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4.1 Résultats principaux

a) Décision de prise en charge schizophrénie vs anorexie mentale

50 % des participants ont fait le choix de ne pas hospitaliser la patiente anorexique sous contrainte contre 12% pour ce qui est de la patiente schizophrène (figure 6).

Alors même que la patiente anorexique présente des critères d’hospitalisation temps plein élaborés par l’HAS (52) comme : la présence de malaises orthostatiques et un IMC< 14kg/m2 pour ce qui est des critères somatiques. Ainsi que des idéations obsédantes, intrusives et permanentes autour de l’alimentation et du poids, des conduites de purges intenses (laxatifs), peu de coopération et peu de motivation vis-à-vis des soins, pour ce qui est des critères psychiatriques. Enfin, elle présente également un isolement social sévère et un échec de traitement ambulatoire avec aggravation récente des symptômes et un probable épuisement familial pour ce qui est des critères environnementaux.

Ainsi, les soignants estiment que malgré l’indication d’une hospitalisation temps plein, son état psychique ne relève pas d’une hospitalisation sous contrainte. Le paradoxe de la prise en charge de l’anorexie mentale est alors mis en évidence : il s’agit d’une pathologie mentale responsable de complications somatiques qui alertent le soignant et le font décider d’une hospitalisation pour prendre en charge ces complications. Mais ce n’est pas la pathologie mentale en elle-même qui pousse le soignant à faire hospitaliser la patiente dans un service de psychiatrie.

Il s’agit ici de se poser la question de la capacité à consentir aux soins pour ces patients souffrant d’anorexie mentale. Cela sera abordé un peu plus loin.

39 42 % des soignants participants à l’enquête estiment que la prise en charge immédiate de l’anorexie mentale relève d’une unité spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire. L’anorexie mentale relève donc du domaine de l’expert pour 42 % d’entre eux.

Ainsi, il est souligné ici le défaut de formation, le manque de connaissances et d’outils des secteurs de psychiatrie pour soigner l’anorexie mentale.

Enfin, ces résultats soulignent la position particulière de cette pathologie psychiatrique qui a une expression somatique. Où doit-elle être soignée ? Dans un service de renutrition ? Dans un service de psychiatrie ? Il est vrai que les unités spécialisées combinent ces deux prises en charges mais elles sont finalement assez rares sur le territoire français. La pathologie anorexique pointe le clivage existant entre prise en charge somatique et prise en charge psychiatrique, ce qui peut entrainer un rejet de toute part de ces patientes, les services de renutrition les renvoient vers la psychiatrie et les services de psychiatrie les renvoient vers des services somatiques.

Il en est de même pour les troubles somatoformes et les troubles conversifs, pour lesquels ce sont développés également des unités spécialisées.

Mais la création d’unités spécialisées est-elle toujours une réponse adaptée ? Ne renforce-t-elle pas le sentiment d’incompétence des soignants de secteur psychiatrique ?

b) Décision de prise en charge schizophrénie vs anorexie mentale, analyse en sous-groupes.

Pour ce qui est du cas de la patiente schizophrène, les participants semblent donner la même réponse quelque soit l’endroit où ils travaillent. La décision de prise en charge immédiate pour la patiente schizophrène ne divise pas les soignants entre eux.

En revanche pour ce qui est du cas de la patiente anorexique, les pédopsychiatres et les somaticiens se démarquent du reste du groupe. Les pédopsychiatres ont tendance à adresser d’avantage la patiente en centre expert que la moyenne du groupe. Ce qui pourrait s’expliquer par le fait que ces soignants ne font peu ou pas de mise sous contrainte de leurs patients dans leur pratique quotidienne. De plus, ils ont en général recours à des unités spécialisées pédopsychiatriques pour la prise en charge de l’anorexie mentale, unités dans lesquelles c’est l’accord parental qui permet d’hospitaliser les patients. On peut souligner ici un paradoxe : les pédopsychiatres iraient moins volontiers vers une mesure de soins sans consentement pour une anorexique adulte alors que l’accord parental, obligatoire pour l’hospitalisation d’un patient mineur, peut s’apparenter à un soin sous contrainte lorsque celui-ci la refuse.

Au contraire, les somaticiens ont tendance à davantage mettre la patiente sous contrainte par rapport à la moyenne du groupe. Cela pourrait s’expliquer par le fait que ces soignants ont moins connaissance des structures spécialisées psychiatriques de par leur pratique quotidienne. De plus on pourrait imaginer que se trouvant devant une pathologie psychiatrique ils auraient tendance à suivre les recommandations de l’HAS.

c) Ce qui rend nécessaire une hospitalisation temps plein

8,8 % des participants estiment que l’hospitalisation temps plein n’est pas nécessaire pour la patiente anorexique alors même que l’on trouve plusieurs critères d’indication à une hospitalisation temps plein d’après l’HAS dans le cas clinique (figure 8). Ces soignants estimant alors que la prise en charge de l’anorexie mentale doit se faire en ambulatoire. Ce

40 qui rejoint les deux autres résultats de cette question qui sont que l’argument « risque d’inobservance trop élevée en ambulatoire » est pris en compte par seulement 18,2 % des participants et que « la sévérité des troubles » n’est retenue que par 40,6 % des participants.

