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2 / Problématique et hypothèses Les questionnements généraux sous-jacents à cette étude sont les suivants : peut-on

5/ Discussion 5.1 Les apports de l’étude

Il n’est pas rare que les méthodologies qualitatives soient dévaluées par rapport aux

méthodologies quantitatives, qualifiées de moins scientifiques et moins rigoureuses.

Pourtant les résultats issus de cette étude nous ont paru d’une grande richesse, et

l’entretien semi-directif un outil d’une grande sensibilité pour l’étude de l’environnement

architectural. Contrairement à la vision du mouvement moderne qui veut que l’architecte

« éduque » les habitants, nous constatons ici que les personnes sont capables de parler avec beaucoup de précision de leur expérience, de leurs usages, de la manière dont ils

s’installent dans l’espace, de la raison pour laquelle ils le font de cette manière, des qualités architecturales, etc. Leurs commentaires sont d’une grande importance et cela confirme

l’idée qu’il faut reconnaître l’expertise des usagers et les associer davantage au processus

Nous avions émis l’hypothèse que l’intervention architecturale modifierait de manière

positive la perception et la représentation des usagers, or il s’est avéré qu’il y a bien une

modification du champ lexical, l’augmentation de la fréquence d’apparition de notions telles que le confort, l’esthétique, et l’apparition d’un nouveau thème, celui des

préoccupations domestiques. Selon Besse (2013), ces préoccupations domestiques sont le

signe d’un habité. Il existe une distinction entre occuper un lieu et s’occuper d’un lieu.

« Habiter est un travail des mains. (…) S’occuper d’un lieu, c’est s’en soucier, s’en

préoccuper, le maintenir en bon état ». Ce maintien qui correspond à la recherche de la

permanence de l’environnement renvoie aux propos de Colette Eynard (2006) pour qui

habiter est le signe ou la preuve d’une certaine permanence de notre être psychique et

de notre statut social.

A l’exception d’une personne qui déteste littéralement le réaménagement, l’intervention a

« intensifié » le ressenti positif de l’espace. Très satisfaits, les résidents ont davantage parlé

de bien-être, l’ambiance « normale » à T0 est devenue agréable et harmonieuse en T1.

Leurs mots se sont diversifiés et la fréquence d’apparition des thèmes de cette dimension a

augmenté. Le thème « esthétique » quasi inexistant en T0 devient très important en T1 et

la notion de « beauté » apparaît. Cela nous renvoie aux propos d’Alain de Botton pour qui

« la beauté est la promesse du bonheur» (2009). La beauté n’était pas visée en tant que

telle dans les hypothèses de conception architecturale, le critère de choix esthétique était plutôt celui du caractère domestique. Il serait intéressant de mener une recherche sur les liens entre domesticité et beauté.

En ce qui concerne la dimension de l’usage de l’espace, comme nous l’avions constaté

dans le cadre des études 2 et 3, l’intervention architecturale a amélioré la fréquentation du

lieu par les résidents. Conformément aux hypothèses de conception, les témoignages

nous montrent que ce lieu initialement fonctionnel (lieu d’attente) est désormais support

d’usages variés, c’est un lieu pour « faire » mais aussi pour « être », ce qui renvoie aux

principes de l’architecture émotionnelle telle que développé par Luis Barragán (1980).

Sans avoir la prétention de comparer notre intervention à l’œuvre de cet architecte, nos

résultats abondent dans le sens des travaux de Nicolas Gilsoul (2009) qui a récolté des

récits de visiteurs qui ont visités plusieurs de ses œuvres. Les visiteurs ont évoqué l’absence

de bruit dans l’environnement architectural qui finit par devenir silence intérieur, ce qui

permet à « l’esprit de penser ». Selon Besse (2013), un lieu où l’on habite est un lieu « où je

peux me laisser être, dans une sorte de relâchement ou d’abandon à moi-même, au

temps et au monde ».

Les témoignages mettent en avant les différentes stratégies d’occupation offertes par l’aménagement comme nous l’avions supposé. Toujours selon Besse (2013), il faudrait

observer les façons dont « nous créons et disposons nos coins, et les façons dont nous

nous y retirons comme sous notre toit, dans une sorte de volonté de ralentissement ou de

retour à l’immobilité, qui nous paraît nécessaire à la possibilité d’une respiration ». Les

témoignages expriment bien cela et cette possibilité de « respiration » est ressentie par

l’évaluateur qui qualifie le lieu de «bouffée d’oxygène » au regard des propos tenus par

une résidente (Mme LANTH).

Autre point intéressant sur l’usage est l’aménagement du sas d’entrée avec l’installation de la console et du miroir. A T1, les résidents en parlent beaucoup et l’entrée qui n’était pas

En ce qui concerne les interactions sociales, après réaménagement, le lieu est décrit par

certains résidents comme le support d’interactions sociales et de nouvelles rencontres.

Cette augmentation des interactions sociales peut être liée à la position et la proximité des assises qui ont été déterminés selon les principes proxémiques de Hall (1971). Ce résultat

est cohérent avec les résultats de l’étude 2 et de l’étude 3.

