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Du problème social à l’objet sociologique

Encadré 3 : Les cités de l'économie des grandeurs

III- Des dispositifs organisant l’ensemble des échanges

Les travaux sur lesquels nous allons nous appuyer à présent partagent de nombreux points d’accord avec les précédents : refus de considérer la qualité des produits comme intrinsèque au bien, prise en compte d’une pluralité d’ordres de préférences et de la difficulté qu’ont les consommateurs à connaître celles-ci. Leur principal déplacement réside dans le rejet d’une division des marchés entre des situations « normales » et d’autres, où les dispositifs deviennent nécessaires pour équiper les consommateurs et rendre l’échange possible. Les marchés concrets sont envisagés comme toujours socialement « encastrés », aussi bien par des réseaux sociaux, que par des règles formelles, des significations culturelles ou encore des dispositifs matériels (Le Velly, 2012). Ces objets sont donc analysés cette fois non pas comme remédiant à une situation problématique mais comme participant au fonctionnement normal de l’ensemble des échanges. La réflexion conduisant à une représentation indifférenciée des marchés sera présentée dans un premier temps, avant de décrire la place occupée dans ce cadre par les dispositifs qui nous intéressent. Un dernier temps sera consacré plus particulièrement à ceux de la consommation engagée.

A-En finir avec les incertitudes

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et la division des marchés

L'économie des singularités et l'économie des conventions affirment toutes deux une division des marchés. La première distingue les situations d’incertitude radicale sur la qualité des produits (les singularités, échangées sur les marchés-jugement) de celles d'absence d'incertitude (marchés-prix). L’économie des conventions quant à elle considère les cas où il y a incertitude sur le principe de qualité et ceux où il y a accord sur le principe de qualité. Un ensemble de recherches sur le fonctionnement des marchés s’intéresse à l’inverse à

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l’ensemble des marchés concrets, de manière indissociée. Ce retournement est en particulier affiché par l’économie des qualités, proposant d' « en finir avec les incertitudes » (Callon, 2002, p. 255), par l’étude du processus de qualification commun à l'ensemble des produits.

M. Callon indique qu’il existe deux traditions de pensée concernant l'incertitude. L'économie des singularités et l'économie des conventions se rattachent aux travaux d'Akerlof (1970) et Stiglitz (1987). Ces recherches partent d'un modèle dans lequel prime la concurrence. La présence d’incertitudes (sur la qualité ou sur les conventions) entrave le fonctionnement correct des marchés. Une autre tradition, remontant à l'ouvrage sur la concurrence monopolistique d’E. O. Chamberlin (1933) part d'un modèle où règnent des monopoles. Toute transaction implique l'individualisation préalable du bien, qui se retrouve en situation de monopole sur un marché. Dans ce modèle, le monopole est antérieur à la concurrence. Il n'y a pas lieu d'opposer marchés avec et sans incertitude, dans la mesure où tous sont construits à partir de produits différenciés. C’est à cette tradition que se rattache l’économie des qualités. Ces marchés attachent un vendeur à un client ou à une classe de clients individualisés. Il convient donc selon M. Callon, d'étudier non pas les jugements ou les préférences des consommateurs mais leurs attachements (Callon, 2002).

Ce courant de recherche ne sépare pas non plus coordination par les prix et coordination par les jugements. Valeur et prix sont indissociables : la valeur du bien est celle de la force de son attachement au « monde socio-technique » de son acquéreur (Callon, 2002). Il n'y a formation d'un prix que parce qu'il y a attachement.

Les dispositifs de qualité participent à ce processus à travers les dimensions que sont d’une part, la qualification et le calcul, et d’autre part, la captation.

B- Des dispositifs multidimensionnels

L’étude des dispositifs socio-techniques est devenue un enjeu central de compréhension de la construction sociale des marchés (Cochoy, 2002a, 2002b, 2006 ; Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000 ; Dubuisson-Quellier et Neuville, 2003 ; François, 2008 ; Le Velly, 2012). Soulignant la difficulté de délimiter avec précision les frontières des échanges marchands, ces recherches se sont parfois étendues aux dispositifs équipant les échanges dans leur ensemble (Dubuisson-Quellier et Neuville, 2003, Le Velly, 2012). Ces dispositifs

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participent à construire les échanges à travers trois dimensions souvent conjointes : la qualification, le calcul et la captation (Le Velly, 2012).

