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a limité son étude à la phase gazeuse par le passé. Toutefois, il existe maintenant des procédures au large champ d’application pour prédire les enthalpies de vaporisation et de sublimation à partir des potentiels électrostatiques calculés sur les surfaces moléculaires (voir en section 5.4).

D’une façon similaire, il est possible de déterminer l’enthalpie de formation du composé d’intérêt en considérant la variation ΔH non plus lors de sa formation, mais lors de son atomisation, c’est-à-dire sa séparation en phase gazeuse en ses différents atomes. Pour le TNT, cela correspond à la réaction 5.7 :

NO2 NO2 CH3 N O2 (g) 7C (g) + 5H (g) + 3N (g) + 6O (g) (5.7)

Cette variation d’enthalpie ΔH doit être combinée avec les enthalpies de dissocia-tion expérimentales de H2(g), N2(g), O2 (g) et l’enthalpie de sublimation du graphite — disponibles dans la littérature — pour conduire à la valeur négative de l’enthalpie de formation du TNT.

Utiliser une réaction de formation ou d’atomisation pour déterminer ΔHf est par-faitement rigoureux et bien défini, puisqu’il n’y a rien d’arbitraire dans leur choix ; en effet, il n’existe qu’une seule réaction de formation et une seule réaction d’atomisation possibles pour chaque composé. En contrepartie, obtenir des résultats précis avec de telles procédures n’est pas aussi aisé, car les réactifs et les produits sont le plus souvent très différents, tout comme leurs énergies de corrélation électroniques. Dans la réac-tion (5.6) par exemple, un atome d’azote neutre impliqué dans une liaison triple est transformé en atome d’azote possédant une charge formelle positive et participant à trois liaisons, dont la polarité et le caractère de double liaison sont différents. Ce genre d’observations est extensible aux autres atomes. Prendre en compte correctement ces changements de l’énergie de corrélation requiert l’utilisation de méthodes de calcul à un haut niveau de théorie, nécessitant beaucoup de ressources matérielles (vitesse de calcul, mémoire, espace disque, etc.). Ceci est illustré par les travaux de Schlegel et Skancke [93], qui ont utilisé des réactions de formation et d’atomisation pour déterminer les ΔHf de NH2, NH3 et N2H4. Avec la méthode Hartree-Fock, qui ne tient pas compte de la corrélation, les résultats sont très mauvais : l’erreur moyenne absolue est de 70 kcal/mol. Une certaine amélioration — 35 kcal/mol — est obtenue en incluant le terme correctif de plus bas niveau (ordre 2) de la théorie de la pertur-bation de Møller-Plesset (MP2). Par contre, la méthode hautement corrélée G2 permet d’abaisser l’erreur moyenne absolue à seulement 1,3 kcal/mol.

Chapitre 5 Modélisation

5.3.2 Réactions isodesmiques et apparentées

L’utilisation de méthodes hautement corrélées n’est pas toujours possible, en parti-culier quand le composé considéré est trop volumineux, même si cette barrière fictive est continuellement revue à la hausse au fil de l’évolution des moyens informatiques. Une approche indirecte pour traiter le problème de la corrélation consiste à inclure le composé d’intérêt dans une réaction — là encore, souvent hypothétique — où les réactifs et les produits sont similaires en terme d’un ou de plusieurs facteurs électro-niques et structuraux, par exemple : le nombre de paires électroélectro-niques, les types de liaisons, les environnements des atomes, etc. L’objectif de cette technique est d’an-nuler les erreurs dans les calculs, puisqu’elles sont alors similaires pour les réactifs et les produits. L’enthalpie de formation du composé cible peut alors être déterminée si celles des autres espèces mises en jeu dans la réaction sont connues. Il existe plusieurs catégories de ce genre de réactions : isogyriques, qui conservent le nombre de paires d’électrons, isodesmiques, qui conservent en plus le nombre de liaisons de chaque type et homodesmiques, qui étendent cela au nombre d’atomes avec leurs voisins. Pour le TNT, la réaction homodesmique suivante pourrait servir à calculer sa ΔHf :

CH3 + 3 NO2 NO2 NO2 CH3 N O2 + 3 (5.8)

Sur le principe, déterminer des enthalpies de formation par cette approche est aussi rigoureux que d’utiliser des réactions de formation ou d’atomisation, bien que le choix de la réaction soit arbitraire. Toutefois, il peut être difficile de trouver une réaction rai-sonnable, et dans les cas où plusieurs sont envisageables, la compensation des erreurs est généralement différente pour chacune d’elles. Au moment de faire un choix, il faut veiller à ce que les valeurs expérimentales des espèces, autres que le composé d’intérêt, soient connues avec une bonne précision car celle du résultat ne peut excéder la moins précise des valeurs expérimentales utilisées. Une manière d’éviter les choix arbitraires est d’utiliser des réactions isodesmiques « par séparation de liaison »14, qui impliquent la séparation du composé considéré en espèces plus petites et les plus simples possibles possédant chacune un type formel de liaison — simple, double ou triple — entre deux atomes différents de l’hydrogène. Par exemple, pour la monométhylhydrazine (MMH), la réaction 5.9 est utilisable :

H3C H N

NH2 + NH3 H3C NH2 + H2N NH2 (5.9)

L’avantage avec cette méthode est que des valeurs fiables de ΔHf sont généralement disponibles pour les petites molécules. Cependant, un premier problème se pose si le composé considéré possède plusieurs structures de résonance, pour lesquelles certaines

14. En anglais : bond separation isodesmic reactions.

5.3 Détermination de ΔHf (g) liaisons ne peuvent être classée en tant que simple, double ou triple15. De plus, comme Peterssonet al. [94] l’ont très justement fait remarquer, plus le composé cible sera

volumineux et plus il faudra de petites molécules pour équilibrer la réaction, ce qui a pour effet de multiplier les erreurs.

