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Les dérives des pratiques au Liban et en France

Dans le document Université Paris 1 (Page 29-33)

PARTIE II : LES LACUNES DES REGLEMENTATIONS LIBANAISES ET

2.1 LES LACUNES DES TEXTES ET LES DERIVES DES PRATIQUES

2.1.2 Les dérives des pratiques au Liban et en France

à devenir la règle, et permet d’imposer des conditions de travail et de rémunération particulièrement défavorables.

2.1.2 Les dérives des pratiques au Liban et en France

Plusieurs pratiques largement répandues, au Liban, consistent entre autres pour l'employeur à confisquer le passeport de son travailleur, à l’enfermer ou lui interdire de sortir de la maison… Ces pratiques et ces moyens utilisés comportent indéniablement un aspect certain de servitude et d’exploitation par le travail.

La définition de la traite des êtres humains telle qu’énoncée à l’article 4-a de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005 et à l’article 3-a du Protocole de Palerme additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, comporte : « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes. »

La traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants sont deux choses différentes. Le trafic illicite de migrants est un délit supposant le fait d’assurer, afin d’en tirer un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État.

Néanmoins, les processus de traite et de trafic peuvent être interdépendants et la distinction entre les deux délits peut être difficile. Autant les migrantes victimes de trafic que les victimes de traite peuvent être identifiées dans un même groupe de personnes effectuant un passage illégal de frontières, puisque les réseaux criminels sont reliés entre eux. De même, un migrant qui consent

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à son passage illégal de frontières peut finir, soit en transit, soit à destination, dans une situation de traite.36

Il faut bien distinguer entre le travail illégal et le travail forcé. Le travail illégal peut parfois conduire au travail forcé.

2.1.2.1 Le travail illégal

Le travail illégal est l'ensemble des pratiques dérogeant aux lois ou règlements réglementant l'emploi en vigueur dans le pays considéré. Le travail dissimulé ou non déclaré n’est pas l’équivalent de la traite des êtres humains. Par travail non déclaré l’on entend « toute activité rémunérée de nature légale, mais non déclarée aux pouvoirs publics, compte tenu des différences existant entre les systèmes réglementaires des États membres de l’UE.»37

En France, le Code du travail le définit ainsi dans l’art. L. 8211-1 : « Sont constitutives de travail illégal, dans les conditions prévues par le présent livre, les infractions suivantes :

1° Travail dissimulé ; 2° Marchandage ;

3° Prêt illicite de main-d’œuvre ;

4° Emploi d'étranger sans titre de travail ; 5° Cumuls irréguliers d'emplois ;

6° Fraude ou fausse déclaration prévue aux articles L. 5124-1, L. 5135-1 et L. 5429-1 ».

Au Liban, il est difficile d'estimer le nombre de travailleurs migrants illégaux qui semble être beaucoup plus élevé que le nombre de personnes dûment enregistrées à la Sureté Générale libanaise et au Ministère du Travail.

Le seul moyen de résider et de travailler légalement comme employée domestique au Liban et être enregistrée comme travailleur migrant, est d’avoir un garant. Cette pratique du système « kafala », n’est pas inscrite formellement dans la loi. Ce système de parrainage qui découle

36 France Expertise Internationale -Ministère des affaires étrangères, outil pratique : l’identification préalable des victimes de traite a des fins d’exploitation par le travail, Paris, 2013, pp. 4-9

37 France Expertise Internationale -Ministère des affaires étrangères, Lignes directrices pour l’identification de la traite en Europe, Paris, 2013, p.25

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implicitement de la loi dans la mesure où le permis de travail est lié à un employeur, s’étend aux autres travailleurs étrangers. De fait, le terme est absent du décret réglementant le travail des étrangers. En revanche, il figure dans plusieurs articles de la décision n°1/1 du 3 janvier 2011, réglementant les bureaux de recrutement de travailleurs étrangers, ainsi que, de façon remarquable à la page 10 du guide du Ministère du Travail pour les employées domestiques étrangères, publié en 2012.

La pratique de la confiscation du passeport est courante pour les salariés comme pour les domestiques. Il est ainsi très difficile de changer d’employeur. Dans le meilleur des cas, le nouvel employeur en négociera la récupération avec le précédent. En fin de compte, les travailleurs ont le choix entre l’illégalité ou la dépendance à l’égard de leur employeur. Ces travailleurs migrants illégaux sont les plus exposés au travail forcé.

Certains pays ont interdit à leurs ressortissantes d’aller travailler comme travailleuses domestiques au Liban, où elles risquent d’être victimes de servitude. Cependant, les femmes qui souhaitent partir trouvent d’autres solutions pour entrer dans le pays, ce qui accroît leur vulnérabilité face à la servitude domestique. Exemples, des travailleuses domestiques philippines continuaient d’entrer dans le pays en dépit de l’interdiction émise en 2007. Certaines sont envoyées par des agences de recrutement installées aux Philippines, pour un prix allant de 3 000 à 5 000 dollars. D’autres transitent par Dubaï ou Doha, où elles entrent comme touristes, et restent pour travailler. En addition, malgré que l’Ethiopie a interdit en 2013 aux employées de maison de s’expatrier, le nombre de femmes qui entrent au Liban en passant par le Soudan ou le Yémen tend à augmenter.