1) La qualification-requalification et le calcul

Les dispositifs matériels organisant les échanges se caractérisent par leurs dimensions de qualification et de calcul. La première renvoie à la capacité conférée aux consommateurs de qualifier et juger les marchandises. Le calcul (Callon et Muniesia, 2003) correspond au fait que les dispositifs comptables, de mesure ou encore de détermination des prix, opèrent des choix entre plusieurs modes de calcul possibles. Ils créent ainsi la réalité économique plus qu’ils ne la reflètent (Le Velly, 2012).

La capacité des dispositifs à contribuer à la qualification des biens est soulignée par différents travaux. Dans la lignée de l’économie des conventions, certains mettent au jour la capacité des certifications ou des appellations (AOC, AOP…) à charrier des conceptions concurrentes de la qualité. C’est ce que souligne en particulier une recherche sur un collectif de mytiliculteurs confrontés à la normalisation de leurs produits pour raisons sanitaires par une directive européenne (Dubuisson-Quellier, 2003). Fournissant un nouveau cadre pour les acteurs du marché, la législation européenne ne prend en compte qu’une définition sanitaire de la qualité. Un ensemble de professionnels souhaitent à l’inverse mettre en avant la spécificité du mode et du lieu de production, ou encore le goût du produit. Une appellation traditionnelle est protégée sous forme de marque collective pour différencier les produits. Une définition alternative de la qualité est ainsi proposée.

La qualification du bien et l'échange sont interdépendants. Alors que pour l'économie des conventions l'évaluation du bien précède sa valorisation lors de l'échange, pour l'économie des qualités ces deux processus sont imbriqués et présents tout au long du processus de qualification. F. Vatin (2009) propose de les regrouper sous le terme de valuation.

L'accent mis sur le processus de qualification-requalification des biens amène à distinguer biens et produits. La notion de bien renvoie à un certain degré de stabilisation des caractéristiques, tandis que celle de produit envisage celui ci d'un point de vue dynamique, tout au long des étapes de sa fabrication, de sa circulation et de sa consommation. De manière similaire, le terme de « qualités » est préféré à celui de « caractéristiques », de façon à mettre en valeur les métamorphoses de ces dernières lors du processus de qualification. Si l'économie standard envisage les caractéristiques des biens comme intrinsèques, l'économie des qualités

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affirme leur double nature intrinsèque (le résultat du travail de qualification dépend du bien lui même) et extrinsèque (le travail de qualification est influencé par le dispositif employé et les agents). De même, l'accord sur les qualités est difficile à réaliser : leur liste peut être controversée ainsi que la valeur à donner à chacune d'entre elles (Callon, 2000).

La recherche de T. Escala sur l’agneau fermier label rouge illustre les implications de cette approche quant à l'étude d’un dispositif de qualité (Escala, 2006, 2009). L’analyse des actes d’évaluation et de qualification de ce produit met en évidence l’ensemble de la « chaîne de valeur » aboutissant à un prix. L’auteur distingue deux principes d’évaluation des carcasses : le premier, tourné vers l’amont, attribue une valeur qui se répercute sur les revenus des éleveurs, le second, tourné vers l’aval, repose sur une singularisation des carcasses en fonction des attentes des consommateurs finaux. L’observation dément la représentation d’un prix de marché résultant de la confrontation d’une offre et d’une demande, au profit de l’agrégation d’une pluralité d’évaluations par de multiples acteurs, tout au long de la mise en marché. Le travail de qualification du produit par les différents opérateurs tout au long de la chaîne est désigné comme « qualification distribuée ». Le label n'intervient pas au terme d'un processus pour révéler une information pré-existante. La perspective d'apposition de ce dispositif influe au contraire sur le processus d'évaluation-valorisation du produit. Elle contribue à rendre conformes non seulement le produit (l’agneau fermier) mais également le producteur (adhésion à une organisation de producteurs, mode de production…).