5.3.3 Évolution des méthodes de calcul de ΔHf (g)

Cette section résume l’essentiel des méthodes de calcul d’enthalpie de formation en phase gazeuse mises en œuvre au cours de la dernière décennie, par quelques uns des auteurs les plus connus dans le domaine des matériaux énergétiques.

Politzer et al. se sont intéressés très tôt à l’évaluation de composés énergétiques

par des méthodes quantiques. Une revue de 2001 [95] résume leurs travaux antérieurs, qui par ailleurs, ne se limitent pas à l’évaluation des enthalpies de formation. En ce qui concerne ΔHf (g), Politzer et al. ont utilisé plusieurs méthodes — semi-empiriques,

ab initio, DFT — et de nombreuses approches, impliquant par exemple des réactions

isodesmiques et homodesmiques, des équivalents d’atome ou de groupe, des termes correctifs de liaison, des réactions d’atomisation et des réactions de formation. Ces auteurs ont obtenu des résultats très satisfaisants pour ce dernier type de réactions avec la méthode composite CBS-QB3, mais devant les limitations qu’elle impose sur la taille du système, ils se sont tournés vers la DFT. Ils ont d’abord calculé ΔHf (g), toujours à l’aide de réactions de formation, au niveau BP86/6-31G(d,p) puis sont pas-sés au niveau B3P86/6-31+G(d,p). Cependant, cette procédure tend à sous-estimer la valeur de ΔHf (g) ; ces auteurs ont alors introduit des termes correctifs atomiques, déterminés à partir de valeurs expérimentales. En 2004, Politzer et al. [96] ont évalué ΔHf (g) pour le nitroacétylène, en moyennant les résultats obtenus avec les méthodes CBS-QB3 et G3(MP2) pour sa réaction de formation. En 2005, Politzer

et al. [97] ont harmonisé leur procédure — initialement, B3P86/6-31+G(d,p)

ser-vait à calculer ΔHf (g) et les enthalpies de changement de phase (ΔHvap et ΔHsub) étaient déterminées au niveau HF/STO-5G — afin de n’utiliser plus que la méthode B3PW91/6-31G(d,p), associée à des corrections atomiques.

En 1999, Rice et al. [98] ont proposé une méthode de calcul de ΔHf (g) fondée sur des équivalents atomiques, déterminés au niveau B3LYP/6-31G(d) à partir de mesures expérimentales sur des composés énergétiques. Trois ans plus tard, Rice

et al. [99] ont utilisé cette méthode pour estimer des enthalpies de détonation, en

supposant que cette grandeur peut être approximée comme étant la différence entre les enthalpies de formation des produits de détonation et celle de l’explosif, divisée par la masse molaire de ce dernier. En 2006, Rice et al. [100, 101] ont amélioré leur procédure en calculant de nouveaux équivalents de groupes au niveau B3LYP/6-311++G(2df,2p)//B3LYP/6-31G(d). En 2009, Rice et al. [102] ont calculé des ΔHf (g) à l’aide d’une version modifiée de la théorie G3(MP2)//B3LYP [103, 104], utilisant B3LYP/6-31+G(d,p) au lieu de B3LYP/6-31G(d) pour l’optimisation de géométrie.

Depuis 2006, Shreeve et al. ont essentiellement recours à des réactions

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miques dont les enthalpies sont calculées au niveau MP2/6-311++G(d,p)//B3LYP/6-31+G(d,p) [43, 105–147]. Plus exceptionnellement, ces auteurs ont également étudié des réactions de ce type avec les méthodes G2 ou G2MP2 [110, 124, 148, 149] et même avec des méthodes plus évoluées comme G3 et G3MP2 [148, 150] ou des variantes de CBS [148]. D’ordinaire, Shreeve et al. utilisent plutôt les méthodes composites, en particulier G2 ou G2MP2, pour des réactions de protonation [105, 107, 111–114, 116, 117, 135, 149] ou d’atomisation [126, 127, 129, 132, 133, 140, 141].

Depuis 2006, Klapötke et al. utilisent principalement des réactions de combustion, calculées occasionnellement aux niveaux B3LYP/6-31G(d,p) [151], B3LYP/SDD [152] ou B3LYP/cc-pVDZ [153–155], et essentiellement aux niveaux MP2/aug-cc-pVDZ [156–159] ou MP2/cc-pVDZ [45, 75, 155, 160–164]. À partir de 2008, cette approche a laissé peu à peu la place à des réactions d’atomisation calculées au niveau CBS-4M [165–181]. Pour certains composés ioniques, des réactions de protonation calculées au niveau MP2/cc-pVDZ [182] ou avec les méthodes G2 et G3 [183], ont permis d’utili-ser les valeurs expérimentales des enthalpies de formation des composés moléculaires correspondants.

En 2004, Dixon et al. [184] ont utilisé des réactions d’atomisation et des niveaux de théorie très élevés pour calculer les ΔHf (g) de N3, N

3, N+ 5 et N

5. La plupart des géométries ont été optimisées au niveau cc-pVTZ ou CCSD(T)/aug-cc-pVQZ et les fréquences déterminées avec les méthodes CCSD(T) ou MP2 associées à la base aug-cc-pVDZ. D’autres corrections ont également été prises en compte, concernant les effets relativistes par exemple, afin d’extrapoler les énergies totales à la limite de la base complète.