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Critiques actuelles sur l’indépendance et l’impartialité du TAS

Les vingt membres du CIAS sont nommés en suivant la clé de répartition susmentionnée155. La première critique est que les vingt membres du CIAS sont élus directement ou indirectement par les FI, par le CIO et par l’ACNO, 12 sont désignés directement par les institutions sportives et les 8 autres sont cooptés par les 12 membres déjà en place156. De plus, les organismes sportifs peuvent désigner comme membre du CIAS un de leurs membres ou un de leurs représentants ou une personne externe, ce qui peut engendrer des conflits d’intérêts157.

Si l’on regarde la liste des membres du CIAS de 2019-2022, on s’aperçoit que plusieurs membres font ou ont fait partie plus ou moins directement d’une FI, du CIO, de l’ACNO et/ou d’une CNO. En effet, un membre du CIAS fait partie de l’ACNO et d’une FI, cinq autres sont

150 HIRSCH,Le Tribunal arbitral du sport et l’art. 6 CEDH, p. 2.

151 Communication aux médias du TAS : La Cour Européenne des droits de l’homme rejette la demande de Claudia Pechstein de renvoyer son affaire devant la Grande Chambre de la CEDH.

152 BRÜGGEMANN, p. 28.

153 BRÜGGEMANN, p. 29.

154 BRÜGGEMANN, p. 30-31.

155 Cf. supra, III.C.1 ; La liste des membres du CIAS est disponible sur le site du TAS.

156 MAISONNEUVE 2019II,p. 913.

157 VAITIEKUNAS, p. 142 et p. 146.

en lien avec une FI, deux autres sont affiliés à une CNO. Enfin, quatre autres sont membres du CIO (l’un d’eux est également membre d’une FI et un autre est également membre d’une CNO et d’une FI)158. À noter que sur les 20 membres, 13 sont en lien direct avec les organismes sportifs et sept seulement sont indépendants.

Pour cette raison, nous rejoignons l’opinion de VATIEKUNAS, « le pouvoir et l’influence qu’exercent les principaux organismes sportifs dans la composition du CIAS et le fait qu’ils sont susceptibles de partager des intérêts communs tend à nous montrer qu’à la fin des comptes, le CIAS n’est pas si indépendant de ces organismes »159. L’opinion de BRÜGGEMANN mérite également d’être soulevée : « Il faut garder à l’esprit que le TAS n’est plus sous la tutelle du CIO, mais que la composition et la structure du TAS favorisent les intérêts communs des organisations sportives et des fédérations en général »160.

De plus, un membre du CIAS pourrait se sentir redevable envers l’organisme qui l’a élu161. Ce qui pose inévitablement des problèmes d’indépendance et d’impartialité.

Pour finir, quatre membres du CIAS sont élus par les organismes sportifs en tenant compte des intérêts des athlètes, cependant il est fort dommageable que les sportifs eux-mêmes ne puissent pas élire certains membres du CIAS162. Ce qui crée un désavantage des athlètes par rapport à ces organismes, en sachant que les athlètes sont déjà dans une position de faiblesse vis-à-vis d’eux163. En outre, en ce qui concerne l’élection du Président et des Vice-présidents du CIAS, ils sont élus après consultation du CIO, de l’ASOIF, de l’AIOWF et de l’ACNO164. Encore une fois, l’avis des athlètes n’est pas pris en compte.

2. Nomination des arbitres du TAS

Les membres du CIAS élisent les arbitres présents sur la liste du TAS pour une période de quatre ans165. Dès 2012, les membres du CIAS ne sont plus liés par la clé de répartition susmentionnée pour élire les arbitres du TAS. Les FI, les CNO, le CIO et les commissions

158 Site du TAS/Liste des membres CIAS ; Un auteur avait fait déjà fait cette analyse avec les membres du CIAS en 2013, voir VAITIEKUNAS, p. 143-145.

159 VAITIEKUNAS, p. 145-146, traduction libre de l’anglais.

160 BRÜGGEMANN, p. 15, traduction libre de l’anglais.

161 VAITIEKUNAS, p. 146.

162 VAITIEKUNAS, p. 146.

163 LATTY, le TAS marque des points devant la CEDH, p. 36 ; LENSKYJ,p.11.

164 Art. S6 (2) Code TAS.

165 Cf. supra, III.C.1.

d’athlètes peuvent proposer des noms au CIAS en vue de la désignation des arbitres166. Selon VAITIEKUNAS, « cela n’empêche toutefois pas les instances dirigeantes olympiques de faire pression sur le CIAS pour qu'il sélectionne leurs candidats en vue de la nomination des arbitres »167.