2) La captation et l’attachement-détachement

La captation constitue la troisième dimension des dispositifs organisant les échanges (Cochoy, 2004). Il s’agit du fait d’attirer (et si possible de garder) un public qu’on ne contrôle pas, en jouant sur ses dispositions. (Cochoy, 2006). Les réseaux sociaux dans lesquels est pris le consommateur et au sein desquels les goûts sont élaborés et discutés, constitue l’un des mécanismes mobilisés pour capter et attacher les consommateurs. Le même effet peut être atteint par les dispositifs sociotechniques qui situent les produits relativement les uns par rapport aux autres (un emplacement dans un magasin, un emballage particulier, mais également un signe de qualité) (F. Cochoy, 2002a, 2002b).

Pour l’économie des qualités en particulier, tous les marchés s'organisent autour de deux dynamiques que sont la singularisation des biens et l'attachement des consommateurs à ces derniers. La compétition des entreprises porte sur l'attachement-détachement des

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acheteurs : l'objectif de chacune est de s'attacher le consommateur en le détachant des réseaux construits par les concurrents. Il s'agit pour cela de le conduire à requalifier le produit.

Deux attitudes peuvent être distinguées. Le consommateur attaché est pris dans ses routines; ses évaluations sont stabilisées. Le consommateur engagé dans des procédures de requalification hésite quant au produit à choisir. Le basculement de l’acheteur routinisé au calculateur est provoqué par les tentatives de déstabilisation des professionnels de l'offre. Le consommateur parait amené de plus en plus souvent à s’interroger sur ses préférences et d'une certaine manière, à travers cette question, sur son identité sociale. L'économie des qualités semble étroitement liée à la montée en puissance de cette activité réflexive. Les «activités de service » correspondent de façon croissante d’après M. Callon, à des formes d'organisation des marchés dans lesquelles la qualification des produits constitue la préoccupation principale (Callon, 2000).

Permettant de distinguer un produit de ceux qui n’en possèdent pas, les labels et logos de qualité sont envisagés dans cette perspective comme des dispositifs contribuant à la captation (ou à l’attachement-détachement) des acheteurs et à la concurrence entre produits (Cochoy, 2004 ; Le Velly, 2012 ; Karpik, 2003). Le fait d’agir activement pour capturer des clients (comme le fait un guide touristique par exemple, ou un label AOC) constitue l’une de leurs trois fonctions selon L. Karpik (2003), aux côtés de la transmission d’information et de la recherche de la confiance des consommateurs. La mobilisation de dispositifs d’équipement des consommateurs substitue à l’incertitude face au choix des produits, celle face au choix du dispositif auquel se fier.

Si certains dispositifs orientent le consommateur vers un type de produit particulier (tels les labels « équitable » ou « biologique »), d’autres adoptent à l’inverse une vision surplombante comparant les produits selon différentes utilisations possibles. C’est le cas des revues consuméristes en particulier (Mallard, 2000). Celles-ci ont pour effet de dissocier le moment de la formation du choix de celui de l’achat. Elles désengagent le consommateur des produits achetés habituellement en lui proposant une comparaison entre plusieurs items.

3) La construction des acteurs de l’échange

Les dispositifs socio-techniques contribuent enfin à la construction des acteurs de l’échange : consommateurs, vendeurs ou encore producteurs. Dans le cas de la restauration collective, une recherche a permis de montrer comment le prestataire de service parvient à

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équiper les personnes venant se restaurer de façon à leur permettre d’influer sur l’offre. La réalisation d’enquêtes auprès des personnes fréquentant le lieu, ainsi que leur représentation au sein d’une commission de restaurant, sont identifiées comme dispositifs favorisant l’émergence de consommateurs (Dubuisson-Quellier, 2009b).

Un travail symétrique a été mené pour dévoiler le processus d’objectivation du producteur, à partir de l’analyse d’une filière de production d’agneaux fermiers label rouge (Escala, 2006). Pour obtenir ce signe de qualité, le producteur doit appartenir à une organisation professionnelle, signer un cahier des charges qui l’engage à respecter des contraintes de race, d’alimentation et d’hébergement, et accepter de recevoir des contrôles. Un important travail de formalisation lui est demandé pour assurer la traçabilité. L’éleveur engage l’intégralité de l’élevage dans ce mode de production. L’adoption d’un label rouge participe ainsi à la création d’une « figure du producteur », qui constitue un attribut du produit.