En ce qui concerne la perception de l’espace, après réaménagement, les résidents se

demandent s’ils peuvent prendre, emprunter, toucher les objets, s’ils peuvent s’y installer, si

cela a coûté cher, etc. On sent à travers ces propos une sorte de respect ou de

« sanctuarisation » du lieu, ce qui n’était pas l’objectif recherché. Au contraire, nous

imaginions que les résidents se seraient sentis davantage en confiance et libres d’utiliser

l’environnement à leur guise. Le contraste avec le reste de l’établissement et sa localisation

au niveau de l’entrée renforce sans doute l’effet « vitrine » du lieu, ce qui contribuerait à

provoquer ce sentiment chez les résidents.

En ce qui concerne le rapport au handicap, nous constatons plusieurs choses. Tout

d’abord, il est clair que le salon d’entrée est un lieu qui permet aux personnes les plus

valides de fuir la dépendance et les craintes que cela génère chez eux. Le

réaménagement du lieu, avec plus de meubles et moins d’espace, a d’ailleurs contribué à

réduire sa fréquentation par les résidents en fauteuil roulant (cf. étude 3). L’accessibilité est

un incontournable dans ces établissement mais il est rarement pris en compte que

l’accessibilité des lieux génère un nouvel espacement, une distance plus grande entre les

gens et les meubles. Selon Besse (2013), l’habiter repose sur la juste distance entre les choses et les personnes, trop près c’est la promiscuité, trop loin c’est l’indifférence, l’oubli.

Une résidente explique son affection pour le lieu en disant « ici, c’est à ma dimension ».

Une autre évoque la dimension du canapé qui est sans doute profond mais dont elle, elle

peut se relever. Cela nous interroge sur la place des personnes valides (GIR 5 – 6) dans les

EHPAD et sur les opportunités qui leur sont offertes d’exercer leur autonomie

fonctionnelle. Les chaises sont ergonomiques, les escaliers sont derrière des portes

coupe-feu, les repas sont servis, le ménage est fait, etc. Trop d’accessibilité et d’assistance ne serait

-il pas à l’encontre des valeurs affichées par ces établissements, à savoir le maintien de

l’autonomie et des capacités des personnes ?

Autre point, le fait de réaliser des changements architecturaux a donné envie aux

résidents (puis à l’institution) d’en réaliser d’autres. Dans les deux établissements, cette étude a initié un processus de prise de conscience que le cadre bâti n’est pas immuable,

que non seulement il est possible d’avoir des attentes d’amélioration de ce côté-là et pas

uniquement au niveau de la qualité des repas ou des soins, mais qu’en plus, ce n’est pas forcément très coûteux et compliqué à mettre en œuvre.

Enfin, les témoignages de Mme CLAJA et de Mme LANTH devraient attirer l’attention des architectes à plus d’un titre. La première chose qui ressort est que le même espace, aussi

bien soit-il ne peut convenir à tout le monde car les valeurs et attentes de uns et des autres diffèrent en fonction de leur histoire de vie, de leur éducation, des codes de leur classe

sociale, de leur sensibilité, de leur goût, etc. Dans des lieux tels qu’une maison de retraite, amenée à recevoir des personnes d’horizons très variés, il est nécessaire de diversifier l’aménagement et les styles afin que chacun trouve sa place dans l’établissement quels

que soient ses goûts, ses valeurs, etc.

5.2 Les limites de l’étude

Nous percevons plusieurs limites à la présente étude. En premier lieu, la construction du questionnaire a été réalisée par un architecte sur la base des hypothèses de conception

architecturale du lieu. Il aurait été intéressant de croiser ce regard avec celui d’un

psychologue de manière à construire mieux le questionnaire en vue de faire ressortir notamment les représentations des usagers.

Ensuite, les entretiens ont été réalisés par le psychologue de l’établissement, ce qui

pourrait créer une autocensure chez les résidents par peur de « répression » de l’institution

ou d’être mal vu. Cependant, le contenu des entretiens montre que les personnes ont

parlé librement.

Enfin, l’analyse de contenu tout comme le traitement statistique ne fait pas partie des compétences classiques d’un architecte. L’encodage des données a été réalisé de manière

systématique mais intuitive. Il aurait été intéressant de confronter l’analyse de contenu en

confiant la mission d’encodage à plusieurs personnes indépendamment pour comparer et

assurer un encodage plus objectif.

5.3 Les perspectives de recherche

D’un point de vue général, cette étude ouvre des perspectives de recherche sur la prise

en compte du ressenti des usagers en fonction de caractéristiques architecturales d’un environnement. Retravailler ce questionnaire devrait permettre de disposer d’un outil

intéressant d’évaluation post-occupationnelle.

En ce qui concerne l’étude à proprement parlé, la première perspective concerne une

analyse croisée de ces entretiens avec le point de vue d’un(e) psychologue et d’un(e) gérontologue, qui n’a pu être réalisé dans le cadre de la thèse faute de temps. Les résultats

de ce travail devraient faire l’objet d’une publication rapidement.

Il serait également intéressant de dissocier l’analyse des résidents de l’établissement 1 de celle de l’établissement 2 et de les éclairer à partir des données sociodémographiques.

Cela permettrait de voir s’il existe une corrélation entre les caractéristiques des personnes

interrogées et leur réponse. Des études de cas individuelles approfondies permettraient

d’éclairer et de nuancer les résultats généraux obtenus.

«“One reason why modern architecture is such a failure is that people don’t try to

envisage to live with the product of their building, only what its capacity is for the

number of people who is assigned to it”

Roger SCRUTON, philosophe (2011)