Comme mentionné ci-dessus, les arbitres du TAS sont désignés par les membres du CIAS qui sont eux-mêmes nommés par les principaux organismes sportifs168. Selon la Cour d’appel de Munich dans l’affaire Pechstein : « ces dispositions relatives à la sélection des potentiels arbitres du TAS favorisent les institutions sportives dans le règlement des litiges les opposants aux athlètes, et donc créent un déséquilibre structurel qui menace l’impartialité du TAS »169. Il y a le risque que ce « mode d’inscription sur la liste des arbitres du TAS fasse craindre une communauté d’esprit avec les institutions sportives »170. Les arbitres risquent donc d’être plus sensibles aux intérêts des institutions sportives qu’à ceux des athlètes. Selon MAISONNEUVE,

« tout cela n’est évidemment pas certain. C’est néanmoins parfaitement plausible et cette simple possibilité est en elle-même condamnable »171.

En outre, tout comme les membres du CIAS, un arbitre désigné sur la liste du TAS peut se sentir redevable envers la personne qui l’a élu172. Ce qui peut créer des doutes quant à leur indépendance et à leur impartialité

3. Le problème de la liste fermée des arbitres du TAS

Le TF dans l’arrêt Lazutina a affirmé que le système de liste fermée n’est pas en soi illégal selon le droit suisse, mais celui-ci restreint le choix des parties et peut, suivant les circonstances, porter préjudice à l’égalité des parties173. De plus, toujours selon le TF, il faut tenir compte de l’influence éventuelle, d’une partie, sur la composition de la liste d’arbitres174.

Le TF a justifié l’utilisation de la liste fermée en affirmant que celle-ci était nécessaire afin d’avoir des arbitres spécialisés ayant une formation juridique appropriée, dans le domaine du

166 Cf. supra, II.B.

167 VAITIEKUNAS, p. 145-146, traduction libre de l’anglais.

168 Cf. supra, IV.D.1.

169 Oberlandesgericht München, Claudia Pechstein c/ International skating union (ISU), 15 janvier 2015, Az. U 1110/14 Kart §104 ; MAISONNEUVE 2019II,p. 913.

170 MAISONNEUVE 2019II,p. 915, traduction libre de l’anglais.

171 MAISONNEUVE 2019II,p. 915, traduction libre de l’anglais.

172 VAITIEKUNAS,p. 151.

173 ATF 129 III 445, S. 457-456.

174 ATF 129 III 445, S. 457-456.

sport et dans le but d’assurer la constance des décisions rendues par le TAS175. Un contre-argument intéressant peut être soulevé. En effet, un juge ordinaire, contrairement à un spécialiste, est moins susceptible d’être influencé en raison de ses connaissances antérieures offrant ainsi un forum où les deux parties peuvent « éduquer » l’arbitre176.

D’autres institutions arbitrales mondialement reconnues n’utilisent pas le système des listes fermées. Si l’on prend le cas de la procédure d’arbitrage devant l’International Centre for Settlement of Investment Disputes (ICSID), on s’aperçoit qu’il y a bel et bien une liste d’arbitres, mais que celle-ci est ouverte177. Les arbitres externes doivent simplement remplir les conditions suivantes : il faut qu’il s’agisse d’une personne avec une haute moralité et compétente dans le domaine du droit, du commerce, de l’industrie et/ou des finances, à qui l’on peut faire confiance pour exercer un jugement indépendant178. Ce qui implique qu’une partie peut proposer un arbitre extérieur à la liste. Il en est de même pour l’arbitrage devant l’International Chamber of Commerce (ICC)179.

4. Financement du TAS

Depuis l’instauration du CIAS en 1994, le TAS n’est plus entièrement financé par le CIO, mais par le CIO, l’ACNO ainsi que par l’AIWF et l’ASOIF conjointement à raison d’un tiers chacun180.

Le TF a affirmé dans l’affaire Lazutina qu’en considérant la structure pyramidale du sport, il ne pouvait envisager d’autres alternatives concernant le financement du TAS. Les athlètes étaient moins aptes à contribuer à son financement que les organismes sportifs181. Le TF va même plus loin en faisant une comparaison avec une cour étatique. En effet, cette dernière est totalement financée par l’État, pourtant son indépendance n’est jamais remise en question lors que l’État est partie à une procédure182. Selon le TF, il devrait en être de même pour le CIO.

175 GORBYLEV, p. 296 ; MITTEN,p.24 ;ATF129III445,S.467.

176 LENSKYJ, p. 10.

177 Art. 40 ICSID Convention.

178 Art. 14 et 40 ICSID Convention.

179 Art. 12 et 13 ICC Rules of Arbitration.

180 Art. 3 Convention de Paris ; VAITIEKUNAS, p. 165.

181 ATF 129 III 445, S. 460.

182 ATF 129 III 445, S. 461 ; La CourEDH suit le même raisonnement dans l’Affaire Mutu et Pechstein c. Suisse, Requêtes nos 40575/10 et 67474/10 § 151.