L’interprétation des dispositifs cadrant les échanges en termes de transmission informationnelle factuelle (concernant une qualité pré-existante) cède donc la place à une vision privilégiant leur capacité à construire l’ensemble des échanges économiques et sociaux. Celle-ci passe par les dimensions de ces outils que sont la qualification, le calcul, la captation ainsi que la construction des acteurs de l’échange.

C- Les dispositifs de la consommation engagée

Par leur contribution à la construction sociale des marchés et des échanges au sens large, les dispositifs sociotechniques ont une influence à la fois sur la qualification du produit et sur la perception qu’en ont les consommateurs. L’utilisation de tels outils dans le but de promouvoir des modes de production particuliers au détriment d’autres jugés critiquables s’inscrit dans l’ensemble des pratiques dites de « consommation engagée » (Dubuisson-Quellier, 2009). Celles-ci renvoient à l’idée que les consommateurs peuvent poursuivre un engagement politique en refusant certains produits (boycott), en en privilégiant d’autres (« buycott ») ou en modifiant certaines pratiques de consommation (tri des emballages par exemple) (Le Velly, 2011). Ces actions peuvent également être désignées sous les termes de « consumérisme politique ». Les dispositifs de qualité de l’économie solidaire relèvent de

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l’étude des instruments de la consommation engagée. Les travaux menés dans ce domaine nous intéressent donc particulièrement.

Dans les cas vus précédemment, l’objectif visé par la mobilisation des dispositifs (même s’il comporte parfois une recherche de modification de la définition de la qualité en vigueur) ne dépasse pas le cadre de l’échange. Les travaux qui vont être à présent exposés révèlent à l’inverse, des objectifs dépassant le cadre des échanges. La poursuite d’objectifs politiques par la mobilisation de mécanismes marchands n’est pas un phénomène récent, comme on le verra tout d’abord, avant de montrer qu’elle évolue en fonction des enjeux poursuivis. On s’interrogera enfin sur l’efficacité potentielle de ces usages.

1) Des usages anciens

La politisation du marché n’est pas nouvelle. Les exemples de pratiques de consommation encourageant l’engagement citoyen remontent au XVIIIe siècle. F. Trentmann (2008) cite parmi eux le boycott du sucre produit par les esclaves, par des consommateurs d’Europe et des Etats-Unis entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle. A la fin du XIXe siècle, le boycott des tramways « Jim Crow » s’organise également dans plusieurs villes du sud des Etats-Unis pour protester contre la ségrégation (Glickman, 2004). L’usage à des fins politiques de dispositifs tels que les labels ou les logos intervient à la même époque.

Après la guerre de Sécession aux Etats-Unis, les organisations syndicales mettent en place un label pour promouvoir les produits fabriqués par des ouvriers syndiqués. Les consommateurs sont ainsi invités à exprimer leur solidarité avec ces travailleurs revendiquant de meilleures conditions de travail (des journées de travail moins longues en particulier) et de meilleurs salaires. Les consommateurs sont envisagés comme les « employeurs » des ouvriers fabriquant les produits achetés (Glickman, 2004). Développé tout d’abord dans l’industrie du cigare, le label se répand ensuite chez les fabricants de boîtes métalliques et les chapeliers jusqu’à gagner une grande diversité de professions. En 1908, soixante-huit des cent dix-sept syndicats nationaux adhérant à l’American Federation of Labor utilisent le label syndical. Au début du XXe siècle en France, plusieurs secteurs dont celui du livre ont également adopté ce label (Le Crom, 2011). Apposé sur les journaux et les ouvrages, le label signifie que les employeurs paient le tarif syndical, emploient des ouvriers syndiqués et respectent les lois sur l’hygiène et la sécurité.