2.1.2.2 Le travail forcé

Le travail forcé est défini, dans l’article 2.1 de la convention internationale du travail (n° 29), comme « tout travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de plein gré ».38

Le travail forcé peut avoir lieu dans tous les domaines et tous les emplois.

Le travail domestique devient travail forcé à partir du moment où il y a fraudes et mensonges concernant les conditions de travail ; interdiction de changer librement d’employeur ; abus physiques ou sexuels ; servitude pour dettes, confiscation des papiers d’identité ; non-paiement

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des salaires au travailleur ; enfermement sur le lieu de travail ; menaces de dénonciation ou d’expulsion.39

Au Liban, la majorité des travailleurs migrants subissent de graves violations des droits humains. Ce qui suit est une liste non exhaustive des violations auxquelles ils sont confrontés:

- Les agences de recrutement dans leur pays d'origine leur donnent de fausses informations sur les conditions de travail au Liban ;

- À l'arrivée au Liban, leurs passeports sont remis à l'employeur qui souvent ne les leur rendra pas avant leur départ du pays ;

- Selon l’affirmation du Comité Libanais des Droits de l’Homme, l’employé étranger «appartient » à son employeur par le système de parrainage « kafala» ;

- Les travailleurs migrants travaillent souvent pendant trois mois ou plus sans recevoir aucun salaire parce que les employeurs disent "se rembourser" ainsi des frais d'agence.

- Certains employés ne sont jamais payés au cours de leur contrat de deux ou trois ans avec l'employeur ;

- Certains employés travaillent 24h sur 24 et 7 jours sur 7 pendant tout leur séjour au Liban sans aucun jour de congé ;

- De nombreux employés sont séquestrés à l'intérieur du lieu de travail ;

- Quand ils tentent de déposer une plainte contre leur employeur, la police les arrête et les remet à la Sûreté Générale qui les retourne à l'employeur (quelle que soit la cause du départ y compris le viol, les coups et autres mauvais traitements graves) ou les expulse sans même vérifier s’ils ont été payés au cours de leur période de travail ;

- Les employeurs n’ont pas à prouver qu’ils disposent d’une chambre séparée pour une travailleuse domestique migrante. Par conséquent, les travailleuses peuvent être logées dans une pièce sans fenêtre, comme la cuisine ou le séjour, ou même dans un couloir ou un placard. Du fait qu’il s’agit d’espaces communs, il est difficile pour la travailleuse de bien s’y reposer car elle doit attendre pour se coucher que les autres membres du ménage soient allés au lit, ou elle est dérangée dans son sommeil, en violation du droit à l’intimité de la vie privée et à un repos suffisant. Par ailleurs, dormir dans un espace ouvert les expose à un risque accru de subir des violences physiques et sexuelles.

Quand un travailleur migrant veut quitter le Liban avant la fin de son contrat, et sans accord de son employeur, il sera soumis à un minimum de deux mois de détention arbitraire aux fins d’enquête.

39 D’SOUZA Asha, Le travail domestique sur la voie du travail décent Rétrospective de l’action de l’OIT, BIT, France, 2010, p.32

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La situation de travail forcé est analogue en France où les femmes migrantes sont plus ou moins vulnérables à l’exploitation de certains employeurs surtout en termes de rémunération, et également de violence et de harcèlement sexuel. Pour celles qui sont au début de leur expérience professionnelle, leur travail ordinaire (ménage) s’éclate pour inclure l’entretien des affaires de tous les membres de la maison, en plus du soin apporté aux enfants. Cette situation est qualifiée comme « nouvelle forme de domesticité » et les femmes sont devenues « femmes toutes mains ».

En addition, en France, l’immunité diplomatique est un élément important qui mérite d’être rappelé. Selon le Comité contre l’esclavage moderne : « En vertu de plusieurs textes internationaux dont le principal est la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (1961), les diplomates étrangers, leurs familles, le personnel des ambassades ainsi que certains membres des organisations internationales bénéficient d’une immunité de juridiction : ils ne peuvent être ni interpellés ni traduits devant la justice du pays où ils sont en poste. En vertu de ces textes, les diplomates sont tenus de respecter la législation des Etats d’accueil, mais certains profitent de l’immunité pour commettre des violations de la loi et échapper à toute poursuite ».40 En outre, l’absence de papiers est également un élément qui peut être pris en considération par l’employeur et qui conduit à fragiliser la situation de la femme migrante. Mais les travailleuses acceptent parfois cette situation de servitude car elles ont des contraintes d’argent dans leur pays d’origine.41

Dans le document Université Paris 1 (Page 29-33)

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