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-mettre au service de l'agriculture que des ressourcesrelati¬
vement faibles; et il est peu probable que l'on parvienne jamais àlui donner unegrande extension: nous avonsvu, en
etïet, que, d'une façon à peu prèsgénérale, sonrôle tend plu¬
tôt à se restreindre, par suite des éléments d'incertitude que
comportent les opérations productrices (1).
Quant au crédit réel mobilier, il aurait pu rendre à l'agri¬
culture les plus grands services : il permet, en effet, suivant
(') Le crédit personnel a reçudans diverspays d'Europe uneorganisation qui luiapermis de rendre de nombreux services.
A. Ecosse. — Il existeun ensemble debanques agricoles qui prêtentaucultiva¬
teur,sansexiger d'autresgarantiesque l'engagement de deux cautions connues etsolvables; l'avancese faitsousforme d'ouverture de créditen compte courant.
Cesystème, quinepeut fonctionnerque grâce à une sorte de commercialisation des créances del'agriculteur, aproduit les meilleurs résultats dans lepaysoù il fonctionne, en aidantàla capitalisation des petitsrevenusetendonnantun grand
essorà laproduction agricole.
B. Allemagne.— Deux sortes d'institutions de crédit fonctionnent enAllema¬
gne : cesont les banques Schullze-Delitsch et les caisses Raiffeisen. Les premières ont surtout pourbut d'encouragerla petite industrie, les autres sont plus spécia¬
lement consacréesauservice de laproduction agricole. Elles sont, les uneset les autres, fondées surla mutualité. Les premières,possédant uncapital, distribuant desdividendes, administréespar un personnet payé, se trouvent de plus enplus entraînéesàaugmenterleurs opérations et àserapprocher desbanquesordinaires.
Les dernières ontaucontraire conservé le caractère d'institutions de bienfaisance.
G. Italie.—Des institutionsanaloguesontété crééesen ItalieparMM. Luzzati etVollemborg.
D. France.—La loi du 5 novembre 1894 a eupourbut d'organiser cheznous des institutionsanalogues,euadjoignant auxsyndicatsagricoles des caisses ayant pourbut l'escompte deseffets souscritsparles agriculteurs, d'ouvrir des comptes courants,des comptes de dépôts, etc.
La loi du 89mars1899 institue des caisses régionales de crédit mutuel. L'Etat leur accorde desprêts gratuits, prélevéssurl'avance de 40 millionsquela banque
de France doit consentiràl'Etatenvertu de la convention du 81 octobre 1896.
Les caissesrégionales ontpour but de soutenir de leur crédit les sociétés agri¬
coles et de servir entre elles et la Banque de France d'intermédiaire pourl'es¬
compte du papier, enfournissant latroisième signature.
Toutes ces sociétés ont un caractère de bienfaisance et nepeuvent distribuer dedividendes.
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une expression que nous avonseu déjà l'occasion de signaler, d'anticiper sur la consommalion par la circulation et il est,
par suite, susceptible de rendre au cultivateur les mêmes
servicesqu'au manufacturierou au commerçant. En outre, la production agricole est astreinte à des règles immuables : l'industriel produit quand il veut, l'agriculteur ne récolte qu'une fois par an, à une époque qui estja même pourtoutes
les denrées de même nature, et chacune de ses opérations,
semences, applications d'engrais, achats cle bestiaux doit
être conduite avec la même régularité. Il en résulte que le
marché se trouvant encombré, pour ainsi dire à date fixe, de produits dont lavente est en quelque sorte forcée, le produc¬
teur est obligé de subir les exigences de l'acheteur etne
peut, le plussouvent, se défendre contre la spéculation.
Mais aucun des contrats de crédit réel mobilier que nous
avons passés en revue n'est approprié aux besoins de l'agri¬
culture; tous ont pour condition essentielle un transport de possession; or, les meubles de l'agriculture nepeuvent, sans
inconvénient, sortir de ses mains. Si ce sontdes instruments
de travail ou des bestiaux, il ne faut pas songer à priver de
leur usage la terre à laquelle ils sont attachés; si ce sontdes récoltes, les frais detransport, étant donnés leur volume et le prix relativement bas auquel elles se vendent, les grèvent de
frais qui ont bientôt fait d'absorber le bénéfice de l'agricul¬
teur.
