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Les déterminants de la migration temporaire de travail dans les ménages

Chapitre IV : Migration et marchandisation de la terre : des moyens de diversification des sources de

II- La migration temporaire : un moyen de diversification du revenu ?

3- Les déterminants de la migration temporaire de travail dans les ménages

La section précédente nous a permis d’esquisser les caractéristiques des candidats à la migration temporaire. Afin de préciser les déterminants précis de la migration de travail au sein du ménage, nous allons dans un premier temps élaborer des analyses pour déterminer la probabilité qu’un ménage comporte un migrant temporaire. Dans un second temps, nous allons nous référer aux interviews des paysans sur les motivations économiques de ces déplacements.

3.1- Les variables physiques

Pour ce faire, nous allons utiliser le modèle de régression logistique (tableau n°78). La variable indépendante est le fait d’avoir un individu engagé dans la migration temporaire. Les variables dépendantes qui rendent compte des caractéristiques socioéconomiques des ménages sont :

- La superficie rizicole. Nous faisons l’hypothèse que plus les superficies exploitées sont élevées, moins les actifs sont enclins à migrer temporairement.

- La taille du ménage et la présence d’enfant de 15 ans et plus. A partir de cet âge, un individu peut remplacer le migrant dans les activités économiques au village, ou aider le conjoint resté sur place.

- La présence d’actifs salariés agricoles dans le ménage. Nous voulons tester ici l’hypothèse selon laquelle les ménages ayant des salariés agricoles sont moins enclins à la migration temporaire. En effet, nous avons noté chez certains paysans que si des opportunités d’emploi se présentent dans la commune, alors ils préfèrent rester sur place.

- Les problèmes d’eau liés à l’exploitation des rizières et l’emplacement des rizières.

Comme ces déterminants sont en partie liés au rendement, nous pensons que les ménages, par rapport à la situation de leur rizière, incorporent très tôt la migration dans leur stratégie

189 productive. Il s’agit de voir ici la migration comme une stratégie économique ex-ante, c’est-à-dire en prévention des risques éventuels.

- Les dégâts provoqués par les cataclysmes naturels. Comme nous avons vu précédemment, les dégâts liés aux cataclysmes, principalement ceux qui touchent la production agricole, ont entraîné un accroissement du nombre des migrants. Il s’agit de voir ici la migration en tant que stratégie ex post.

Tableau n°78 : Déterminants de la migration temporaire de travail au niveau des ménages

Caractéristiques des ménages Modèle1 Modèle2 Modèle3 Superficie rizicole possédée en hectare Emplacement des

rizières

Impacts des cataclysmes

Sans rizière 0,768 0,814 0,97

<=0,3 Réf Réf Réf

] 0,3-0,6] 1,16 1,086 1,15

>0,6 0,749 0,742 0,799

Taille du ménage

<=5 0,866 0,915 1,004

6-7 Réf Réf Réf

>=8 2,143** 2,242** 2,479***

enfants>=15 ans 0,620*** 0,619*** 0,602***

Ménages avec des actifs salariés agricoles 0,928 0,928 0,912 Problèmes d’eau liés à l’exploitation des rizières

Inondation - 0,893 0,853

Manque d’eau - 1,41 1,353

Emplacement des rizières

Plaine - 2,359* 2,513***

Tanety - 0,706 0,588

Bas-fonds - 0,559 0,517

Baiboho - 0,907 1,037

Ménage ayant des dégâts conséquents suite aux cataclysmes naturels sur la campagne 2007-2008 sur :

Logement - - 1,666

Elevage - - 0,647

Culture - - 2,259***

N 516 516 516

LR-chi2 21,25*** 23,72** 31,52**

Source : Données du ROR 2008, Observatoire d’Ambohimahasoa, nos calculs.

*** significatif à 1 % ** significatif à 5 % * significatif à 10 %

190 Les interprétations des résultats du tableau n°78 seront complétées par les autres motivations à la migration temporaire de travail recueillies auprès de 17 migrants, de famille de migrants et des Chefs fokontany.

