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Les dispensatores

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 55-58)

Esclaves et affranchis publics employés au service de l’administration

1. Les esclaves attachés à la gestion financière

1.2 Les dispensatores

À côté des arcarii, on trouve sept dépendants de cité dans la fonction de dispensatores168.

Les servi publicidispensatores

Référence(s) Lieu Date Identité Statut / Fonction

CIL, IX, 5177 (ILS, 5450)

Asculum 21 juil. 172 Rufus col(oniae) dis(pensator) arc(a)e summar(um)

Tergeste IIème s. ap. J.-C. Hermes Terg(estinorum) dis[p(ensator)]

CIL, II, 5164 Balsa Caesaris, correspond à celui d’un trésorier. Ainsi, dans les Institutes, Gaius affirme ainsi que

« servi quibus permittitur administratio pecuniae dispensatores appellati sunt »169 et, de son côté, bien plus tard, Isidore de Séville attribue encore à ces agents l’administratio pecuniarum170. Auprès des cités, ce travail de gestion des fonds publics est explicitement évoqué dans les titres de dispensator arcae summarum, dispensator pecuniae et summarum dispensator que livre la documentation épigraphique171 même si le détail de l’activité de ces personnels nous échappe en grande partie. Pour tenter de l’appréhender, on ne peut procéder que par comparaison avec ce que l’on sait d’autres dispensatores, notamment ceux employés auprès des services impériaux. G. Boulvert voit en eux à la fois des receveurs et des payeurs172 : d’un côté, ils perçoivent les encaissements et de l’autre ils procèdent à des versements. Ils ont donc en charge l’ensemble des flux de trésorerie, recettes comme dépenses. Ils sont aussi responsables de la bonne tenue des rationes et doivent en informer

168 N. Vulic, « dispensator », DE, p. 1920-1923 ; J. Muñiz Coello, Officium dispensatoris, Gerion, VII, 1989, p.

107-119 ; J. Carlsen, Dispensatores in Roman North Africa, L’Africa romana. Atti del IX convegno di studio Nuoro (13-15 dicembre 1991), 1992, Sassari, p. 97-104.

169 Gaius, Inst., I, 122.

170 Isidore de Séville, Etymologiae, X.

171 CIL, IX, 5177 (ILS, 5450) ; CIL, XI, 1066 (ILS, 6672) ; CIL, V, 83 (ILS, 6677).

172 G. Boulvert, Esclaves et affranchis…, op. cit., p. 429-431.

régulièrement leur maître comme le rappellent aussi bien les juristes173 qu’un passage de Suétone où le dispensator de Galba présente à l’empereur un état de ses comptes, un breviarum rationum174. En fait, s’il arrive qu’à l’image de Cinnamus, le trésorier de Trimalcion, le dispensator ait à s’occuper de compter la monnaie175, il est sans doute bien plus qu’un simple caissier176. Sa fonction le rapproche davantage de celle d’un économe car, la plupart du temps, il gère le train de vie d’une maison et veille scrupuleusement aux dépenses, même s’il n’en est pas l’ordonnateur. Il effectue aussi très certainement tout un travail de vérification et d’ajustement comptable177.

La fonction exige donc d’avoir appris des notions d’arithmétique178 et de bien connaître les règles de la gestion. Cela explique qu’elle soit réservée à des hommes qualifiés, faisant preuve d’une solide expérience en la matière. J. Muñiz Coello considère d’ailleurs que les esclaves qui accèdent à ce poste ont reçu parfois jusqu’à vingt ans de formation dans la demeure de leur maître, formation fondée aussi bien sur un apprentissage technique que sur une familiarisation avec les affaires du dominus179. Au sein de l’administration municipale, on attendait assurément de tout dispensator des compétences équivalentes. Il y a même lieu de croire que la charge revenait souvent à des agents qui avaient déjà travaillé dans les services financiers en occupant d’abord des postes subalternes. C’est en tout cas ce que semble suggérer une plaque de travertin retrouvée à Asculum180 qui porte une dédicace adressée par Ianuarius, dispensator de la colonie, à un affranchi public, M. Valerius Verna. Bien qu’intéressante à plus d’un titre, cette inscription ne va pas cependant sans poser quelques problèmes d’interprétation. Dans le texte, le commanditaire se présente en effet comme un [c]ol(oniae) di[sp(ensator)] qui fuerat [arca]rius eiu[s]181. Une telle formule mérite l’analyse.

Pour commencer, la question est de savoir si le pronom « eius » renvoie à [c]oloniae ou bien à M. Valerius Verna. Dans le premier cas, cela signifierait que l’esclave avait rempli successivement deux fonctions différentes auprès de l’administration civique avec, très

173 Alfenus Varus, Dig., 11.3.16 : « Dominus servum dispensatorem manumisit, postea rationes ab eo accepit et cum eis non constaret. » et Pomponius, Dig., 40.7.21 : « ... fides bona non solum in rationibus ordinandis, sed etiam in reliquo reddendo... ».