En outre, si le cultivateur est un fermier, le privilège du
bailleur s'oppose à ce que les lieux loués soient dégarnis du mobilier, qui constitue le gage du propriétaire.
Le transfert de la possession est, il est vrai, singulière¬
ment simplifié dans le système des warrants ; une fois la
marchandise dans les magasins généraux, elle n'en sort plus
c[ue pour être livrée à la consommation. Mais de tels établis¬
sements n'existent que dans les grands centres, hors de la portée des producteurs ruraux. D'ailleurs, si l'agriculteur peut se servir des magasins généraux comme lieu de dépôt,
le crédit sur warrants lui est,auxtermes de la jurisprudence, rigoureusement interdit (').
Dans ces conditions, la nécessité d'une réforme s'imposait.
Mais il fallut un demi-siècle pour que l'on put tomber d'ac¬
cord sur les moyens à employer pour l'effectuer.
L'idée qui se présente tout d'abord à l'esprit, est la sup¬
pression du transfert de possession,
qui constitue
leprinci¬
pal obstacle à la mise en gage des
meubles
de l'agriculteur.Aussi apparut-elle dès les premières tentatives qui furent
faites pour organiser le crédit agricole. La grande commis¬
sion de 1856 n'hésitait pas à l'adopter; celle de 1866 s'y
ralliait également; enfin, le projet de loi sur le crédit agri¬
cole, déposé à la date du 20juillet 1882, proposait formelle¬
ment l'adoption du gage sans déplacement. Un système analogue à celui de la transcription en matière immobilière,
était destiné à assurer la publicité du nantissement (2).
L'année suivante, la commission du Sénat, présidée par
M. Labiche, donnait à cetle réforme une portée plus géné¬
rale; il s'agissaitnon plus d'une loi spéciale à une catégorie
de producteurs, mais d'une réforme portant sur l'ensemble
du droit (3).
(') Cass., 24 juin1884, D. P., 84. 1. 425.
(2) La loi du 24 juin 1874aorganisésurcette base, dans les colonies françaises,
lamise engage sansdéplacement des récolles, même pendantes.
(3)Journal Officiel, août 1882, p.471,annexe n. 407; nov. 1883,p.997,annexe
n. 464 ; 15 fév. 1886, p.36,annexe n.63.
Cette solution ne fut pas adoptée; et la loi du 19 juillet 1889, issue du vaste projet sur le crédit agricole, est simple¬
ment relative à la restriction du privilège du bailleur et à
l'attribution des indemnités dues par suite d'assurances : c'eut été, en effet, bouleverser toute l'économie de notre droit que de rétablir, sous quelque nom que ce fût, l'hypo¬
thèque des meubles; et l'on comprend, en présence d'incon¬
vénients immenses et certains etd'avantages aléatoires, les
résistances qu'ont rencontrées tous les projets tendant à
modifier en ce sens l'organisation du contrat de gage. C'est pourtant làqu'il a fallu en venir, lorsque l'on a enfin, par la
loi du 18juillet 1898, donné au crédit agricole l'organisation
dont il avait sigrand besoin.
D'autres tentatives avaient été faites pour vaincre la diffi¬
culté dont nous venons d'étudier l'une des solutions : l'on avait, à diverses reprises, demandé la création de magasins généraux ou vastes greniers, analogues aux elevators améri¬
cains, spéciaux à l'agriculture. La première tentative de ce genre remonte à 1856; les deux autres ont été faites en 1891
et 1897 par M. Méline.
§ II. Législation cle 1898.
Le système adopté par la loi du 18 juillet 1898 participe à
la fois des deux procédés que nous venons d'indiquer. 11 se rattache au premier,en ce qu'illaisse au propriétaire l'usage
et la possession des objets engagés; il emprunte au second
la forme du titre : c'est, en effet, par un warrant qu'est représentée la marchandise. Ce warrant se rapproche sensi¬
blement de celui établi par 1a, loi de 1858 sur les magasins
généraux; il est, comme lui, transmissible parvoie d'endos¬
sement.. Mais il n'est pas assorti d'un récépissé : d'où l'obliga¬
tion pour le débiteur de rembourser le prêteur avant d'effec¬
tuer la vente. Ce remboursement peut être effectué même
avant l'échéance.