Dans les trois modèles, contrairement à nos attentes, la migration temporaire n’est pas reliée à la superficie de rizières possédées, bien qu’elle soit incontournable pour certains paysans moins nantis en terre. Ainsi, le départ n’est pas directement relié à la faiblesse de la dotation en terre, mais à l’insuffisance de la production agricole. On peut être bien doté en terre mais la récolte reste insuffisante pour nourrir toute la famille. La migration temporaire de travail reste donc pour les ménages un moyen d’apporter un complément de revenu face à l’insuffisance de la production agricole.

Ensuite, il y a les paysans pour qui la migration entre dans les activités périodiques mais ponctuelles du ménage. Il y a, par exemple, des artisans qui peuvent être bien dotés en terre mais partent quand même en raison de l’absence d’opportunité de travail dans la commune.

C’est le cas, entre autres, des tâcherons, des maçons ou des charpentiers.

Il y a également ceux qui ont un objectif d’investissement, comme les célibataires qui préparent leur futur mariage ou les chefs de ménage qui veulent investir dans un élevage de bœufs ou de porcs. Pour certains, la motivation est dans l’espoir d’agrandir l’exploitation agricole dans un contrat de location ou de métayage. Pour d’autres, la motivation est liée aux préparatifs de futures cérémonies comme le « fidirana an-drano vao » (inauguration d’une nouvelle maison), le « famonosan-damba » (enrobement des morts dans de nouveaux linceuls) ou le rapatriement des ossements et les rituels reportés d’un décès en raison du manque de moyens.

Conformément à notre hypothèse, la structure familiale joue un rôle dans la migration. Dans les trois modèles, les ménages qui comportent huit personnes et plus ont deux fois plus de chance de migrer temporairement que les ménages de référence ayant une taille moyenne entre six et sept personnes (la taille moyenne de l’observatoire étant de 6,4 individus par ménage). Nous remarquons également que la présence d’enfant de 15 ans et plus influe sur cette probabilité.

La structure familiale des ménages agit à deux sens. Il est difficile de nourrir une famille nombreuse mais une famille nombreuse permet également la migration de certains de ses membres. En effet, la présence d’un enfant de plus de 15 ans favorise le départ d’un migrant car il peut être remplacé par cet enfant dans les activités domestiques (corvées d’eau, garde de bétail, garde d’enfants en bas âge, etc.) et agricoles (transports d’engrais, de récolte, etc.).

191 L’emploi de la main-d’œuvre enfantine dans ces activités entre donc dans une stratégie familiale d’organisation des activités, libérant les adultes pour exercer des activités salariées.

Le fait de pratiquer le salariat agricole n’influence pas la probabilité de migrer temporairement quel que soit le modèle. En effet, le salariat agricole constitue déjà une activité des ménages, un moyen de diversification de leurs activités et peut être indifféremment pratiqué, comme nous l’avons vu, par des paysans qui ont un besoin de main-d’œuvre agricole ou qui ressentent un besoin financier.

Si la situation des rizières par rapport à l’inondation ne pousse pas les paysans à migrer, il en est autrement de leur situation géographique. En effet, ceux qui possèdent des rizières sur les plaines ont jusqu’à 2,5 fois plus de chance de migrer que ceux qui possèdent des terres en tanety, en bas-fonds et baiboho. Ces types de rizières ont l’avantage d’avoir accès à l’eau phréatique pendant la saison sèche, ce qui permet aux propriétaires de toujours avoir une récolte assurée même en cas d’insuffisance de pluie.

Dans le dernier modèle qui représente les impacts des cataclysmes naturels, seuls les impacts sur la culture influent positivement sur la probabilité de migrer à court terme. Ainsi, ce type de migration répond à des solutions ponctuelles face à un choc particulier : les dégâts sur les cultures. Dans ce cas, la migration temporaire constitue une stratégie ex-post. Dans ce sens, notons également, selon les Chefs quartiers, qu’un motif commun qui poussait de nombreux membres du ménage à migrer temporairement en 2010 et 2011 était les effets de la crise politique et économique depuis 2009. Ainsi, outre les caractéristiques individuelles, le contexte socio-économique joue un rôle non négligeable et doit être incorporé dans la décision de migration de ses membres.

Dans tous les cas, la migration constitue une stratégie productive du ménage. Ce qui nous intéresse maintenant est de mieux connaître le processus migratoire. Comment les individus choisissent-ils leur zone de destination ? Comment arrivent-ils à trouver du travail ? Comment sont prises en charge leurs dépenses ?

