politiques empêcheront de pousser la rationalisation industrielle au sein d’Airbus à l’extrême. La répartition géographiquement équilibrée des sites est en effet indispensable pour maintenir le soutien financier et politique des gouvernements nationaux64.

Aux questions de rationalisation s’ajoutent les problèmes juridiques et sociaux, particulièrement complexes faute d’un statut de société européenne.

En termes de droit des sociétés et de droit fiscal, EADS a opté pour un siège aux Pays-Bas, pratique qui n’est pas isolée en Europe. Du point de vue fiscal, c’est le choix le plus avantageux ; du point de vue politique, c’est l’alternative « neutre » au choix entre un siège en France ou en Allemagne.

Restent à régler les questions sociales : l’absence de droit du travail et de

63 Frankfurter Allgemeine Zeitung, 16 mai 2000; Le Monde, 24 juin 2000.

64 La polémique concernant les lignes d'assemblage finale d’Airbus A3XX démontre bien que, même dans le civil, la répartition des charges de travail est une question très politique. Voir La Croix, 6 avril 2000.

droit social européens oblige EADS à utiliser des contrats de travail distincts pour faire face aux différentes normes sociales dans les pays concernés. Ces contraintes juridiques risquent d’empêcher EADS de d’exploiter pleinement les synergies potentielles de la fusion. « C’est un lourd dossier auquel les syndicats seront associés et qui nécessitera de trouver des compromis entre un modèle de coparticipation à l’allemande et un modèle français reposant sur un dialogue mêlant consultation et confrontation, et qui s’appliquait en l’occurrence à des entreprises où régnait une relative paix sociale »65.

Il est en effet essentiel, face aux aspects organisationnels et réglementaires, de ne pas oublier l’importance du facteur humain pour le succès de la fusion. Paradoxalement, plus le degré d’intégration est élevé, plus la question de la différence entre cultures nationales et d’entreprises devient importante. Il est difficile de mettre sur pied une gestion commune, mais il est encore plus délicat pour des individus de nationalités et d’origines professionnelles différentes de travailler ensemble au sein d’une nouvelle organisation. Dans le cas d’EADS, la situation est particulièrement complexe, parce qu’ Aerospatiale-Matra n’a même pas eu le temps de digérer le choc des cultures subi lors de sa propre fusion66. Il faut également tenir compte aujourd’hui des multiples spécificités culturelles françaises, allemandes et espagnoles. Face à l’ensemble de ces facteurs, il sera fascinant de suivre pour EADS la naissance d’une identité européenne de société67.

L’entente entre Français et Allemands sera décisive. A cet égard, la participation d’un troisième membre fondateur plus petit pourra avoir l’avantage d’atténuer d’éventuels affrontements entre les deux grands68. Au niveau de la direction, le climat entre Français et Allemands profitera certainement de « l’entrée en force des hommes de Lagardère »69. Parmi les

65 Jean-Pierre Maulny et Burkard Schmitt, « De EADC à EADS : la naissance difficile d’un champion européen », dans Revue internationale et stratégique, été 2000, pp. 35-47.

66 Certains observateurs affirment pourtant que même Dasa, issue en 1990 de l’absorption de MBB par Daimler-Benz, n’a jamais développé une identité propre non plus.

67 Voir Matthias Maier, « Kooperationsmanagement im deutsch-französischen Kontext » , dans Walter Schertler (dir.), Management von Unternehmenskooperationen, Überreuther, Munich, 1997, pp. 389-437.

68 Voir Marie Henckel von Donnersmarck, Roland Schatz (dir.) : Fusionen gestalten und kommunizieren, Innovativ Verlag, Bonn, 1999.

69 Le Figaro, 15 février 2000.

cinq Français qui accèdent au comité exécutif figurent, en effet, quatre proches de Jean-Luc Lagardère, tandis qu’un seul est issu d’Aerospatiale. Se confirme ainsi, la tendance déjà constatée au cours des négociations secrètes, à savoir la prise de contrôle des postes clés et la monopolisation du processus de décision par l’actionnaire de référence. Ce rapport de forces du côté français pourrait atténuer le choc des cultures entre un groupe privé et un ex-groupe public, même si les « Matra Boys » ont plus d’expérience de la coopération avec les Britanniques qu’avec les Allemands70.

Du côté allemand, Dasa pourra sans doute profiter de l’expérience de la fusion Daimler-Chrysler. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la fusion des automobilistes serait un modèle adéquat pour la création d’EADS, loin de là : étant donné le désengagement important des investisseurs américains et le départ de nombreux dirigeants américains depuis la naissance du géant transatlantique, la soi-disant « fusion des égaux » entre Daimler et Chrysler ressemble en effet aujourd’hui plutôt à une OPA sur le second par le premier. Dans une industrie liée à la défense, la moindre impression qu’un développement similaire se répète serait sans doute fatale.

La structure actuelle de l’actionnariat est pourtant une sauvegarde contre cette hypothèse. A ce niveau, il est probable que la « cohabitation » des actionnaires publics et privés, et plus particulièrement entre l’Etat français et DaimlerChrysler, fonctionnera sans problème majeur. Le simple fait que la fusion ait eu lieu en dépit d’une participation publique prouve que les protagonistes ont dépassé les querelles idéologiques des dernières années pour adopter une attitude assez pragmatique. Tout semble indiquer aujourd’hui que le gouvernement français est prêt à s’abstenir d’intervenir dans le management du groupe et à jouer plutôt le rôle d’un actionnaire

« normal ». Les vrais « maîtres » d’EADS seront les investisseurs industriels, DaimlerChrysler et Lagardère. Il ne faut pourtant pas oublier que les dispositions du pacte d’actionnaires relatives à la stabilité de l’actionnariat cesseront de produire leurs effets en 2003, donnant aux actionnaires industriels la liberté de vendre leur participation. Si DaimlerChrysler et/ou le groupe Lagardère décidaient de se retirer du capital, la gouvernance d’entreprise d’EADS pourrait changer de fond en comble.

70 Les activités défense de Matra sont concentrées dans les joint ventures franco-britanniques MMS et MBD.

II.4 Le nouveau paysage industriel en Europe