Les sanctions pénales des art. 406 et 408 du code pénal suppléent à la garantie résultant, dans les autres systèmes
de sûretés réelles, de la dépossession du débiteur.
Enfin, l'exécution dugages'effectue au moyen d'une procé¬
durerapide et simplifiée.
Tels sont les principes adoptés par la législation de 1898 : les facilités qu'elle accorde pour le nantissement des meubles
de l'agriculteur eussent pu devenir dangereuses pour lui,
sielles lui avaientpermis d'engager sesinstruments de travail
ou de diminuer les garanties du bailleur dans une trop large
mesure : la loi a, enconséquence, limitativementénuméréles
matières susceptibles d'être warrantées; ce sont, en général,
les produits du sol, les revenus de l'agriculteur, dontl'exploi¬
tation normale du domaine exige périodiquement lavente, et seulementceux qui peuvent être, pendant un certain temps,
conservés sans détérioration.
Quantau bailleur, ses droits sontsauvegardésparla faculté
que lui confère la loi de s'opposer à la délivrance du war¬
rant.
Enfin, les opérations relatives à la constitution du gage
peuventse fairesans perte de temps : c'est,en effet, le greffier
de la justice de paix qui joue, relativement aux mesures de publicité et à l'émission des titres, le rôle dont est chargé,
en matière de warrants commerciaux, le concessionnaire du magasin général.
CHAPITRE III
ÉTUDE JURIDIQUE SUR LESSÛRETÉS RÉELLES COMMERCIALES ET AGRICOLES
SECTION PREMIÈRE
DES WARRANTS
§ I. Constitution dugage.
I. Dépôt des marchandises. — Le dépôt des marchandises
destinées à être warrantées se fait dans les magasins géné¬
raux. Ces établissements sont ouverts, aux termes de la loi
du 31 août1870,après autorisation du préfet, donnéesurl'avis
de la chambre de commerce; à son défaut, de la chambre consultative; à défaut de l'une et de l'autre, du tribunal de
commerce. Ils nesont plus astreints, depuis la loi précitée de 1870, à aucune surveillance administrative. Depuis le décret
du 26 avril 1888 l'autorisation doitêtreobtenueànouveau en cas de cession du magasingénéral. Les magasinsouverts anté¬
rieurement àla loi de 1870 peuvent continuer à fonctionner
conformémentau régime établipar la loi de 1858. Ils peuvent
aussiprofiter des avantages de la nouvelle législation, en se conformant aux obligations qu'elle impose et dont la princi¬
pale est de fournir un cautionnement.
Le concessionnaire du magasin est astreint à diverses obligations : il doit fournir un cautionnement dont le chiffre
varie de 20,000 à 100,000 fr.
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Aux termes du décret du 12 mars 1859, il ne peut exercer directement ou indirectement aucun commerce, ni se livrer
à aucune spéculation ayant pour objet des marchandises.
Il
peut simplement effectuer les opérations de factage, camion¬nage, assurances, douane, etc. qui sont l'accessoire de sa
profession. Il est, en outre, autorisé, depuis la loi de 1870, à
faire des avances sur les marchandises déposées entre ses mains, ou à négocier les warrants qui les représentent. Le magasinier doitsessoins à la marchandise; il estresponsable,
dans les termes du droit commun, de sa garde etde sa con¬
servation.
Il est tenu d'observer, vis-à-vis de tous les déposants, tant
au point de vue des tarifs et des
règlements
quede la
récep¬tion des marchandises, l'égalité de traitement la plus com¬
plète.
Le magasinier est astreint à la tenue des livres déclarés obligatoires par le code de commerce; en outre,
le décret du
12mars 1859 a institué deux livres à souche, l'un destiné à l'émission desrécépissés-warrants, l'autre servantà constater¬
as consignations de sommes affectées au remboursement du
warrant.
II. Délivrance du récépissé el du warrant. — Le titre
qui
constate le dépôtde lamarchandise se compose
de deux
par¬ties qui peuvent être séparées, le
récépissé
etle
warrant ou bulletin de gage.Ces titres sont extraits d'un registre à souche.
Ils représententlamarchandise; par
suite, il n'en
peut êtredélivré qu'un seul exemplaire. En cas de perte
du récépissé,
ilfaut, pour en obtenirun duplicata,