3.2-Le réseau migratoire

En démographie, le terme « réseau migratoire » est décrit comme « l’ensemble des liens interpersonnels qui relient les migrants, les futurs migrants et les non migrants dans l’espace d’origine et de destination à travers les liens de parenté, d’amitié, et une origine communautaire partagée » (Massey et al., 1993, p.433). Pour Guilmoto et Sandron (2000), il s’agit « d’une institution sociale dont le rôle est d’organiser et de favoriser les flux d’immigration sur la base

192 de règles, normes, valeurs, partagées entre les membres d’une communauté » (p.106). Ainsi, globalement, il s’agit d’analyser le rôle des liens sociaux ou des entités sociales dans le déplacement d’un individu.

Dans notre analyse, nous nous concentrons uniquement sur la migration temporaire car nous ne disposons pas de données suffisantes sur les migrations de longue durée. De plus, l’essentiel du motif de déplacement de ces dernières est le regroupement familial. Nous faisons donc l’hypothèse que les migrants permanents ont au moins une connaissance (un parent, un ami, un villageois) dans la zone de destination.

Sur les 17 migrants temporaires que nous avons interviewés, nous avons pu relever trois types de relations qui ont joué un rôle dans la décision de départ et de recherche de travail à destination. Il s’agit des relations de voisinage et d’amitié, des relations d’emploi et des liens de parenté.

Les relations d’emploi commencent à être très développées aujourd’hui et s’adressent surtout à des artisans et des bûcherons. Les relations ont été établies par d’anciens migrants qui ont travaillé depuis un certain temps pour le compte du même patron ou de ses amis. Les patrons sont ici typiquement des entrepreneurs en bâtiments, des collecteurs de bois, de fruits, de café ou de charbon.

Depuis quelques années, avec la présence de la radio Mampita dans la ville d’Ambohimahasoa, les offres de travail des entrepreneurs transitent par cette radio. L’annonce détaille la qualification recherchée chez les individus (manœuvre, maçon, charpentier, bûcherons, collecteur) et donne le nom d’un contact dans la ville d’Ambohimahasoa ou dans la ville de destination.

Chaque groupe de migrants connaît déjà des patrons identifiés et les reconnaissent à travers les annonces par leurs nom, adresse et autres caractéristiques. Ainsi, une fois les offres d’emploi lancées, les groupes de migrants peuvent contacter ces personnes pour prendre des informations sur la durée des activités, les salaires, les conditions de travail, les modalités d’hébergement et de nourriture.

Une fois le contrat établi, généralement de manière verbale comme nous l’avons stipulé, le migrant peut escompter une avance sur salaire pour sa famille.

Les contrats passés avec des patrons présentent généralement d’autres avantages tels la prise en charge des frais de déplacements et parfois, selon les contrats, celle des dépenses d’hébergement et de nourriture durant le séjour.

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« Nous nous accordons à l’avance, selon la nature du travail, sur le montant du salaire. Les conditions sont toujours les mêmes depuis des années, ils prennent en charge nos frais de déplacements et la nourriture sur place. Ils nous donnent une avance que nous laissons à la famille au village. Nous touchons le reste du salaire seulement une fois les travaux effectués ».

[…] Nous préférons que les conditions soient comme ça car nous sommes sûrs de ramener de l’argent à la maison. Dans les contrats journaliers, bien souvent, on dépense plus pour ne pas dire que c’est tout le salaire qui part en nourriture car les patrons ne nous prennent pas totalement en charge ». Mr José, 33.

Lorsque des opportunités de travail se présentent, les anciens migrants peuvent diffuser les offres au sein de leur famille ou de leur voisinage au cas où des personnes seraient intéressées.

C’est ainsi que les groupes se forment, les nouveaux membres étant alors présentés aux patrons sous le parrainage d’un ou de plusieurs anciens migrants.

« Je n’ai pas entendu les annonces à la radio mais j’avais déjà dit à mon voisin que j’aimerais bien partir avec eux s’il y avait de nouveau du travail. Et quand c’est arrivé, il m’a informé et je suis parti avec eux dans l’Est où j’ai travaillé comme manœuvre dans un chantier ». Mr Cyprien, 28 ans.