Le fait que le TAS soit financé indirectement par le CIO, l’ASOIF, L’AIWF et les FI nous paraît tout de même discutable. Ces organismes financent le CIAS, qui lui-même abreuve le TAS. En effet, ceci représente un potentiel conflit d’intérêts et structurel, indépendamment de l’effective impartialité des décisions prises par le TAS.

5. Le recours à la spécificité sportive et aux particularités de l’arbitrage international pour justifier le manque d’indépendance et d’impartialité du TAS

La spécificité sportive est utilisée comme argument par le TF pour justifier une approche plus laxiste concernant l’indépendance et l’impartialité du TAS183. En ce qui concerne les particularités de l’arbitrage international, le TF en tient compte afin d’analyser l’indépendance et l’impartialité du TAS184.

Cette approche nous paraît discutable. L’indépendance et l’impartialité du TAS devraient être analysées de manière très stricte, car l’existence d’une liste fermée au sein du TAS, ainsi que le caractère forcé de l’arbitrage devrait imposer des standards d’indépendance et d’impartialité encore plus élevés185.

Selon LENSKYJ,« malgré les affirmations des partisans du TAS selon lesquelles les intérêts des athlètes sont protégés, la notion d'exception sportive inhérente à la lex sportiva sert d'abord et avant tout les intérêts de l'industrie olympique en empêchant les différends d'entrer dans les tribunaux nationaux et dans les médias, tout en privant encore davantage les athlètes qui sont déjà dans une position "David et Goliath" vis-à-vis des organismes nationaux et internationaux régissant le sport »186.

Il faudrait exiger que l’indépendance et l’impartialité du TAS soient analysées de manière stricte afin de contrebalancer légèrement l’infériorité des athlètes face aux organismes sportifs et leur assurer un procès juste et équitable.

183 BEFFA, p. 604.

184 ATF 129 III 445, S. 454 ; Affaire Mutu et Pechstein c. Suisse, Requêtes nos 40575/10 et 67474/10 § 151.

185 RIGOZZI,Challenging p. 239 ; MAISONNEUVE 2019II,p. 916 ; BEFFA, p. 604.

186 LENSKYJ,p.11,traduction libre de l’anglais.

6. Le TAS se référant à sa jurisprudence passée

Les arbitres du TAS ne sont pas liés par la règle du précédent (rule of precedent) comme dans les pays de common law, cependant les arbitres sont disposés à suivre les décisions précédentes afin de renforcer la prévisibilité juridique du droit international du sport187.

Nous notons que le fait de se référer à sa jurisprudence passée représente l’avantage de créer un groupe de règles uniformes applicables à l’ensemble du monde sportif, garantissant ainsi une égalité de traitement188. En revanche, si une décision précédente manque d’impartialité et que par la suite un arbitre se réfère à celle-ci, alors la décision qu’il prendra risquera également d’être partielle. Ce phénomène pourrait se multiplier par effet « boule de neige » et ainsi impacter un certain nombre de décisions, ce qui peut s’avérer très problématique. C’est pour cela que des standards d’indépendance et d’impartialité très stricts doivent être mis en place.

De plus, STRAUBLE est très critique à l’égard du TAS, il affirme qu’il y a des incohérences dans son fonctionnement : « D’une part, le TAS agit en tant qu'organisme privé de règlement des litiges avec des procédures informelles et confidentielles. D’autre part, le TAS fonctionne en tant qu'organisme de règlement public qui crée des précédents et fonctionne comme un tribunal ordinaire »189.

V. Propositions d’améliorations

Certes, « le TAS représente l’organe arbitral suprême de la justice sportive »190. Cependant, tout comme le TF191, nous pensons cette institution est perfectible. Le TAS devrait « continuer à évoluer afin de fournir au sport international un système de règlement des litiges qui répond pleinement à ses exigences »192. Nous pouvons noter d’emblée que ces améliorations ne seront probablement pas faites sous l’impulsion du TAS, car le TF, la CourEDH et le Bundesgrichthof affirment tous trois que le TAS présente des garanties suffisantes d’indépendance et que donc son mode de fonctionnement paraît satisfaisant. Nous ne pensons pas que ces améliorations seront demandées par les organismes sportifs, car la structure

187 OSCHUTZ,p.680. ;A.C. v. Federation Internationale de Natation Amateur, No. 96/149 (CAS 1997) ; LATTY, Les forces créatrices p. 88.

188 LATTY,Les forces créatrices p. 88.

189 STRAUBEL,p.1211 ;LENSKYJ,p. 16.

190 GORBYLEV, p. 295, traduction libre de l’anglais.

191 ATF 129 III 445, S. 463.

192 REEB,p.25,traduction libre de l’anglais.

actuelle du TAS favorise leurs intérêts et nous imaginons difficilement les organismes sportifs se priver d’un tel avantage193. Nous pensons qu’une des seules chances pour que ces améliorations aboutissent est que les athlètes se réunissent afin de clamer leur mécontentement face au fonctionnement actuel du TAS.

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