Ainsi, pour 81,2 % des participants il n’y aurait pas de risque d’inobservance en ambulatoire dans l’anorexie mentale contre 62,5 % pour ce qui est du cas de la patiente schizophrène.

Pourtant, si l’on considère la renutrition comme un traitement, on sait que celle-ci est difficile en ambulatoire, d’autant plus que la dénutrition est sévère comme dans ce cas clinique.

Enfin aucun des participants n’a retenu l’argument de l’hétéro-agressivité pour hospitaliser la patiente anorexique contre 7,2 % pour la patiente schizophrène. La patiente anorexique n’est ainsi pas considérée comme dangereuse pour autrui du fait de son trouble.

d) Ce qui rend nécessaire les soins sous contrainte

19,1 % des participants estiment que les soins sous contrainte ne sont pas nécessaires pour la patiente anorexique car 57,5 % estiment que les troubles mentaux de la patiente anorexique mentale ne rendent pas impossible le consentement (figure 9). Se pose une nouvelle fois ici la question de la capacité à consentir dans l’anorexie mentale que nous aborderons dans le chapitre 5.

4.2 Résultats secondaires

a) Dans quelle mesure le soin sous contrainte peut-il être défavorable ?

D’après les résultats de la figure 10, les soignants craignent davantage un vécu traumatique pour la patiente schizophrène que pour la patiente anorexique. Pour quelles raisons la patiente anorexique mentale vivrait-elle de manière moins traumatique l’hospitalisation sous contrainte que la patiente schizophrène ? Pourtant, pour 50 % d’entre eux, cette patiente ne relève pas d’une contrainte, on pourrait alors penser que cela serait d’autant plus traumatique ? Est-ce parce qu’ils sont 67,8 % à l’hospitaliser dans une unité spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire en ayant l’impression que cela serait moins traumatique qu’en secteur psychiatrique ? Ou alors estiment-ils au contraire que cette contrainte pourrait être bénéfique comme l’explique Philippe Jeammet : « La contrainte thérapeutique externe offre à l’appareil psychique du sujet une extraordinaire potentialité libératrice... Le danger et la peur redeviennent externes, offrant de nouvelles possibilités de représentation du conflit et permettant à l’appareil psychique de rejouer son rôle. » (53).

De plus, ces résultats montrent que le lien mère-fille serait plus altéré, selon les soignants, dans le cas de la patiente schizophrène que dans le cas de la patiente anorexique, lors d’une hospitalisation sous contrainte lorsque la mère signe le tiers. Cela est sans doute dû au fait que la patiente du cas n°1 présente des propos délirants avec un syndrome persécutif, laissant penser qu’elle pourrait se sentir persécutée par sa mère.

Enfin, ces résultats soulignent l’idée que les soignants estiment qu’une hospitalisation sous contrainte pourrait entraîner une absence d’implication et de motivation dans les soins pour la patiente anorexique, ce qui n’est pas retrouvé pour la patiente schizophrène. On voit ici que l’anorexie mentale est ainsi associée à une pathologie addictive. Car la prise en charge des addictions s’appuie de préférence sur des principes motivationnels, en ambulatoire ou en hospitalisation libre (54) (55).

41 b) Quel est le meilleur endroit adapté pour une prise en charge à long terme ? De ces résultats, il se dégage principalement que les soignants estiment que le CMP est l’endroit le plus adapté pour la prise en charge à long terme de la patiente souffrant de schizophrénie (figure 11 et tableau VIII).

En revanche, pour la patiente souffrant d’anorexie mentale, ils estiment que c’est le centre expert TCA qui est l’endroit le plus adapté (figure 11 et tableau VIII).

Ces résultats rejoignent ce qui avait été montré précédemment concernant la décision de prise en charge immédiate. Pour 79,8 % des participants de l’enquête, la prise en charge de l’anorexie mentale relève du domaine de l’expert. Ainsi, il est souligné une nouvelle fois ici que les secteurs de psychiatrie sont jugés insuffisamment compétents pour soigner l’anorexie mentale.

4.3 L’anorexie mentale en tant que conduite addictive

a) Définition d’une addiction, en quoi l’anorexie mentale en serait une ?

Les addictions, définies par les critères de Goodman (56), désignent le rapport pathologique d’un patient à un comportement, et notamment la consommation de substances psychoactives.