« J’ai entendu une annonce à la radio selon laquelle un Monsieur cherchait des personnes pour couper du bois dans l’Ouest. Je suis allé directement voir la personne à contacter à Ambohimahasoa. C’est là que j’ai rencontré des gens de mon village qui avaient l’habitude d’aller là-bas. J’ai discuté avec eux et ça m’a tenté. Je suis parti avec ces personnes qui m’ont présenté à leur patron. C’est la deuxième fois cette année que je pars avec eux. » Mr Gérard, 36 ans.

Il existe également des cas où les migrants ne sont pas insérés dans des réseaux de connaissances mais où ils vont chercher directement du travail par leurs propres moyens à la suite d’annonces :

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« J’ai entendu des personnes du village voisin parler en cours de route d’un Monsieur qui cherchait des casseurs de pierre. Je leur ai demandé l’adresse de la personne à Ambohimahasoa et je suis allé chez elle. On a parlé, et le Monsieur m’a emmené dans la carrière située à l’Est de la ville de Fanjakana. J’y travaille déjà depuis plus de dix ans et depuis quelques années, mon fils m’y accompagne. » Mr Rivo, 47 ans.

Pour certains migrants temporaires, principalement les ouvriers agricoles, la recherche de travail s’effectue une fois seulement à l’arrivée. Ils prennent donc en charge les frais de déplacements ainsi que les frais de séjour. Mais là également, le rôle du réseau familial, même s’agissant d’une parenté éloignée, est important pour l’hébergement et la recherche de travail.

« La première fois que je suis allé à Ifanadiana, c’était pour effectuer des travaux agricoles dans les terres d’une femme, Madame Razafy. J’y suis allé avec mon voisin, il y a déjà trois ans. J’y vais depuis tous les ans pour faire les mêmes travaux mais chez différents propriétaires. […] Je n’ai pas de contrat avec eux mais j’y vais toujours dans l’espoir de trouver du travail. Ce que je fais une fois arrivé là-bas, c’est de voir Madame Razafy ou d’autres propriétaires chez qui j’ai travaillé pour demander s’il y a des travaux à faire ou chez qui je pourrais encore travailler ». Mr Guy, 32 ans.

Pour diminuer également les risques de ne pas trouver un emploi, les migrants organisent leur départ par rapport à différents paramètres, comme l’arrivée de la saison pluvieuse, les saisons de récolte, les saisons de culture, la taille des exploitations agricoles dans les zones de destination.

« Dans la partie Est, les superficies agricoles sont encore grandes ; nous sommes à peu près sûrs, à chaque départ, qu’il y aura du travail, surtout au moment des grands travaux de culture » Mr Yves, 37 ans.

« Vers les mois d’Octobre et Novembre, les paysans qui veulent collecter des produits du Sud-est, ou ceux qui veulent travailler comme salariés agricoles essaient d’organiser leur départ selon la pluviométrie. Si elle est suffisante, alors, c’est sûr que les récoltes seront bonnes ou que les travaux de cultures peuvent commencer ». [...] Mais si les récoltes ne sont vraiment pas bonnes pour nous, certains paysans partent quand même et essaient de trouver d’autres travaux comme faire des briques,…»Mr Claude, Chef quartier.

195 Ainsi, pour faciliter la migration temporaire, les relations sociales peuvent jouer un rôle essentiel dans la recherche de travail. Les individus essaient de minimiser le risque de ne pas trouver du travail à travers leurs connaissances. Le réseau de parenté ou de voisinage est toutefois sélectif et limite donc le nombre de migrants qui peuvent accéder à certaines activités.

La concurrence est devenue plus rude avec l’intégration de l’annonce des offres de travail depuis quelques années dans une chaîne de radio locale, ce qui a permis à d’autres migrants sans relations sociales particulières de partir en ayant toutes les informations qu’ils souhaitaient avoir.

Ainsi, selon la situation économique du ménage, la migration temporaire de travail entre soit dans une stratégie de survie des paysans, soit dans une optique d’investissement. Mais elle reste cependant très liée aux opportunités d’emploi. Il a été également montré qu’il n’existe pas de lien direct entre cette stratégie économique et l’exiguïté des parcelles cultivables. Qu’en est-il alors de la marchandisation de la terre ?