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Les ligues d’acheteurs qui se développent dans la foulée reprennent ces différents modes d’action, dont les labels. La première, « Consumers’League », s’organise en Angleterre entre 1887 et 1890 (Chessel, 2004). Celle de New York naît en 1891 avant que d’autres ne se développent dans différentes villes des Etats-Unis, puis en Europe. La « National Consumers’League » (NCL) est fondée aux Etats-Unis en 189936. Ces associations proposent d’autres moyens d’action politique que ceux proposés par les partis ou les syndicats. Un de leurs objectifs est de rendre visibles les conditions dans lesquelles sont fabriqués les produits de consommation. Ces ligues rédigent pour cela des « listes blanches » de magasins jugés « corrects », de façon à contourner l’interdiction d’appel au boycott. A l’arrivée de Florence Kelley à la tête de la NCL, une autodidacte spécialisée dans le droit du travail des femmes et des enfants, ces listes sont remplacées par des labels, permettant de distinguer les biens jugés acceptables des autres. La « Ligue sociale d’acheteurs » (LSA) est créée en France en 1902 par des femmes de la haute bourgeoisie et de la noblesse, puis rapidement soutenue par des membres du catholicisme social puis des mouvements chrétiens plus largement (incluant des protestants). La ligue affiche néanmoins dans ses statuts être ni confessionnelle, ni politique.

Si les outils employés (boycotts, labels) ne sont pas inédits, la nouveauté de ces ligues réside dans le fait que leurs membres visent avant tout à aider les ouvriers et non à défendre leurs propres intérêts. Les labels ne sont pas envisagés comme de simples vecteurs d’information : élaborés par des « experts », ces outils transmettent à des consommateurs estimés ignorants, un jugement sur la moralité supposée de leurs comportements d’achat. La NCL se considère comme un « mouvement d’éducation » (Chessel, 2004, p. 32) ayant pour devoir de « réveiller » les consommateurs (idem, p. 38).

2) Répondre à de nouveaux enjeux

Si la mobilisation de labels ou de logos à des fins politiques n’est pas récente, les enjeux portés évoluent tout au long du XXe siècle. Différentes initiatives émergent dans le domaine de la protection de l’environnement. L’agriculture biologique naît d’une protestation

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à l’encontre de l’agriculture intensive qui se met en place dans les années 1950-196037. Les premiers labels écologiques se développent à la fin des années 1970 à l’initiative des pouvoirs publics (Dubuisson-Quellier, 2009a). Le label « Blue Angel » est lancé en 1977 par l’Agence fédérale de l’environnement allemande, de même que la marque « NF-environnement », créée par l’Agence française de normalisation en 1991 (Cochoy, 2000). Des démarches privées se déploient en parallèle, initiées par des entreprises ou des associations militantes. C’est le cas de la marque Green Seal créée en 1989 aux Etats-Unis ou de Déméter en Suisse, Allemagne et Autriche. Une deuxième génération d’éco-labels émerge dans les années 1990 de partenariats entre divers acteurs tels que des industriels, exportateurs, distributeurs et militants, souvent soutenus par les pouvoirs publics (Dubuisson-Quellier, 2009a). Certains acquièrent une portée internationale, tels que le FSC (Forest Stewardship Council) créé en 1993 pour la certification de la forêt, ou le MSC (Marine Stewardship Council) élaboré en 1996 pour la pêche (Boström et Klintman, 2008). Des initiatives se multiplient également autour de la dénonciation des injustices économiques et sociales, dans la lignée des premiers labels du XIXe siècle. C’est dans cette dynamique que s’inscrivent les mouvements de commerce équitable apparus à partir des années 197038.

3) Les supports d’un nouveau mode d’engagement politique ?

D’après l’enquête menée par le CREDOC en 2006 sur les pratiques et représentations de la consommation engagée, 44 % des Français disent tenir compte des engagements de citoyenneté des entreprises quand ils achètent un produit. Parmi eux 61% sont prêts à payer un supplément allant jusqu'à 5% du prix du produit. Il semblerait donc que la consommation ait un véritable potentiel d’action politique, en dépit du décalage existant inévitablement entre déclarations et pratiques (Dubuisson-Quellier, 2009a).

Pour la politiste M. Micheletti, l’usage de labels ou de logos dans un but de consommation engagée (à distinguer de simples pratiques de consommation pouvant également s’appuyer sur des signes de qualité) traduit une façon particulière de faire de la politique. Le développement de ces pratiques répondrait au fait que les citoyens se détournent

37 L’histoire de l’agriculture biologique et de ses dispositifs socio-techniques sera exposée plus en détail dans le chapitre 3.

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des formes traditionnelles de la politique au profit de types d’engagements « moins chronophages, bureaucratiques et hiérarchiques » (Micheletti, 2011, p. 29). Plus souples, ces formes d’implication permettraient de dépasser la vision d’A. O. Hirschman (1982) d’une