Dans le livre Anorexie, boulimie, Nouveaux concepts, nouvelles approches des Cahiers de Sainte Anne coordonné par le Dr Criquillon (57), les troubles du comportement alimentaire semblent remplir les conditions d’une addiction comportementale (58). En effet, ceux-ci s’organisent autour de comportements réalisés dans le but : de produire une satisfaction, de faire disparaître un mal-être, et de maintenir ces comportements malgré l’existence objective d’effets délétères. Il existe chez ces patients une réelle incapacité à contrôler ce comportement puisque tout est mis en œuvre pour le maintenir en dépit des conséquences néfastes. On peut facilement alors associer la boulimie, l’anorexie-boulimie et les compulsions alimentaires à des addictions mais qu’en est-il de l’anorexie mentale restrictive pure ? La dépendance semble se faire au manque de nourriture (à la privation), à la perte de poids et à l’hyperinvestissement physique ou professionnel. Et en particulier l’hyperactivité physique, notamment post prandiale. On retrouve également chez ces patientes une sensation de puissance alimentée par le jeûne et/ou l’hyperactivité physique, un besoin de poursuivre ce comportement que rien ne peut entraver, un malaise physique à la reprise de l’alimentation, une sensation d’épuisement ou un état dépressif à l’abandon du jeûne et de l’hyperactivité, l’isolement social qui peut apparaitre après plusieurs années de maladie. Bergh et al (59) décrivent ainsi l’anorexique dans un état d’élation et de bien-être physique malgré la dénutrition. Ils parlent d’ « orgasme de la faim » ; qui serait associé à une sécrétion d’endorphines (59).

En effet dans une étude récente, Clarke et al (60) ont démontré qu’on retrouvait dans l’anorexie mentale un plaisir de maigrir (et non une peur de grossir), impliquant ainsi des circuits neuronaux de récompense plutôt que d’évitement phobique.

De plus, on retrouve des voies neurobiologiques communes entre les troubles du comportement alimentaires et les addictions. L’effet de récompense passe par les régions cérébrales de l’amygdale, de l’insula, du striatum, du noyau accumbens et de l’aire tegmentale ventrale via les neurotransmetteurs dopaminergiques, opioïdes et cannabinoïdes. Ainsi, il a été

42 mis en évidence dans le liquide céphalorachidien des patientes anorexiques malades (mais aussi en rémission), en comparaison à des sujets contrôles, une diminution des métabolites de la dopamine qui est le principal neurotransmetteur de la récompense et de la motivation. Par ailleurs, on a retrouvé une augmentation de la fixation des récepteurs dopaminergiques D2 et D3 du striatum ventral chez les patientes anorexiques mentales en rémission par rapport aux contrôles.

On a démontré plus récemment que l’interaction directe et physique entre le récepteur dopaminergique D2 et celui de la ghréline dans les neurones de l’hypothalamus était nécessaire et suffisante pour induire la prise alimentaire dans un modèle murin (61). Une interaction entre le récepteur dopaminergique D2 et celui de la ghréline a également été identifiée dans les neurones du striatum, mais son effet biologique reste à démontrer.

b) Addictions et soins sans consentement

Les soins en addictologie se basent habituellement sur la motivation du patient, les soins sous contrainte étant largement controversés. En effet, il s’agit d’un trouble chronique dont la prise en charge psychiatrique n’est pas une urgence la plupart du temps.

Ils ne seraient pour certains « ni éthiques, ni efficaces »(62). Les risques non-négligeables de dérives vers des attitudes hygiénistes ou punitives voire maltraitantes, au nom du « bien du patient et de la société » sont notamment pointés du doigt.

Cependant, l’addiction peut conduire à des mises en danger de la personne elle-même (conduites à risques, équivalents suicidaires) ou d’autrui (conduite automobile sous l’emprise de produits par exemple). Certains produits peuvent entraîner des troubles aigus du comportement et au long cours provoquer une altération des processus psychiques (63), même en dehors de pathologies psychiatriques associées. Le déni, parfois présent, peut être considéré comme un trouble du jugement.

On voit alors que les hospitalisations sans consentement peuvent être utilisées comme recours pour les patients addicts lorsqu’ils sont opposés aux soins. Cette pratique pose toutefois des questions éthiques autour du caractère urgent des mises en danger et des bénéfices attendus de l’hospitalisation.

Ainsi, les soins sous contrainte restent rarement préconisés dans la prise en charge des addictions. Ils restent une indication de derniers recours, en cas de risque vital. Tout comme pour l’anorexie mentale.