174 Suétone, Galba, 12, 5 : « …et ordinario quidem dispensatori breviarum rationum offerenti… ».

175 Pétrone, Satiricon, 30, 9: « ...dispensatoremque in precario aureos numerantem... ».

176 Cet avis est partagé par J. Muñiz Coello, Officium…, art. cit., p. 109 ; J. Andreau, Banque …, op. cit., p. 126-127 ; G. Minaud, La comptabilité à Rome. Essai d’histoire économique sur la pensée comptable commerciale et privée dans le monde antique romain, Lausanne, 2005, p. 175.

177 Une anecdote mentionnée par Suétone, Vespasien, 22, en témoigne : alors que l’empereur avait fait remettre 400 000 sesterces à une femme, son dispensator lui demande sur quel poste comptable il doit porter la somme.

178 Pétrone, Satiricon, 29 : « Hinc quemadmodum ratiocinari didici esset, deinque dispensator factus est. »

179 J. Muñiz Coello, Officium…, art. cit., p. 109.

180 EE, VIII, 217 (ILS, 6565).

181 Cette restitution est celle proposée par le volume VIII de l’Ephemeris epigraphica.

vraisemblablement, une évolution de carrière qui l’aurait amené d’un emploi inférieur vers un autre plus élevé. Cela sous-entendrait donc l’idée qu’il existait une hiérarchie dans les services et que, en l’espèce, l’accès à la situation de dispensator avait valeur de promotion. Si, à l’inverse, on considère que « eius » fait référence à l’affranchi M. Valerius Verna, il faut convenir que Ianuarius dépendait antérieurement de ce personnage et avait, par conséquent, le statut d’esclave privé. Cette hypothèse est celle retenue par A. Weiß182. Reste alors le problème de savoir comment Ianuarius avait pu passer du service de M. Valerius Verna à celui de la cité d’Asculum. L’historien allemand envisage que l’affranchi public avait pu soit léguer son esclave à la ville par testament, soit peut-être même en faire don de son vivant. Ces deux cas de figure paraissent tout à fait envisageables dans la mesure où ce type de transfert de propriété est bien attesté par ailleurs183. Néanmoins cela ne permet pas de comprendre pourquoi Ianuarius, en changeant de maître, avait aussi changé de qualification, passant de la fonction d’[arca]rius à celle de dispensator. Les ILS, en suggérant une autre restitution du texte épigraphique, permettent d’en donner une interprétation différente et peut-être aussi plus satisfaisante. H. Dessau propose en effet de faire de Ianuarius non pas l’[arca]rius de M.

Valerius Verna mais plutôt son [vica]rius -terme qui s’applique à un esclave appartenant à un autre esclave (l’ordinarius)184. Si l’on retient cette éventualité, le lien unissant Ianuarius et Verna remonterait donc à la période où ce dernier était encore un servus publicus d’Asculum.

Cela étant, seuls les esclaves qui bénéficiaient d’un certain pécule avaient les moyens d’acquérir un vicarius 185et, dans son ouvrage sur le sujet, H. Erman a insisté sur le fait que le vicariat s’est surtout développé auprès de ceux qu’il appelle les « esclaves supérieurs », les vilici, arcarii et dispensatores186. Dans ce cas, le rôle souvent assigné au vicarius était de seconder l’ordinarius voire même de le suppléer dans sa fonction. Cette situation offrait plusieurs avantages. D’une part, elle permettait d’abord à l’esclave ordinaire de se dégager en partie de sa charge et de disposer de temps pour, éventuellement, gérer ses propres affaires.

D’autre part, à terme, elle facilitait peut-être aussi son affranchissement car, à cette occasion, le vicarius était restitué au maître187 et représentait pour celui-ci la garantie d’une continuité de service assuré par un personnel instruit et formé dans ses bureaux. L’importance et le fonctionnement de ces relations entre les dispensatores et leurs vicarii ont, du reste, été

182 A. Weiß, Sklave …, op. cit., p. 45

183 On rappellera seulement les nombreux transferts d’esclaves privés / publics constatés à Rome. cf. supra ch. 1.

184 H. Erman, Servus vicarius. L’esclave de l’esclave romain, Lausanne, 1896.

185 Cf. infra ch. 5.

186 Ibid., p. 436.

187 Le vicarius faisant partie du pécule de l’esclave ordinaire, le maître pouvait demander qu’il lui soit rendu lors de la manumissio de l’ordinarius.

largement soulignés par J. Muñiz Coello188. Ils nous paraissent éclairer le sens à donner à l’inscription d’Asculum. Si l’on considère que Ianuarius fut bel et bien le vicarius de Verna, il est alors possible d’envisager qu’il l’a remplacé dans sa fonction lors de son affranchissement et qu’il est devenu, à ce moment-là, le nouveau dispensator de la colonie. La situation d’Asculum reste en tout cas très particulière puisque cette cité a livré, à elle seule, probablement trois exemples de dispensatores publici189 alors que le nombre total de ceux qui sont parvenus jusqu’à nous est relativement restreint (7). Cette singularité a été soulignée par F. Branchesi dans une communication récente. Selon elle, il ne s’agit pas d’un hasard : la cité du Picenum avait besoin d’un personnel administratif nombreux pour collecter et gérer des praedia qu’elle tirait de l’ager publicus190.

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