En effet, dans l’anorexie comme dans les addictions, l’idée d’un traitement sous contrainte part du présupposé que l’addiction est un trouble mental. Or si la composante psychique est indéniable, les symptômes motivant la prise en charge urgente de ces pathologies sont le plus souvent somatiques : syndrome de sevrage, surdosage, dénutrition sévère. Ces soins somatiques sont ainsi les premières préoccupations des soignants, bien avant celles de la psychothérapie et de l’éventuelle prescription de psychotropes. Il s’agit là d’un paradoxe : le caractère psychosomatique des addictions nous amène, sous couvert de soins psychiques, à prendre d’abord soin du corps des patients.

Néanmoins, si l’on s’en tient à la définition étymologique du terme, « autonomie » (du grec autos : « soi » et nomos « la loi, le gouvernement ») est en opposition directe avec « addiction

» (du latin addictus, esclave). De ce point de vue-là, la dépendance étant considérée comme une servitude, la conscience ne pourrait être libre et éclairée. Un soin réalisé sans

43 consentement, apparemment en contradiction avec le principe d’autonomie, pourrait donc aller au contraire dans le sens de plus de liberté et d’autonomie (11).

4.4 Résultats du QCM

Les participants identifient bien l’anorexie mentale comme étant la pathologie psychiatrique la plus mortelle chez la femme, qu’ils mettent à égalité avec les troubles de l’humeur.

En revanche, ils ne l’identifient pas comme la plus suicidogène et pourtant il s’agit bien selon l’INSERM de la pathologie psychiatrique présentant le plus haut taux de suicide (64).

Les participants identifient en majorité la contrainte comme nécessaire dans le cas de l’anorexie mentale en cas de risque vital et en cas d’altération du jugement. Le déni des troubles est pris en compte par seulement 39,5 % des participants. Pourtant c’est bien souvent le déni des troubles qui entrave le consentement aux soins.

Enfin, si la présence de troubles du jugement fait l’unanimité pour la patiente schizophrène du cas n°1, pour ce qui est de la patiente anorexique, 12,1 % des participants estiment qu’elle n’en présente pas. Alors qu’ils sont 90,1 % à penser que la dénutrition peut entraîner des troubles du jugement.

Ces résultats soulignent une nouvelle fois la question de la capacité à consentir pour la patiente anorexique.

4.5 Limites et biais de cette enquête a) Les biais

On note un biais de sélection à type de biais de recrutement. En effet, ceux qui ont répondu à l’enquête étaient peut-être déjà sensibilisés ou montraient un intérêt particulier vis-à-vis de la question puisqu’ils ont décidé de répondre au questionnaire. Autre biais de recrutement, les internes en psychiatrie représentent la catégorie la plus importante des participants, ce qui correspond à une population jeune et alerte vis-à-vis des recommandations actuelles. Cela n’est peut-être pas le cas de l’ensemble des praticiens.

De plus nous avons utilisé Twitter pour recruter des médecins généralistes, là encore il s’agit d’un biais de recrutement car ces participants-là sont jeunes, impliqués dans les soins avec un rapport au patient quelque peu différent que l’on pourrait qualifier d’« anti patriarcal ».

Enfin, on note un biais de confusion étant donné que l’on se base sur deux cas cliniques particuliers présentant une symptomatologie aigue et relativement récente, il est difficile de généraliser sur la conduite des soignants dans la prise en charge de l’anorexie mentale en général.

b) Les limites

Le test exact de Fisher montre bien ici l’indépendance de la répartition des réponses vis-à-vis de la pathologie mais on utilise mal le fait que ce sont les mêmes observateurs qui ont répondu aux deux cas cliniques.

Un modèle linéaire généralisé avec régression logistique aurait été un test plus complet mais il aurait été plus difficile à mettre en œuvre.

44 Certains sigles et structures (CMP et ASPDT) étaient méconnus de certains participants, ce qui a nécessité d’expliciter les acronymes sur le questionnaire 24 heures après avoir débuté la diffusion de celui-ci. Durant les premières vingt-quatre heures, les réponses des participants ont ainsi pu être biaisées dans les cas où certaines propositions de réponses leur étaient difficilement compréhensibles.

De plus, nous avons utilisé des questions fermées afin que les données soient plus faciles à traiter ce qui implique que les participants n’ont pas pu répondre autre chose dans les cas où ils n’étaient pas d’accord avec les propositions.

Par ailleurs, lorsque les participants pouvaient choisir plusieurs réponses, il aurait été intéressant qu’ils aient la possibilité de faire un choix par ordre de priorité concernant les lieux de prise en charge notamment. Là encore le modèle statistique aurait été plus difficile à mettre en œuvre.

De plus, nous pouvons constater que les réponses du QCM sont influencées par les cas cliniques réalisés juste avant. En effet, 57,5 % des participants estiment que les troubles mentaux de la patiente anorexique mentale ne rendent pas impossible le consentement alors qu’ils sont 87,9 % à répondre dans le QCM que cette patiente présente des troubles du jugement.

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